MIMYGEIGNARDE Old Souls 3.1. Hot Blood

3.1. Hot Blood

Chayan soupira de lassitude, les yeux fixés sur le vieux téléviseur du Hot Blood. Tous les vampires, ou presque, avaient cessé leurs activités pour écouter religieusement les informations du soir. Seul le groupe de musique punk, sur la petite scène du fond, continuait à faire rugir ses instruments.


Une énième attaque barbare venait d'être commise par un gang de vampires avides de vengeance. Plusieurs humains avaient trouvé la mort dans l'assaut, avant que des militaires lourdement armés ne parviennent à reprendre le contrôle de la situation.


Le conflit séculaire opposant humains et vampires semblait loin de s'apaiser : Chalong Kaew, le Premier ministre de la Thaïlande, mettait en effet beaucoup d'énergie à attiser la colère du peuple. Il était de notoriété publique qu'il nourrissait une profonde hostilité à l'égard des « suceurs de sang ». Dès son élection, il s'était empressé de supprimer les quelques lois progressistes instaurées par le gouvernement antérieur.


Le sentiment d'aversion imprégnant l'opinion publique était tel que des milices indépendantes – et armées jusqu'aux dents – s'étaient formées clandestinement pour chasser ces créatures de la nuit. Les vampires ripostaient avec tout autant de violence. Ces affrontements réguliers, défrayant chaque fois la chronique, s'achevaient bien souvent en bain de sang. Une situation idéale pour le Premier ministre, qui pouvait exploiter ces tensions à son avantage en usant de pure démagogie. La haine avait toujours été l'opium du peuple, n'est-ce pas ?


Tout cela laissait Chayan indifférent.


— Ils ont bien raison, siffla le barman du Hot Blood en passant un nerveux coup de chiffon sur le comptoir où Chayan était installé, maussade.

— Tu penses qu'ils ont raison de s'entre-tuer ? interrogea celui-ci, piqué d'avance par ce sujet de conversation récurrent.

— Nos frères ont raison de se défendre contre cette vermine d'humains. On devrait rester là sans rien faire quand ils nous traquent jusque dans nos quartiers ? Pour eux, un bon vampire est un vampire mort.


Le barman fit claquer sa langue contre son palais. Son expression affichait un air mauvais.


— Et pour toi un bon humain est un humain docile, je présume ? poursuivit Chayan, mi-taquin mi-accusateur.

— Les humains ne sont bons qu'à se faire bouffer la gorge. À quoi d'autre ? Tu m'expliques pourquoi on courbe l'échine devant eux, alors qu'on pourrait les dominer sans aucun mal ? feula son interlocuteur avec une rage à peine contenue.


À leurs côtés, chacun y allait de son commentaire dans une sourde cacophonie proche du chaos. Une rancœur poisseuse écumait sur leurs lèvres perfides, dirigée contre un ennemi commun : les mortels.


— Tu crois vraiment que les vampires pourraient dominer ? Ils veulent juste foutre le bordel et s'amuser. Regarde ceux qui commettent ces attaques, c'est totalement désorganisé. Inutile, provoqua Chayan une nouvelle fois, habitué à braver les dogmes édifiés par ses pairs.

— Et toi tu fais quoi, hein ? À part la morale ?

— Moi ? Je m'en fous. Je déteste autant mes congénères que les humains, si tu veux tout savoir, se déroba-il en haussant les épaules.

— Comment tu peux dire ça ? Nous leur sommes supérieurs en tous points. On devrait rallier la lutte au lieu de rester inactifs. Cette guerre est aussi la nôtre ! Tu devrais avoir honte d'être si peu solidaire de tes frères, voilà mon avis, cracha le barman avec mépris.

— Ton avis me passe au-dessus. Tu m'emmerdes. Tout le monde m'emmerde, t'as toujours pas compris ? Je ne sais même pas ce que je fais encore ici. Allez, j'me tire, lança le perturbateur en quittant sa chaise haute, son long manteau noir voletant dans un mouvement aérien aussi désinvolte qu'élégant.


Pourquoi avait-il encore mis les pieds ici ? Par dépit, sans doute, guidé par cette morne volonté qui lui intimait de se reconnecter à sa nature vampirique, mais il échouait chaque fois lamentablement.


Le barman ricana, malsain.


— Tu sais ce qui te ferait du bien ?

