Fyctia
Chapitre 1 – Amuses Bouches
Dans l’allée bordée de hauts sapins, Kaithleen avance l’imposante Dodge. La brume nocturne, semblable à de la fumée blanche, tapisse le sol. Les rayons de lune percent à travers les branches des arbres et distillent une ambiance lugubre.
— Tu es sûre d’être au bon endroit ? questionne Jackie depuis le siège passager.
Kaithleen réajuste les lunettes sur son nez, tient fermement le volant des deux mains et observe le GPS rapidement.
— Il semblerait, conclut-elle.
Face au regard sceptique de son amie Jackie et des grognements des deux garçons à l’arrière, Kaithleen doute également. Le site de location ne mentionnait pas l’environnement isolé du chalet. Par la vitre apparaissent des hectares de forêt enneigée, les quatre amis tentent de percer le brouillard mais ne découvrent aucune habitation à perte de vue. Et puis, au bout du sentier caillouteux, une demeure majestueuse se détache dans l’obscurité. La lumière du porche de l’entrée éclaire une silhouette imposante devant la porte.
— Je ne reste pas dormir ici, déclare Jackie.
— Tu as peur des fantômes ? se moque Travis.
— Pas du tout ! Mais cette baraque me colle des frissons.
— Je serais là pour te protéger, assure Jeff en bombant le torse.
Pour fêter la fin de l’année, tous les quatre ont décidé de louer deux chambres chez l’habitant sous l’impulsion de Kaithleen. Un petit écrin de verdure au cœur de la montagne, accueilli par un hôte artiste, idéal pour s’évader. Voilà la description de l’annonce qui leur avait tapé dans l’œil. Alors que Kaithleen gare la voiture devant l’imposant chalet, un frisson parcourt son dos et l’envie de faire demi-tour l’a saisie. Si elle ne ressentait pas ce besoin presque viscéral de se faire accepter dans son nouveau lycée, elle ne resterait pas avec eux.
Dès son arrivée à Forxhill, son allure d’intellectuelle et sa timidité lui valurent l’ignorance de ses camarades. Son amitié avec Jackie débuta uniquement grâce aux cheerleaders et ses aptitudes en gymnastique. Depuis quelques semaines, en plus d’être la coéquipière de la chef des pompom girls, Kaith aidait Jackie en réalisant la majorité de ses devoirs scolaires.
Un infime sacrifice qui lui octroyait une place au sein de ce lycée bourgeois.
— Je meurs de faim, déclara Travis en sortant du véhicule, j’espère qu’il nous aura préparé du cerf ou de l’ours !
Ce quaterback de l’équipe de football américain du lycée bénéficie d’un humour à toute épreuve et lui vaut une certaine sympathie de la part des joueurs. Et ce n’est pas Jeff, le Capitaine qui récolte les restes puisqu’il possède une solide réputation de tombeur et un intérêt peu commun pour les voitures de collection sans même avoir le permis. Voilà pourquoi, avec sa prudence et sa prévoyance, Kaith s’est vue confié la précieuse Dodge de Travis Pittsbury.
— Hors de question que je mange de la viande, se scandalise Jackie.
— Tant qu’il y a de la bière, tout me va, assure Travis en sortant à son tour.
Seule dans l’habitacle, Kaith distingue dans son rétroviseur intérieur le coffre s’ouvrir. Les mains toujours agrippées au volant, elle fixe la silhouette de leur hôte qui se découpe dans la lumière. Des épaules carrés, un ventre proéminent et des bottes montantes. Un mauvais pressentiment tenaille son ventre. Kaith sursaute lorsque Jackie cogne contre la vitre en lui faisant signe de venir.
C’est ton moment, Leen, s’encourage-t-elle mentalement, le début te paraît toujours compliqué à gérer, mais tu vas t’éclater ! Comme toujours.
En prenant une profonde inspiration pour se donner du courage, elle ouvre la portière et pose un pied sur le sol terreux recouvert d’une fine brume.
Tous les quatre se tiennent debout, dans le froid de décembre, à la fois épuisés par la route et excités par leur arrivée.
—Bienvenue au Green Wood, claironne la voix grave de l’homme.
Alors qu’il s’approche d’eux, sa bonhomie ne fait aucun doute. Pourvu d’une longue barbe blanche, de sourcils broussailleux et de petits yeux marrons rieurs, son bonnet en laine rouge cache une partie de ses cheveux argentés. Un corps rondouillard, des bretelles sur sa veste carmin et un pantalon en toile noire viennent compléter le tableau. Sous les yeux ahuris des jeunes, le sosie du Père-Noël se présente à eux chaleureusement.
— Je suis Nicolas, vous voilà chez moi pour quelques jours. Vous devez mourir de faim, je vous ai préparé une soupe avec les légumes de mon potager.
Il n’en fallait pas plus pour les rassurer. Chacun muni de son petit bagage, ils se présentent à lui. Jackie, avec son charme naturel parvient à capter l’attention de l’homme sans le moindre effort. Nicolas, dont l’inspiration jaillit instantanément, refoule son envie de la peindre en déesse sortant des eaux. Les garçons échangent avec lui des poignées de mains et quelques mots spontanément. L’artiste les visualise aussitôt en une jarre de terre cuite munie de deux anses. Et puis vient la présentation douce et pudique de Kaithleen Macperson.
— Enchanté de faire votre connaissance, monsieur Nicolas. Votre maison est surprenante. Il me tarde de la découvrir dans les moindres recoins.
Il émane d’elle une robustesse et une fragilité qui déconcertent l’homme. Sa créativité semble ne pas naître alors qu’il dévisage cette jeune fille. Ne voulant pas paraître impoli, il racle sa gorge et déporte son attention sur le groupe.
— Entrons ! leur propose-t-il d’un geste de la main.
Aussitôt la porte franchie, l’atmosphère légère change et devient pesante. La vaste entrée s’ouvre sur une pièce centrale desservant toutes les pièces au rez-de-chaussée. Un imposant escalier de style Tudor attire les regards. Le lustre muni de plusieurs branches oscille légèrement, le plancher en bois craque sous les pieds et l’odeur d’humidité assaille les narines. Jackie écarquille les yeux en découvrant les centaines de tableaux accrochés aux murs. Tous représentent des silhouettes de dos dans l’immensité de la forêt.
— C’est… C’est, bredouille-t-elle en perdant de sa superbe.
— Assez effrayant, effectivement. Cela symbolise le passage de la vie vers la mort, explique Nicolas. Pour autant, dans chacune de mes peintures, le chemin emprunté recèle de positivité.
Sceptique, Jeff fronce les sourcils alors que Travis se désintéresse de cette conversation en pianotant avec frénésie sur son téléphone.
— Voyez ici, déclare Nicolas en pointant du doigt un bosquet, il y a des fleurs invisibles au premier abord. Et puis là, les rayons du soleil illuminent le sentier. Des oiseaux construisent leur nuit à l’abri des regards, des chenilles glissent sur les feuilles. Tant d’infimes détails qui ne sont pas perceptibles au premier abord et qui font partie intégrante de l’existence.
— C’est une œuvre philosophique, déclare Kaith hypnotisée par les peintures. Vous mettez en évidence la noirceur alors que la beauté est présente partout. Il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir.
— Vous avez tout compris, s’écrit-il, ravi par cette analyse. Allons découvrir la suite…
5 commentaires
Nascana
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Il y a 3 ans
Rico76
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Il y a 3 ans
cedemro
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Il y a 3 ans