Judi Stark Now Hell Chapitre 6 – Champagne !

Chapitre 6 – Champagne !

L’attente est délicieuse…

Nicolas n’est pas de ces êtres qui se précipitent mais de ceux qui savourent, qui prennent plaisir dans le cheminement plus que dans l’arrivée. Lorsqu’il était enfant, il pouvait rester des heures le nez collé à la vitre pour espérer apercevoir le vieux bonhomme rouge. Cependant c’était toujours son père à lui qui pointait le bout de son nez, et ce n’était pas des cadeaux qui emplissaient ses bras. Il ne perdait pas espoir malgré tout, sa patience finirait par payer. Il n’entendait plus les cris les verres brisés les objets fracassés. La neige tombait sur la laideur du monde alors que les mains serrées, il priait pour que son vœu soit exaucé.

Un frisson d’excitation pare sa peau alors qu’il s’avance sur le chemin. Malgré l’abondance des flocons, il ne peut nier que de voir l’accomplissement de son art dans son refuge est pour lui une superbe récompense, le champagne qui accompagne le dessert. La mort surpasse la vie ; et lui Nicolas leur offre à tous le cadeau de l’éternité. Un sourire jusqu’aux oreilles, il avance serein, presque guilleret sans se soucier ni du froid ni du vent qui frappe son visage. Ses pas savent exactement où se poser et il se sait attendu… Qui n’aimerait pas voir le Père Noël arriver en pleine tempête ?

Ce sont ses yeux qu’il voit d’abord, puis sa bouche qui forme une grimace presque risible et enfin sa main qui tient encore le couteau. Les traits de Nicolas se contractent, et ses yeux tombent sur les corps étendus aux pieds de la jeune fille. Le roi et la reine du bal de promo, la couronne en moins, le sang en plus. Le rouge et le blanc se mélangent.

Les deux couleurs de la mort, songe-t-il.

Même face à une scène devant laquelle il reste interdit, son âme d’artiste s’éveille et transcende ce qu’il voit. Son cerveau enregistre la position grotesque de ces deux pantins désarticulés, fauchés au sommet de leur gloire, comme s’il voulait s’en souvenir pour les retranscrire sur un tableau. Il a déjà le titre : « Le sacre de l’hiver. », un titre tout à fait propos.

L’un a le visage tourné vers le ciel et le regard effaré, l’autre mange la neige, la tête plongée dedans. Aux portes de l’éternité, les deux jeunes gens futiles sont incapables de regarder dans la même direction, de s’unir une dernière fois. L’instant se fige et il relève la tête au bout de plusieurs minutes. Le couteau ensanglanté est toujours dans la main, la bouche désormais pincée en une ligne étroite et contrariée et les yeux grand ouverts ont un éclat d’une intensité troublante.

Irréelle.

De la même couleur que les siens.

— Joyeux Noël, grand-père ! lance Kaithleen.

— Merci ma chérie, répond Nicolas.

Sans se soucier des deux cadavres, le grand-père et sa descendante se serrent dans les bras avec une tendresse infinie.

— Tu es venu trop tôt, le gourmande-t-elle, je voulais les installer de façon un peu plus harmonieuse…

Nicolas comprend son point de vue, il s’est fait la même réflexion. La mise en scène est importante pour mettre en valeur le sujet représenté, pour donner l’illusion de la vie… Sa première œuvre lui revient en mémoire. Sa mère. Il devait avoir une vingtaine d’années quand son père avait porté le coup de trop celui qui avait raccourci le fil de celle qu’il aimait plus que sa vie. Il aurait dû se résoudre à l’enterrer, ou à l’incinérer comme il était de coutume ; il n’avait pu s’y résoudre. Qui aurait accepté de se séparer d’un être à la fois chéri et vénéré, s’il avait les moyens de la garder près de lui ? Il lui avait redonné sa beauté, celle de sa jeunesse envolée, avait maquillé sa peau, couvert les bleus et les blessures, les traces de morsures et de cigarettes. Sous ses doigts habiles, elle avait repris vie. Pour toujours. Souvent encore, quand son moral faiblissait, il allait puiser du réconfort en serrant sa mère dans ses bras.

— C’est parfait, mon amour, la rassure-t-il. Tout est absolument parfait.

Il porte tendrement la main à la joue de sa petite fille et la caresse doucement jusqu’à ce qu’elle sourie de nouveau. L’amour qu’elle lui porte est si sincère que son coeur de vieillard s’enfle de joie. Le petit garçon déchiré par les cris de sa mère et les coups de son père retrouve espoir. Son vœu est grâce à Kaithleen chaque année exaucé, le vœu qu’il faisait enfant : « Père Noël, aide-moi à sortir de cet enfer. Que ce Noël soit différent des précédents, placé sous le signe de la beauté. » Un sapin chargé de guirlandes, des cadeaux soigneusement emballés, une dinde farcie et une bûche glacée pour le réveillon. En guise de présents, il préfère ceux que sa petite fille ramène à son attention : des jeunes gens pourris jusqu’à la moëlle à qui ils rendent service, en définitive. Ils les empêchent de souiller davantage la terre de par leur présence répugnante.

Le destin s’était cependant acharné sur Nicolas avec une déconcertante facilité. Sa femme avait voulu le quitter en découvrant son art mortifère. Lui, cet artiste unique au monde ! Il avait dû agir, l’amour pousse à toutes sortes de folie. Jamais il n’aurait pu vivre en la sachant loin de lui. Sa fille, ensuite, à qui il avait pourtant caché ses talents s’était fait la malle à seize ans pour rejoindre le capitaine de l’équipe de football local. Elle était revenue, sans le sou, sans bague au doigt et avec un polichinelle dans le tiroir.

Une petite fille qui avait pris la vie de sa mère et qu’il avait élevée dans la beauté, dans le secret, dans son refuge à l’écart de la cruauté du monde. Il lui avait tout raconté, et elle l’avait compris, avait bu ses paroles jusqu’à la lie, fait sienne sa vision des choses. Et c’est ainsi qu’un jour, elle lui avait offert ses premiers cadeaux. Des lycéens imbus d’eux-mêmes, vulgaires et médiocres. Il en avait pleuré de joie, l’élève dépassait le maître. Il n’avait plus rien à lui apprendre ; le jour où il mourrait, il serait en paix car il savait au fond de lui qu’il resterait à jamais près d’elle. Il jeta un regard aux corps déjà froids qui attendraient patiemment ses bons soins avant de reporter son attention sur la prunelle de ses yeux. Ce noël s’annonçait sous les meilleurs auspices.

— Rentrons à présent, lance Nicolas, joyeusement, le souper va refroidir…


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3 commentaires

Nascana

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Il y a 3 ans

Du coup, Trévis est mort ? J'aime bien l'idée du lien de parenté entre les deux personnages.

Rico76

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Il y a 3 ans

Je n’ai pas vu la fin venir bravo !

cedemro

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Il y a 3 ans

Vraiment flippante ton histoire ! La surprise sur Kaithleen aura été totale. Je me promets de relire lentement toute l'histoire sous peu pour bien saisir tous les détails. Bravo pour cette version vraiment sombre d'un réveillon de Noël !
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