MIMYGEIGNARDE Old Souls 4.3. Attraction

4.3. Attraction

Alors qu'ils fuyaient le district Sii Daeng, un homme sans âge, au visage émacié et aux yeux exorbités, les interpella.


— Hé, gamins... Vous êtes perdus ?


Considérant son allure maladive, le doute était exclu : il s'agissait d'un junkie.


— Vous avez pas un peu d'fric, pour moi ?


Son ton suppliant et ses yeux vitreux traduisaient la cruelle violence du manque. En manque de drogue synthétique... ou de sang de vampire ? Pourquoi ne pas tout simplement se rendre dans ces établissements où la seule monnaie d'échange consistait dans le sang ? Une ressource naturelle si facile à vendre...


— Tu penses que les vampires veulent encore mordre ce type ? Ils ont déjà dû lui prendre toute sa vitalité, se désola Lamaï.


Le malade se désintéressa bien vite d'eux. Il ne semblait animé d'aucune volonté, d'aucune agressivité. Un fantôme perdu dans un monde de vivants, répétant inlassablement la même supplique. Sur leur chemin, ils croisèrent plusieurs individus de cet acabit, décharnés, exsangues ; à l'agonie. Ils pressèrent le pas.


Le ferry nocturne les ramenait enfin en lieu sûr, après une nuit de chaos. Ils avaient frôlé la catastrophe.


— Suni, tu m'expliques maintenant ? l'invita Lamaï, une fois à l'abri d'oreilles indiscrètes.


Ils étaient les seuls passagers et pouvaient ainsi discuter sans filtre de leur funeste mésaventure.


— Quoi ?


Il détourna le regard, jouant l'innocent, comme s'il pouvait fuir le jugement accablant de son amie.


— Si tu crois que je ne vais pas te bombarder de questions après ça, tu te mets le doigt dans l'œil, jeune homme !


Suni soupira. Il ne servait à rien de résister à la volonté de cette femme. Il était au pied du mur.


— Okay, je me rends, reine de l'inquisition. Je ne sais pas par où commencer. La vérité... c'est que je t'ai menti, par honte. Je suis allé chez le directeur de l'école, un soir. Le soir où je devais sortir avec Mean.


Le visage de Lamaï s'éclaira de compréhension.


— Je me disais bien que c'était étrange...

— Quoi donc ?

— Que tu aies un ami !

— Merci bien, ça fait plaisir...

— Je t'en prie, c'est gratuit, répondit Lamaï du tac au tac.


Suni lui lança un regard meurtrier mais ne riposta pas, plus enclin à confier son histoire. Il était temps.


— Je disais... J'ai répondu à l'invitation du directeur, comme un débutant. Je pensais qu'il voulait apprendre à me connaître, me tester, certes, mais alors j'étais loin d'imaginer...


Sa voix se brisa à l'évocation de ce souvenir.


— Suni. Première leçon : pars du principe qu'un homme qui t'invite chez lui en veut potentiellement à ton corps, et qu'il faut rester sur tes gardes. C'est bien compris ? Ces jeunes, il faut tout leur apprendre. Kao, c'est lui, le directeur ?


Suni hocha la tête en silence.


— Attends, si je relie les points... ton directeur est un vampire ?!

— Bravo pour ce sens de la déduction aiguisé, railla Suni.

— Saperlipopette. Comment c'est possible ? Il t'a fait du mal ? s'inquiéta Lamaï en palpant la gorge de Suni entre ses mains fines, horrifiée à l'idée d'y trouver une blessure.

— Non... Son insupportable frère m'a « sauvé », cracha-t-il.

— Tu parles de ce Chayan, je présume ? Un vampire qui a le syndrome du sauveur... Étrange. Ça cache sans doute quelque chose. Mais je suppose que je devrais lui en être reconnaissante, déclara-t-elle d'un ton songeur. Quoi qu'il en soit, ne lui fais jamais confiance, d'accord ?

— Parce que c'est un vampire ?

— Parce que c'est un homme !


Suni s'esclaffa. C'était tout à fait elle. Féministe convaincue, au point de considérer la nature mâle plus prédatrice que la nature vampire elle-même. Sous ce rire de façade, des sentiments contradictoires l'envahissaient ; des serpents enroulaient sa poitrine jusqu'à l'étouffer. Il s'abîma dans la contemplation du fleuve, cherchant à tromper son anxiété. La lune créait des reflets bleutés sur la surface ondoyante de l'eau. Ce mouvement régulier et calme, accompagné de clapotis feutrés, apaisait son cœur malmené par les événements.


