MIMYGEIGNARDE Old Souls 2.2. Le danseur

2.2. Le danseur

Le danseur emprunta le ferry à l'embarcadère de son île jusqu'à la capitale. Une fois sur la terre ferme, les nuisances de la ville agressèrent ses sens. Il vissa son casque sur ses oreilles pour se préserver de l'effervescence urbaine. Cela ne suffit pas à lui apporter la paix : des affiches du Premier ministre à l'expression belliqueuse bariolaient les murs. Celui-ci était en campagne et misait lourdement sur la sécurité. « Nos rues ne sont plus sûres » éructait-il à chaque occasion, visant en particulier la population vampire qu'il accusait de tous les maux.


Le politicien, en parfait gourou, soulevait des foules hystériques, prenant un malin plaisir à ajouter de l'huile sur le feu. Humains et vampires ne cessaient de s'affronter ; l'animosité enflait toujours plus entre les deux espèces. Ce démagogue au regard torve n'inspirait à Suni que méfiance.


L'immense édifice du conservatoire se dressa enfin, tel un monument éclatant de majesté ; un temple dédié à l'art de la musique et de la danse, mais aussi des coups bas... Suni serra nerveusement la bandoulière de son sac. Il n'avait pas le droit à l'échec. Cette journée était cruciale !


Il ne tarda pas à rejoindre les vestiaires pour se mettre en tenue, saluant brièvement ses camarades mais se gardant de toute effusion de sympathie. Ici, on ne se liait pas d'amitié. La danse classique était une discipline exigeante, capable de pousser les élèves aux pires extrémités.


Il enfila son justaucorps noir, ses collants et ses pointes, puis s'examina dans le miroir. Une silhouette fine et gracieuse se révéla, ainsi qu'un visage doux aux traits délicats, encadré de cheveux sombres et ondulés. Sa peau dorée et ses yeux en amande, d'une chatoyante teinte chocolat, lui conféraient un charme élégant, mystérieux. Quant à ses pommettes hautes, elles avaient gardé la rondeur de l'enfance. Une bouche bien pleine, couleur cerise, achevait d'attirer les regards sur sa beauté discrètement androgyne. Un corps taillé pour la danse, sculpté par des heures de travail acharné ; un visage aux attraits empoisonnés. Suni n'avait qu'un but, devenir un instrument parfait au service d'un art parfait, mais il détestait les regards que ses traits uniques attiraient.


S'élever dans la lumière, tout en restant dans l'ombre, tel était son paradoxal désir.


Bientôt, ce fut l'heure. Il traversa les couloirs pour se rendre en salle de théâtre. Dans les coulisses, de nombreux danseurs attendaient déjà leur tour en s'échauffant. Il entrevit une jeune fille sur l'estrade, entrée en stage l'année précédente. Tout comme lui, elle convoitait l'échelon coryphée. Une poignée d'élus atteindrait ce niveau. Les autres pourraient toujours retenter leur chance l'année suivante, ou bien tout bonnement changer de vocation. La danse était un milieu impitoyable.


Alors qu'il observait la scène depuis les coulisses, le ventre rongé d'appréhension, un danseur s'approcha de lui.


— Le directeur ne va en faire qu'une bouchée... se désola faussement son camarade. Regarde-la, à trembler sur ses jambes comme une petite biche craintive.


Suni reconnut Mean, un coryphée arrogant.


— Tu connais le directeur ? questionna-t-il avec curiosité.


L'homme incarnait pour lui un insondable mystère. Il n'apparaissait jamais dans les couloirs de l'école, certainement trop occupé par ses propres affaires. Pour une raison inconnue, son identité n'était pas rendue publique. Mean ne prit pas la peine de répondre ; sa bouche demeurait close mais son œil frisait de malice.


Le jeune quadrille étudia la prestation maladroite de la jeune fille. Son regard se posa ensuite sur le jury plongé dans l'ombre, parmi lequel se trouvait le directeur. Il devina sa silhouette masculine et autoritaire fixer la danseuse mal assurée qui se produisait sur scène.


— Tu vas bientôt faire sa connaissance. C'est rare qu'il porte de l'intérêt aux quadrilles, mais maintenant tu deviens grand, n'est-ce pas... ? railla Mean.


— En quoi pourrais-je l'intéresser ?


— Tiens, un être pur. C'est plutôt rare, de nos jours, s'amusa le coryphée d'un ton sarcastique. Tu es doué. Il se pourrait que tu lui tapes dans l'œil, tu sais. Le directeur a beaucoup d'influence. Ceux qui se font bien voir obtiennent souvent ses faveurs.