— Non, mais tu vas me le dire, j'imagine...

— Te taper un petit humain, planter tes dents dans sa chair tendre... susurra le vampire d'un air libidineux. Il y a une belle brochette de femelles qui n'attendent que ça.


D'un signe de tête, il l'invita à rejoindre le sous-sol avec un sourire satisfait, tel un médiocre commerçant vantant sa marchandise. Chayan jeta un regard écœuré en direction des lourds rideaux bordeaux, promesses de paradis pour les uns, présage diabolique pour lui.


— Je m'en passerai, merci bien.

— Franchement, je ne te comprends pas. Tu ne te nourris jamais, ou alors trois fois l'année. C'est quoi, ton problème ?

— Là, en l'occurrence, c'est toi. Je rentre.


Chayan rejoignit la sortie sans demander son reste. Il devait s'éloigner au plus vite de ces insupportables effluves de turpitude.


— Tu passeras le bonjour à Kao, cria le barman depuis le comptoir, entre les riffs assourdissants des guitares. Lui, au moins, il sait apprécier les bonnes choses !

— C'est ça... grogna Chayan en s'engouffrant dans la nuit de Bangkok.


La lourde porte métallique se referma dans un bruit mat, expulsant Chayan de cette atmosphère oppressante et poisseuse, pleine de désirs répugnants. Ce cloaque nauséabond qu'il s'évertuait pourtant à fréquenter ; le vain espoir tapi au fond de la poitrine qu'un jour, peut-être, il pourrait redevenir le vampire insouciant qu'il était.


Il quitta sans regret ce quartier malfamé où s'entassaient quelques bars douteux réservés aux vampires, dans lesquels les humains, en quête de frissons, affluaient toujours plus nombreux. Oh, que non, Chayan n'appréciait pas ces êtres faibles, serviles, manipulateurs et sournois. Sans nul doute, les vampires ne feraient qu'une bouchée de ces insectes fragiles lors d'un corps à corps ! Alors pourquoi s'abstenir de les faire ployer pour les asservir une bonne fois pour toutes, grâce à leurs facultés surhumaines ?


Contrairement aux pouvoirs politiques, les vampires ne possédaient pas d'armement militaire. Ils n'iraient pas bien loin pourvus de leurs seuls crocs, une arme qui avait ses limites. Par ailleurs, ils avaient beau se targuer d'être supérieurs, ils étaient vulnérables à la lumière du soleil. Enfin, ils avaient besoin de se nourrir, incapables de refuser les petits plaisirs qu'offrait la chair humaine. Leur civilisation ne perdurerait jamais sans eux. Les vampires étaient décidément bien trop gourmands pour parvenir à asservir qui que ce soit.


Chayan était las de ces guerres inutiles.


Quand il pénétra enfin dans sa demeure, bien plus accueillante que ces saletés de repaires à vampires, il entendit des voix provenir du salon. Kao n'était pas seul. Il leva les yeux au ciel, s'attendant déjà à tout avec ce petit emmerdeur. Il s'arrêta net à l'entrée de la pièce, interdit. Kao était penché sur un jeune garçon, prêt à lui sauter dessus.


Pas encore...


Chayan ne portait guère les humains dans son cœur, mais alors ceux qui fricotaient avec son frère lui inspiraient un profond mépris.

Tu as aimé ce chapitre ?

26

26 commentaires

Nicolas Bonin

-

Il y a un an

Salut bînome, je termine ton chapitre hot blood en entier avant de te faire un retour global.

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merci beaucoup ! J'avance bientôt sur ton livre aussi :)

Eva Boh

-

Il y a un an

J'étais persuadée, en commençant ce chapitre, qu'il était ressorti de la maison, dégoûté. Revenir en arrière à la fin du chapitre, finalement, m'a dérangée. Je me demande s'il n'aurait pas été mieux placé dans le chapitre précédent, créant l'ellipse que tu as fabriquée avec des *****, en zappant ses considérations de la fin pour une autre fois.

MIMYGEIGNARDE

-

Il y a un an

Merci de partager ton ressenti ! Je le note. Tu veux dire mettre la partie avec Chayan (dans le bar) dans la partie précédente ?

Eva Boh

-

Il y a un an

Exactement. Cela demanderait un ou deux ajustements mais je pense que cela serait plus fluide.
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.