MIMYGEIGNARDE Old Souls 1.2. Naissance

1.2. Naissance

Chayan détailla l'invité de la tête aux pieds.


Il portait une tenue simple, à l'image des frères Ahunai. Seuls les motifs éléphants de son gilet détonnaient dans son accoutrement monochrome. Sa peau était cuivrée, sa chevelure d'un noir de jais, semblable au plumage d'un corbeau.


Un Indien.


— Bonsoir, ravi de vous rencontrer, salua-t-il d'une voix chaude dans un anglais impeccable.


— Chayan, voici David Talbot, venu tout droit de Londres. Cher David, je vous présente l'aîné de mes fils, Chayan.


Le dénommé David s'approcha à pas de félin. Il serra la main de Chayan avec fermeté, mais non sans douceur. L'espace d'une infime seconde, le jeune noble crut apercevoir une vague rousse inonder ses pupilles puis se retirer aussitôt. Le reflet des candélabres, certainement. Il se sentit hypnotisé par cette beauté exotique. La sensation était inconfortable.


Chayan avait souvent succombé au plaisir de la chair avec des hommes, surtout avec les prostitués qui grouillaient près du port. Cette lueur de convoitise vicieuse lui était par conséquent familière... Mais il n'avait jamais ressenti ce trouble auparavant. Il ne savait s'il était fasciné ou révulsé.


— Monsieur Talbot nous fait le plaisir de dîner à notre table. N'est-il pas charmant ? Pardonnez-moi la flatterie, monsieur Talbot, mais nous n'avons pas coutume de recevoir des commerçants anglais si bien de leur personne, et d'origine indienne qui plus est.

— Mais je vous en prie, je ne répugne à aucune flatterie, bien au contraire. Si je peux me permettre, vos fils n'ont pas à rougir non plus de leur apparence, susurra l'homme avec un intérêt non dissimulé.


Chayan retira vivement sa main, trop longtemps emprisonnée à son goût par la poigne froide de l'étranger.


— Bien, maintenant que les présentations sont faites, si nous passions à table ? proposa Boonsak, tout sourire. Un délicieux repas a été préparé pour votre venue.


Le jeune noble suivit la troupe dans la salle à manger, sans manquer le regard amusé que lui décocha son frère. Il comprit aussitôt ce que cet impertinent mijotait. Ce soir, il n'avait pourtant pas le cœur à la bagatelle. Il secoua la tête en signe de négation, espérant décourager Kao. Mais son sourire ne fit que s'étirer, narquois.


— Alors quoi, on a peur de perdre, grand frère ? chuchota-t-il à son oreille.

— Ne t'avise pas de...

— Quoi donc ? Je ne vais rien faire... Ma séduction naturelle fera le travail.

— Pas ce soir, je ne suis pas d'humeur.

— Écoute, tes états d'âme m'importent peu. Si tu ne veux pas participer, qu'il en soit ainsi. Je m'amuserai seul. Pour une fois que l'Anglais ne ressemble pas à une vieille chaussette sale.

— Kao ! le réprimanda Chayan, l'immobilisant à l'entrée de la salle à manger, les doigts plantés dans son bras comme les serres d'un rapace.

— Je m'ennuie... Un peu de chair fraîche, ça ne peut pas faire de mal !


Kao se libéra d'un coup d'épaule désinvolte, retrouvant sans plus attendre leur père et leur hôte qui sirotaient déjà un verre de vin dans une atmosphère conviviale. Chayan ne parvenait pas à mettre le doigt sur cette appréhension intime, dictée par ses entrailles. En temps normal, il n'aurait jamais refusé un tel défi... Kao et lui aimaient tromper l'ennui en séduisant tout individu dont ils jugeaient l'apparence acceptable, hommes ou femmes, avec une nette préférence pour le genre masculin en ce qui le concernait.


Avec méfiance, il s'installa face à son père. Il sentait le regard de David Talbot le dévisager. Ses joues le brûlaient. Ce type possédait-il des torches en guise d'yeux ?


— Monsieur Talbot est un amoureux des fleurs ! Je lui ai promis que vous lui feriez visiter la plantation après le repas, les garçons, s'enthousiasma son père.

— Pourquoi ne pas t'en charger toi-même ? rétorqua Chayan avec plus d'aigreur qu'il ne l'aurait voulu.


