Judi Stark Now Hell Chapitre 4 – Salades

Chapitre 4 – Salades

Par la fenêtre, Nicolas regarde les trois silhouettes s’éloigner sur le chemin, sous les flocons de neige. Bientôt une nouvelle blancheur immaculée s’abattra sur les bois, les routes, et les sentiers, recouvrant la noirceur du monde, la dissimulant sous une beauté glacée.

Ils n’ont encore rien vu, songe-t-il avec regret.

Comme s’ils avaient le diable aux fesses, ils se sont sauvés avant qu’il n’ait le temps de leur présenter la suite de son œuvre, sans parler de ses vivariums auxquels ils n’ont prêté aucune attention. Un soupir de frustration lui échappe alors qu’il se dirige vers le fond de son atelier et se penche vers les vitres en verre derrière lesquelles se trouvent ses si précieux trésors. Débordant de vie. Au milieu d’une végétation dense, il repère aisément les batraciens en raison de leurs couleurs vives : du jaune intense, du bleu irisé, du vert soutenu. Une palette de peintres mouvante et sublime. Pour un artiste tel que lui, l’émerveillement face à ces splendeurs de la nature est quotidien, chaque fois ravivé. Pour le reste des êtres humains, inconnu, méprisé, nié. Ils hantent cette terre sans en percevoir la quintessence, ne voient pas ce qu’ils sont sous les yeux. L’ignorance est le fléau de ce siècle, encore plus répandu parmi ces jeunes gens abrutis par leurs jeux vidéo et leurs réseaux sociaux. Nicolas tente de chasser cette pensée bien trop sombre en contemplant ses autres amis autour de lui, qu’il a su rendre, éternellement jeunes, éternellement beaux. Parfois il oublie qu’ils ont été empaillés par ses soins tant la vie semble imprégner leur posture et traverser leur prunelle.

Il est temps que d’autres les rejoignent, estime-t-il, un sourire s’épanouissant à nouveau sur ses lèvres...

Nicolas peine à se remettre debout, et retourne vers la fenêtre qu’il ouvre en grand, une odeur sauvage de pins et de terre humide le saisit. Les flocons tombent de plus en plus drus.

Les jeunes ne tarderont pas à revenir sur leurs pas.

Des cris lui parviennent, et il fronce les sourcils, les traits de son visage se contractant imperceptiblement. Ces jeunes n’ont décidément aucun respect pour rien et parviennent même à troubler la quiétude de cette forêt. Son agacement est tel qu’il referme d’un geste sec la fenêtre pour ne plus les entendre…

S’il n’avait pas été si vif à se renfermer dans son antre, Nicolas aurait découvert l’inquiétude qui perçait dans la voix des amis à la recherche de l’un des leurs. Travis n’était pas réapparu ni sur le sentier ni au bord du lac.

— Il ne doit pas être loin, tempère Jeff. Je suis sûr que c’est encore une de ses sales blagues…

Même à ses propres oreilles, ses mots sonnent faux. S’il essaie de ne pas affoler davantage les filles, il commence à redouter le pire. Aucune trace de son copain. Qu’il reste sourd à leurs appels lui semble suspect. Il aime plaisanter, ne manque jamais une occasion d’épater et d’amuser la galerie, mais choisir de les affoler volontairement ne lui ressemble guère. Il n’oserait pas s’en prendre à eux, les faire tourner en bourrique, leur faire croire qu’il lui est arrivé quelque chose de grave. Non, il n’oserait jamais.

Pourtant les minutes s’égrainent, en même temps que s’intensifie la neige qui tombe désormais à gros flocons, tapissant le sol d’un manteau givré sur lequel Kaithleen, Jackie et Jeff manquent de glisser. Aucune réponse en écho à leurs appels insistants. Soudain le pied de Jeff ripe sur une pierre, et il tombe lourdement sur le sol. Il jure ; son jean préféré est troué, ses mains abîmées et son honneur égratigné quand il lui semble percevoir un ricanement féminin dans son dos. Prêt à parier que c’est Jackie qui se moque de lui. Ce n’est pas le genre de la timide Kaith, mais tout à fait celui de sa petite amie officielle.

