Judi Stark Now Hell Chapitre 5 – Bûche glacée

Chapitre 5 – Bûche glacée

Les relations sont parfois si éphémères qu’il suffit d’une épreuve pour faire jaillir les tensions et les vérités les plus enfouies. Si Kaithleen encaisse les remontrances sans énervement, ce n’est pas le cas de Jackie qui s’emporte, s’époumone, crie au scandale.

— Si tu pensais tout cela, pourquoi te mettre en couple avec moi ?

— La réponse semble pourtant évidente, Jackie. La popularité. La meneuse des chearleaders et le capitaine de l’équipe de football sont sensés sortir ensemble.

Alors que la neige tombe plus intensément, que le vent froid cingle leurs visages, les trois jeunes se font face dans un échange houleux et glaçant.

— Alors je ne suis qu’un trophée pour toi ? lâche Jackie la voix éraillée par la déception.

— Tu t’attendais à ce que je t’aime pour ton intellect ? Tout le monde sait que Kaith fait tes devoirs à ta place ! balance Jeff avec fermeté.

Cette dernière relève ses lunettes de l’index, assiste à la scène sans prendre parti, mais bouillonne de l’intérieur. Pourquoi faut-il que l’espère humaine se querelle pour des broutilles ? Il faudrait voir la vie de manière globale, Kaith a l’intime conviction que les humains ne sont que des entités à la durée de vie limitée, notamment en ce qui concerne ses amis. Le but de l’existence reste inchangé depuis des milliers d’années, perdurer l’espèce en évitant qu’elle ne tue la nature. Voilà pourquoi Kaithleen apprécie ce lieu chargé d’âmes. Du coin de l’œil elle observe le lac recouvert d’une pellicule blanche et repère une masse sombre flottant. Aussitôt, l’apaisement s’empare de son être. Tout n’est qu’éphémère sauf l’immortalité prodigué par l’art. Celui-là même qui envahie l’imposante demeure de Nicolas et offre des perspectives d’avenir réjouissante.

— Il faut rentrer, avec toute cette neige, nous aurons du mal à retrouver notre chemin, propose Kaithleen, raisonnable. Peut-être pourrions-nous décorer un sapin de Noël ?

Ils se tournent vers elles et la fixent avec une certaine animosité. Sa proposition ne fait pas l’unanimité et se retourne contre elle.

— Travis a disparu et tu penses à la décoration ? s’égosille Jeff en s’approchant d’elle de manière menaçante.

— Il reviendra, assure-t-elle.

Effectivement, Kaithleen connaît à l’avance le projet réservé à ce jeune footballeur dragueur et immature. Malgré sa bonne humeur communicative et son humour à toute épreuve, Travis Maddox représente l’image d’un fléau sociétal. Il entre dans la catégorie de ceux qui bafoue la nature, qui se moque des répercussions sur le climat, qui souille le monde de son égoïsme permanent. Consommer toujours plus, polluer la terre, écraser les autres. Une mentalité qu’exècre Kaith mais dont sa petite bande d’amis se moque complétement. À commencer par Jackie Reynolds dont la garde-robe déborde, les produits cosmétiques pullulent et dont l’égo surdimensionné ne lui octroie pas la perspective de voir plus loin que sa propre personne. Pourtant Kaithleen avait essayé de s’intégrer au mieux comme à chaque emménagement, mais invariablement, elle évoluait dans un environnement souillé par des êtres affligeants.

Malgré ce règlement de comptes, ils décident de rebrousser chemin. Jeff prend la tête en décrétant que son sens de l’orientation est inné, Jackie au milieu se drape dans un mutisme hautain pendant que la timide Kaith ferme la marche. Ils luttent contre le vent de face, tentent de se réchauffer en glissant leurs mains dans les poches de leur manteau pas suffisamment épais pour ce climat et évoluent sans repère dans l’immensité de la forêt.

— Tu es sûr de toi ? Je n’ai pas le souvenir d’être passée par ici, s’écrit Jackie froidement.

— Ferme la et avance, riposte Jeff avec agressivité.

Lorsque les nerfs sont mis à rude épreuve, les véritables identités se dévoilent. S’aidant d’un lourd morceau de bois pour marcher, Kaith ne rechigne nullement durant cette ballade particulière. Elle sait qu’au bout du chemin, il y aura la promesse d’une activité réjouissante, alors, malgré le froid mordant, ses orteils qui commencent à geler, elle suit le mouvement d’un pas léger.

— Tu te prends pour qui, Jefferson ? n’oublie pas que tes biceps sont plus gros que ton cerveau !

— Moi au moins je prends les choses en main !

— À défaut, d’autre chose, se moque-t-elle ouvertement.

Touché dans son égo masculin quant à ses supposées piètres performances sexuelles de cette nuit, Jeff s’immobilise et se tourne pour faire face à celle qu’il pensait aimer. Pourtant, en contemplant son visage de poupée, ses lèvres charnues et son regard de biche, Jackie ne lui évoque que répulsion et colère.

— Qu’insinues-tu par-là ? J’ai tout fait pour toi ! enrage Jeff en brandissant son poing fermé.

Nullement impressionnée par cet excès de testostérone, Jackie retient un frisson glacé et le toise superbement avec, au fond des prunelles, une lueur perfide.

— Arrête de te regarder le nombril.

Son ton sec est à la hauteur de son assurance démesurée.

— Et toi d’être une putain de psychopathe ! éructe-t-il.

— Tu ne vaux rien sans moi, Jefferson !

Cette réflexion claque dans l’air, tout comme la véracité de ses propos. Jackie Reynolds parvient à captiver les foules, tenir sous sa coupe le lycée et manipuler à sa guise n’importe qui.

— Ne te prends pas pour ce que tu n’es pas, Jackie !

Jefferson Maddox, digne héritier d’un empire boursier, devrait se servir de son côté rusé afin de servir de plus noble cause que la sienne.

— C’est-à-dire ? demande-t-elle mâchoire serrée.

— Indispensable à ma vie !

Un point que partage Kaithleen. Après un échange de regards froids, ils se remettent en route dans un silence pesant. La neige tombe en gros flocons et la brume s’intensifie. C’est alors que Kaith trébuche sur une racine cachée et son bâton s’abat violemment sur la nuque de Jackie. Elle tombe et heurte une souche, le sang inonde aussitôt la blancheur de la neige et un ultime râle s’échappe de sa bouche. Horrifié, Jeff se jette au sol pour lui venir en aide.

Malheureusement, il est déjà trop tard. Son cœur cesse de battre, ses organes lâchent l’un après l’autre et la mort survient.

— Qu’as-tu fait ? hurle-t-il à plein poumon.

— Rien de dramatique, déclare Kaith d’un calme surprenant en réajustant la monture de ses lunettes sur son nez.

Observant son bout de bois semblable à une bûche au coulis de fruits rouges, elle se retient de goûter le sang qui le macule et accueille l’adrénaline avec délice. Qu’il est bon de passer les fêtes de fin d’année ainsi…


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1 commentaire

Nascana

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Il y a 3 ans

Travis et Jeff ont le même nom de famille ? J'ai un peu de mal à me représenter comment le bâton peut tuer Jackie.
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