Suni l'écoutait d'une oreille distraite. Tout ce qui lui importait, c'était la danse. Il était prêt à beaucoup de sacrifices pour atteindre ce rêve. La jeune fille quitta la scène en sanglotant. Quelques danseurs terminaient de ranger leurs affaires. Dans un coin, certains essuyaient même leurs larmes suite à leur prestation ratée.


Enfin, ce fut son tour.


Le cœur battant, Suni fit son entrée sur scène. Il s'obligea à ignorer le jury pour ne pas se laisser déstabiliser. La musique du Fantôme de l'opéra s'éleva et son corps se mit en mouvement de lui-même. Suni ne se pensait pas doué pour grand chose... Mais s'il y avait un domaine dans lequel il excellait et se sentait enfin lui-même, c'était assurément la danse. Danser, pour lui, équivalait à flotter.


Il se sentait pousser des ailes !


L'épreuve se dépouillait peu à peu de son labeur, le trac s'effaçait devant une souveraine allégresse ; danser devenait aussi naturel que respirer. Le danseur volait sur scène, le temps et le monde s'oublièrent ; il avait quitté la terre, sa laideur prosaïque et son cortège de faux-semblant. Ne restait plus en cet instant que son corps souple fendant l'air avec une grâce saisissante, tel un oiseau libre et heureux.


La musique s'arrêta soudain et Suni jura qu'il ne s'était écoulé qu'une toute petite seconde. Il aurait pu danser... toute sa vie.


— Bien, monsieur Khanawut, merci pour cette prestation. Vous aurez les résultats d'ici une semaine, retentit la voix froide de sa professeure.


Il leva les yeux, contraint de se reconnecter à son environnement. Son rythme cardiaque s'accéléra. Dans la pénombre, la silhouette imposante du directeur irradiait d'autorité. Il avait l'air si jeune. Il lui donnait moins de trente ans. Ses yeux étincelaient d'un éclat fascinant.


— Attendez.


La voix grave résonna dans le théâtre, sonnant comme l'orgue d'une cathédrale.


— Je veux rester un moment seul avec Suni. Sortez tous.


— Bien, monsieur.


Personne ne protesta. Le jury se leva et quitta la salle de théâtre. Une certaine inquiétude se répandit dans la poitrine du danseur. Il aperçut, du coin de l'œil, sa professeure lui lancer un regard compatissant.


Le directeur se leva et rejoignit Suni sur scène. Celui-ci put le détailler sous la pleine lumière des projecteurs. Il portait un costume classique et élégant. Mais son visage respirait le vice.


— Tu sais qui je suis, petit ?

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31 commentaires

Cécile Marsan

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Il y a un an

Est ce que le directeur est le même vampire qui a attaqué Chayan et son frère ? C'est la question que je me pose ☺️

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Hehe, suspense... Ca se pourrait... ou pas...

Marion_B

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Il y a un an

Personnellement j'attendais impatiemment ce moment de danse depuis le chapitre précédent. J'ai moi même fait pas mal de danse et j'adore ça il faut dire! Bien que bien écrit comme tout le reste, Je trouve qu'il gagnerait a être étoffée avec peut être des accélérations râlentis sauts..des passages techniques et plus en lacher prise de la rondeur etc....j'aimerais savoir si c'est une chorégraphie inventée par lui ou apprise et si toute ses personnes de l'audition dansent la même. Si certaines parties aiment à Suni plus que d'autres. Si des passages l'inquietent. Sil est oksu a laise en techique en rytme en souplesse Etc..

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

Je note d'etoffer plus la scène, alors ;) Après il faut aussi se dire qu'on est dans le point de vue du personnage, et qu'il évoque ses émotions plutôt que de décrire techniquement la scène. J'essaye d'aiguiser l'imagination du lecteur ^^

Elenwe

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Il y a un an

Tes descriptions sont toujours aussi fluides à lire !

Mary Lev

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Il y a un an

Donc les vampires sont acceptés dans la société ? Ce point est surprenant mais j’imagine que tu l’expliques dans la suite. On stresse pour suni ! Par contre il me semble que les garçons ne font pas de pointe en danse ? Ce directeur ne me dit rien qui vaille . Le fait qu’il ait moins de trente ans n’est pas très crédible par contre, sauf si sa jeunesse est « vampirique » évidemment !

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

"Acceptés" est un bien grand mot... Mais leur existence est connue, en tous cas. Il faudrait un spin-off pour raconter ce qui s'est passé au fil des siècles... Mais ce sera évoqué oui 😊
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