Si ce con n’est pas mort, c’est moi qui le tue, songe Jeff, en serrant les dents.

Il essuie ses paumes sur son jean, le maculant de sang. Une part de lui continue cependant de penser que c’est une nouvelle connerie de Travis. La première contre lui, cependant. La dernière aussi.

Jamais il n’oserait.

Avant peut-être, du temps où ils étaient les meilleurs potes, partageant tout : les conneries comme les filles. Mais maintenant Jeff s’était rangé, était devenu le capitaine de leur équipe de football, à la place de Travis et ne partageait pas sa petite amie.

— Ca va ? s’inquiète Jackie, culpabilisant de s’être moquée.

Pour qui le prend-elle ? Pour une chochotte ou un truc du genre ? Il la repousse sans ménagement, agacé par son empressement ridicule. Lui, c’est un mec, un vrai, et il ne va pas se mettre à chouiner pour une petite blessure de rien du tout. Quelle réponse pourrait blesser la populaire et sûre d’elle Jackie ? Il la trouve soudain pathétique alors que lui-même est au bord de la panique. Il sent que ce n’est pas une fille comme elle qui lui faudrait à ses côtés. Cette fille joue la comédie en toutes circonstances. La peur, le chagrin, l’amour. La reine du bal, la représentante des élèves et priant à l’église chaque dimanche. L’hypocrite a même été jusqu’à devenir amie avec la petite intello ringarde, fraîchement débarquée de sa campagne pour parfaire son image.

Pourtant cette fois, elle semble vraiment inquiète pour Travis et sournoisement, la jalousie se fraie un chemin dans son âme. N’y aurait-il pas quelque chose entre elle et lui pour qu’elle soit au bord de l’évanouissement ?

— Tu t’inquiètes beaucoup de la disparition de Travis, lâche-t-il.

— Evidemment, rétorque-t-elle, agacée.

— Tu couches avec lui ?

Cette question est sortie toute seule, comme si cela faisait des semaines qu’elle attendait tapie au chaud qu’une circonstance exceptionnelle la fasse jaillir. Son regard se pose derrière chaque arbre, se plante dans chaque buisson. Jackie avance d’un pas rapide, ne se plaint pas du froid qui les frappe de plein fouet, c’est sans doute ce qui le surprend le plus, maintenant qu’il y réfléchit. Comme un taureau prêt à charger, la poitrine de Jackie se gonfle, la colère remplace l’effroi et l’inquiétude sournoise qui la ronge depuis qu’elle a mis un pied dans ce fichu endroit.

— Tu penses que je me tape ton meilleur ami dans ton dos ?

— Cela ne m’étonnerait même pas. Regarde dans quel état tu te mets… Ta réaction est disproportionnée alors que Kaithleen reste raisonnable.

Cette dernière semble soudain gênée d’être prise à parti dans ce conflit amoureux. Furieuse, Jackie se tourne vers elle et la fusille du regard. Effectivement, la jeune fille ne paraît pas vraiment désarçonnée par la tournure que prend leur week-end. Les animaux empaillés, le propriétaire louche, le parquet qui grince. Cette fichue neige. Et maintenant la disparition suspecte de Travis. Bien trop à son aise. La petite ringarde intello devrait être en train de se faire pipi dessus alors qu’elle prend les choses avec calme et philosophie.

— C’est à cause de toi que nous sommes de ton merdier ! crache Jackie, en accusant injustement Jackie. C’est à toi de trouver une solution !


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2 commentaires

Nascana

-

Il y a 3 ans

S'ils commencent à se monter les uns contre les autres, on ne va pas s'en sortir.
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