— Suni... reprit Lamaï après un long silence. Pourquoi tu m'as suivie ce soir ? Mon idée était clairement stupide, et après ce qui t'était arrivé...

— Pour te protéger, j'imagine. Et le goût du risque, mentit-il. Tu n'es pas la seule en quête de frissons. Je ne suis plus un enfant.


Comment pouvait-il exprimer un sentiment intraduisible pour lui-même ? Cette attraction confuse était dégradante et le plongeait dans une honte immodérée. Désir immoral, macabre et insensé.


— Ça ne te ressemble pas.


Lamaï observait Suni, pensive. Le jeune homme avait toujours vécu dans une bulle. Elle l'avait connu au jardin d'enfants, intriguée à l'époque par le petit garçon solitaire qui ne parlait pas encore à l'âge de quatre ans. Suni était resté muet toute son enfance ; il évoquait un mime mélancolique observant le monde depuis la tour de son royaume intérieur. Lamaï, intrépide et bagarreuse, était tombée sous le charme de ce garçonnet sensible.


Explorer le quartier vampire était probablement la seule péripétie encore absente de son palmarès du danger. Tandis qu'elle courait toujours l'aventure, pleine de fougue et de curiosité, Suni, lui, passait son temps à rêver, perdu dans son univers de silence et de discipline, tourné vers un seul objectif : danser jusqu'à l'épuisement.


— Khun Yâa ne doit rien savoir, décréta-t-il.

— Ne t'inquiète pas, je lui mens comme une arracheuse de dent, se vanta son amie.

— Merci de me couvrir...

— Arrête, tout est de ma faute. Si on exclut le fait que tu t'es quand même jeté tout seul dans la gueule du loup la première fois.

— Si on oubliait ça ? grimaça Suni à ce souvenir qui le couvrait de honte mais aussi d'effroi.

— Okay. Je conserve la médaille de ta pire fréquentation !


Après ce second épisode de danger, toutes les pensées de Suni poursuivaient Chayan.


Ce vampire beau comme l'enfer l'irritait avec ses leçons de morale et cette propension ridiculement chevaleresque à toujours lui sauver la mise, même s'il était obligé de reconnaître qu'il lui devait plus d'une vie.


La créature lui inspirait une forme de méfiance teintée de fascination... Ces rêves dans lesquels il tombait chaque nuit laissaient peu de place au doute. Chayan était dans chacun d'entre eux. Son enfer n'était plus hanté par les flammes, mais par les yeux sombres du vampire, à la fois dangereux et caressants. Au fond de ses orbes régnait un ciel aussi attirant que menaçant, une galaxie qu'il n'aurait pas dû vouloir connaître.


Alors pourquoi cette attraction viscérale, le poussant à vouloir en savoir plus, toujours plus ?

Ses livres ne suffirent bientôt plus à dompter son obsessionnelle curiosité, une bête sauvage qui rongeait sa raison.


Un matin, alors qu'il rangeait la librairie en compagnie de Giles, il se risqua à questionner l'expert en sciences occultes et autres légendes.


— Giles, que sais-tu... des vampires ?


Le libraire s'arrêta tout net, comme s'il avait vu un fantôme.


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31 commentaires

Sandie A

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Il y a un an

Fan de l'amitié entre Lamaï et Suni. La petite fille intrépide touchée par le garçon muet et sensible.

Eva Boh

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Il y a un an

J'étais tellement sûre que cette histoire allait te plaire. 💕

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Contente que cette relation te plaise ☺️

Jakae chappinj

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Il y a un an

J'ai beaucoup aimé cette partie, c'était vraiment très drôle

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Merci !! :D

Eva Boh

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Il y a un an

Merci pour ce nouveau chapitre !! 🥰

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Merci à toi de la suivre ! La semaine prochaine, pas d'Adopte un lecteur, je continuerai donc ton histoire :)

Eva Boh

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Il y a un an

Cool ! Merci beaucoup ! Perso je serai au Danemark avec mes élèves, j'espère pouvoir continuer à lire un peu quand même.
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