Fyctia

La dernière chose dont j’ai envie après deux heures de dédicaces épuisantes est de me retrouver sur une patinoire. A la place, je préférerais rentrer chez moi, enfiler mon pyjama le plus confortable et me terrer sous une montagne de couvertures. Mais le destin – ou plutôt ma maison d’édition – en a décidé autrement. Et me voilà assise à l’arrière d’un taxi avec Madison dont les éloges ne tarissent pas sur ma performance de l’après-midi.

— Sur les réseaux sociaux, les photos de ton dernier roman se multiplient. Les équipes d’Erin sont ravies de la portée de ce premier événement.

C’est vrai que je ne me suis pas si mal débrouillée. Surtout si on omet le moment gênant où j’ai oublié le prénom d’une lectrice en lui dédicaçant son exemplaire… Je jette un regard par la fenêtre. La nuit est déjà tombée et les décorations de Noël illuminent les rues de New-York.

Pourquoi diable ont-ils cru bon d’organiser une session de glisse avec mes lectrices ? N’auraient-ils pas pu choisir un simple café cosy, avec des chocolats chauds fumants et des bougies parfumées à la cannelle ? Non, il a fallu qu’on m’expose, moi et mon équilibre douteux, en plein cœur de Central Park. Joy a beau m'avoir donné quelques conseils au téléphone, je sais pertinemment que mes prouesses se résument à : rester debout sans me ridiculiser complètement.

Lorsque nous arrivons, la patinoire est déjà bondée. Plusieurs guirlandes lumineuses serpentent autour des barrières et des familles, couples et groupes d’amis glissent avec plus ou moins de grâce. Je fronce les sourcils quand je remarque Cameron déjà entouré par une dizaine de lectrices.

— Et voilà la femme qui m'a donné la vie, s’amuse-t-il en me désignant d’un geste de la main.

Son sourire arrogant et cette façon qu’il a de s’agenouiller devant l’une des lectrices pour lacer ses patins me crispent ; il sait qu’il est observé et il en joue à la perfection.

— Bonsoir, je lance d’une voix mal assurée en m’approchant de l’assemblée.

Après des salutations timides, les plus téméraires du groupe filent sur la glace, non sans faire promettre à James de les rejoindre bientôt.

— Stressée ?

— Pas du tout.

— Ah, vraiment ? Parce que je sens une tension là, dans tes épaules.

— Tu sais ce que je sens, moi ? Ton insupportable arrogance.

Son ricanement est la seule réponse qui me parvient. Puis Cameron vient s’asseoir sur le banc pour lacer ses patins avec une précision presque chirurgicale.

— A ton tour Holly Winters, ironise Cameron en désignant les chaussures noires que l’on vient de me tendre.

L’étape du serrage s’avère plus compliquée que prévu. La lame semble instable, et l’idée de devoir tenir debout dessus me file des sueurs froides. Je me redresse tant bien que mal et avance prudemment vers l’entrée de la patinoire. Dès que mes patins touchent la glace, mes jambes vacillent et mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je m'accroche désespérément à la rambarde alors que Cameron commence son numéro de charme : clins d’œil, sourires narquois, tout y passe ! Il accentue sa glisse et fait un tour rapide sur lui-même avant de s’éloigner d’un mouvement fluide. Évidemment, il est excellent. Bien sûr qu’il l’est.

Je peste intérieurement et tente d’avancer avec plus d’assurance. Mais à peine ai-je pris une impulsion que mon pied droit dérape et, en une fraction de seconde, je me retrouve projetée vers l’arrière.

Un cri m’échappe, mes bras battent l’air dans une vaine tentative de retrouver mon équilibre… et puis… BAM ! La chute est brutale. Mes fesses rencontrent la glace dans un bruit sourd et une onde de douleur remonte le long de ma colonne vertébrale. Autour de moi, quelques lectrices s’arrêtent, hésitant entre rire et s’inquiéter. Cameron, lui, n’a aucun doute et choisit la première option.

Je le fusille du regard alors que je sens mon visage virer au rouge poinsettia.

— Tu aurais pu au moins me rattraper ! je peste alors que je tente tant bien que mal de me relever.

— Pourquoi ? J’avais parié que tu tomberais en moins de cinq minutes. Et je suis ravi de constater que tu ne m’as pas déçu.

— James l’aurait fait, lui, je peste.

— On m’a demandé de jouer les bookboyfriend pour les lectrices pas pour le Grinch, rétorque-t-il avec un sourire en coin.

Je serre les dents et prends sur moi pour ne pas lui jeter mon gant au visage.