Fyctia

Baie de Tonsai, Krabi, ancienne Thaïlande, 1865

La tempête faisait rage. Un vent déchaîné soulevait des gerbes de sable avec une puissance inouïe, propulsant les grains ocre dans les airs. Un tourbillon poudreux se forma et des zébrures blanches crevèrent le ciel d'encre de leur éclat aveuglant.

Seule au milieu de cette étendue sauvage, les jambes immergées dans l'océan, une femme hurlait à en faire trembler l'univers. L'écho de son agonie déchirait la nuit ; un son guttural, effroyable, qui glaçait le cœur et figeait le sang dans les veines.

Un linceul blanc laissait entrevoir la peau pâle de la malheureuse. Ses cheveux d'obsidienne dansaient autour de sa tête, pareils à d'ignobles tentacules. Sa bouche s'ouvrait sur un souffle inhumain.

Les quelques maisonnettes échouées sur le littoral se désagrégèrent, insignifiants châteaux de sable balayés par le vent furieux. Les arbres de la forêt voisine plièrent, aussi frêles que des brindilles.

Krabi n'avait pas vu naître une telle tempête depuis des siècles et des siècles. Et c'est Ursula qui en était la source. La douleur d'une femme trahie est terrible, mais celle d'une sorcière... Que celui qui s'avise de contrarier cette créature rancunière prie pour son trépas ; il sera le plus doux des châtiments.

Le cœur de la belle et diabolique Ursula avait été piétiné, broyé, mis en miettes, sans l'ombre d'un remords, par ce vampire vaniteux, odieux comme l'enfer. Ce vampire qui se croyait au-dessus des lois de l'amour ! Jamais, oh non jamais, on ne l'avait humiliée de la sorte.

Son visage se déforma de haine, son souffle s'intensifia et on ne discerna bientôt plus qu'une impressionnante tempête de sable à des kilomètres à la ronde. Retentissante, sa lamentation secoua la terre qui se craquela de part en part. Elle provoqua un séisme, et dans son sillage, un tsunami sans précédent.

Puis, le hurlement de désespoir se transforma en sinistre incantation, semblant provenir des tréfonds de l'enfer.

« Chayan Ahunai,

Vil vampire, ignoble mâle, pourfendeur de mon cœur adorateur

Je te maudis.

Du lointain pôle nord au plus âpre désert du sud, de l'âge premier jusqu'à l'éternité,

Je te maudis.

Pour toute ta misérable existence inhumaine et infamante,

Je te maudis.

Que ton cœur glacé se fige pour toujours,

Que ton cœur pourrisse comme une rose desséchée,

Que l'ombre de ton âme disparaisse dans le néant

Aujourd'hui et à jamais, je te condamne à ne plus pouvoir aimer.

Aujourd'hui et à jamais, je te condamne aux ténèbres. »