Boonsak toussota, avant de reprendre la parole.


— Eh bien... Je suis un vieux monsieur, à présent, tandis que Kao et toi êtes dans la fleur de l'âge. Ainsi, j'escompte que vous repreniez l'affaire bientôt. Il s'agit de votre héritage, après tout.


Un silence inconfortable s'imposa. Chayan n'ignorait pas les intentions de son père, bien qu'il prît toutes les précautions pour s'y soustraire, mais il ne pensait pas qu'il aborderait ce sujet fâcheux en présence d'un parfait inconnu. Une vile manière de le piéger.


— Nous reparlerons de tout cela plus tard, père, murmura Chayan.


Les premiers plats furent servis, lui offrant une échappatoire.

Sa mâchoire crispée trahissait son désir d'être n'importe où ailleurs plutôt qu'ici.


— Salade de papaye, annonça Boonsak à l'attention de son invité.

— Cela semble délicieux, je vous remercie encore pour votre hospitalité, vous ne démentez pas la réputation de votre peuple. Pardonnez ma franchise, mais puis-je vous poser une question indiscrète ? osa David Talbot en plongeant d'un geste délicat ses baguettes dans l'assiette.


Sa grande dextérité étonna Chayan, habitué aux mains maladroites et rabougries des vieux Européens.


— Mais bien sûr, ne faites pas de manière ! Nous sommes entre nous.


Chayan restait sur le qui-vive, mal à l'aise. Kao, lui, souriait toujours avec une satisfaction sans faille, dans une imitation parfaite de l'imbécile heureux.


— Je comprends donc que vos fils sont en âge de reprendre votre exploitation, mais je ne vois pas d'anneau à leur doigt. Ne sont-ils pas mariés ?


David Talbot porta son attention sur Chayan.


— Quel âge avez-vous, mon cher ?

— Tout juste vingt-sept ans.

— Aucune jeune fille n'a fondu pour vos beaux yeux ? Ou les vôtres, Kao ?


Chayan étudia longuement leur invité. David Talbot était jeune, on ne lui donnait pas plus de trente ans. Pourtant, il émanait de lui une grande maturité, une assurance désarmante, comme s'il connaissait tous les secrets de l'univers. L'apanage de ces hommes charismatiques et puissants, trop orgueilleux, dont le bavardage incessant passait pour le summum du savoir auprès des esprits faibles.


— Pour tout dire, monsieur Talbot, les femmes ne sont pas vraiment au goût...

— Kao ! coupa Chayan, le foudroyant du regard.


Il préférait que ses activités nocturnes – et illicites – ne soient pas ébruitées de la sorte. Kao était inconscient ! Un silence aigu altéra l'apparente gaité de cet échange courtois. Le tic toc de la montre à gousset arborée par le marchand résonna étrangement, comme un compte à rebours.



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15 commentaires

Nicolas Bonin

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Il y a un an

Pour l'instant ton récit est très fluide. Tu nous emmènes dans une homoromance de manière très naturelle, sans laisser la possibilité à un contresens. Peut être qu'on aimerait davantage sentir le danger de ces "nuits illicites" et on se demande également comment son vieux père voit la chose, en même temps l'histoire ne fait que commencer.

Cécile Marsan

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Il y a un an

Et bien ... Je me demande si c'est David n'est pas un vampire du coup quand jebreoenes au prologue, à la lueur qu'il y a eu dans ses yeux et au fait que Chayan le trouve très mature !

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

C'est possible ! :p C'est assez évident pour le lecteur en fait, je pense...

Chris Vlam

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Il y a un an

Deux frères en compétition pour un même homme, ça change des traditionnelles histoires hétéros. Moi aussi j'ai créé un triangle amoureux peu ordinaire, je sens que je vais trouver plaisir à te lire.

Mary Lev

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Il y a un an

Sacré Kao ! On ressent d’emblée beaucoup de sympathie et d’amusement pour lui. Tu apportes une touche de fantastique tout en subtilité avec le personnage de l’indien. Sincèrement je suis conquise 😍

MIMYGEIGNARDE

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Il y a un an

😊😊

Marion_B

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Il y a un an

Terrible ce chapitre. On s'attendait à ce qu elez chose dégénèrent mais la c'est Violent!
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