Fyctia
1.4. Naissance
— Non ! Lâchez-le ! Prenez-moi à la place ! implorait Chayan.
Il était comme dissocié de son propre corps, son esprit fragmenté en petits morceaux.
La scène semblait irréelle. Il était en proie à un cauchemar, ou une hallucination... S'il lui restait une seule croyance, au milieu de cet insondable chaos, c'était en l'amour qu'il portait à son frère. Il ne pouvait mourir ainsi !
L'étranger se retourna lentement en laissant choir sa victime dans un bruit lourd, définitif. Chayan tenta de se précipiter auprès de Kao, mais Talbot le retint de sa main puissante, d'une taille démesurée. Chayan put alors contempler le visage du monstre pour la première fois depuis son attaque. Il manqua de s'évanouir.
La beauté et la jeunesse de l'homme avaient disparu, révélant une figure ridée, couleur de cendre. Les yeux étaient exorbités, les pupilles rougeoyaient comme un incendie et les canines, deux pointes aiguisées, dépassaient de la lèvre supérieure. Elles étaient recouvertes du sang encore chaud de son frère.
— Chhhhh, tout va bien se passer. Si tu insistes, je te prendrai aussi. Tu étais d'ailleurs ma proie, avant que ton idiot de frère ne me fasse du charme.
— Qui êtes-vous ? gémit Chayan en reculant.
— Je suis le pire cauchemar de ta vie d'humain misérable, mais bientôt je serai ton rêve. Tu me remercieras.
— Je ne comprends pas...
Chayan était sidéré, hypnotisé par les yeux de la bête. Il lui était impossible de résister à la gravité ; il était lourd, ancré dans le sol avec la force d'un monolithe. Talbot était tout proche de lui à présent. Il pouvait sentir le brasier de son souffle lécher sa peau et son haleine ensanglantée, répugnante. Une main glacée se posa sur sa joue.
— Je vais boire ton sang, aspirer ta vitalité et ton âme... Mais je vais aussi t'offrir l'éternité.
Chayan poussa un dernier cri, puis les crocs aiguisés se plantèrent dans sa chair. Une chaleur se répandit dans ses veines, comme une fièvre. Le sang battait furieusement à ses tempes. Il tenta de se débattre mais c'était peine perdue. Un insecte aux ailes coupées cherchant à s'envoler n'aurait eu l'air plus misérable.
Puis, un froid absolu, aussi mordant et funeste qu'une prison de glace, gela ses sens. Il avait perdu la notion du temps, ne sentait plus ses membres. Engourdi, son corps semblait embrasser le néant. Une enveloppe vide, ne contenant plus désormais qu'un lointain écho de sa conscience. Il sombra dans un puits de ténèbres, tandis que l'étranger se repaissait de lui avec avidité, lui offrant l'ardeur d'une ultime étreinte.
La nuit envahit ses paupières closes.
Ce soir-là, le sang ruissela encore et encore, telle une substance poisseuse et mortifère expulsée sans fin d'une terre malade ; maudite. Un poison macabre corrompant l'essence même de la vie.
Une rivière pourpre se forma, se mêlant à la blancheur nacrée des fleurs de jasmin.
***
Quelque part en Thaïlande, décembre 2000, cinq heures du matin.
Dans une province reculée, un petit cabanon de bois rustique, battu par les vents et une pluie diluvienne, dérobé aux regards par les grands arbres d'une forêt touffue. Si des fugitifs cherchaient un refuge, ils n'auraient pu choisir meilleur endroit. L'habitation semblait parfaitement abandonnée. Et pourtant, à l'intérieur de ce repaire, la vie était en train d'éclore.
Un petit feu brûlait dans l'âtre. Le cri d'une femme au ventre rond, allongée sur une table en bois, déchira le silence de la nuit. Un homme se tenait près d'elle, lui prodiguant des mots doux et bienveillants. Après de longues minutes de souffrance et de hurlements, la femme poussa une dernière fois et s'étendit sur sa couchette de fortune, épuisée, à bout de souffle.
Les pleurs d'un bébé emplirent la pièce de leur tonalité stridente. L'homme lui fit prendre son premier bain dans une bassine d'eau chaude, l'emmaillota, puis posa le bambin contre la poitrine de sa mère. Celle-ci retrouva le sourire à la vue de son enfant. Le père caressa le crâne de ce nouvel habitant du monde, puis il accrocha un collier autour du petit cou, sur lequel pendait un médaillon argenté gravé de l'inscription « Est Lux Tenebris ».*
***
*Des ténèbres jaillit la lumière.
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Nicolas Bonin
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Sarah B
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