Fyctia

Une heure plus tard, mes fesses me font toujours aussi mal et je suis frigorifiée. Même le chocolat chaud que je tiens entre mes mains ne parvient pas à me réchauffer. Le café dans lequel nous nous sommes attablés est décoré avec une élégance festive qui flirte dangereusement avec le kitsch : de nombreuses guirlandes dorées sont suspendues au plafond, des bougies à la cannelle ont été déposées sur chaque table et un immense sapin scintille dans un coin de la pièce. L'odeur des épices de Noël qui flotte dans l'air rend l’atmosphère particulièrement chaleureuse. Elle me rappelle ces après-midis où Joy et moi restions lire des heures au coin du feu du Daisy’s à Mapple Bay.

— Holly, j'ai lu ton dernier roman en une nuit ! s'exclame une jeune femme aux boucles rousses. Je n'ai pas pu m'arrêter.

— Merci, c'est très gentil, je réponds en sirotant mon chocolat chaud enseveli sous une montagne de crème fouettée.

— Qu’est-ce que Noël représente pour vous ? demande soudainement une femme d'une quarantaine d'années. Dans vos livres, cette période est toujours empreinte de nostalgie.

Je sens mon visage se crisper face à cette question. J’ai mythifié cette fête dans mes romans, mais en réalité, elle rime souvent avec solitude et déception pour de nombreuses personnes. A commencer par moi…

— Euh, eh bien... je commence en triturant nerveusement ma serviette.

— Holly adore le contraste entre la magie apparente de Noël et les émotions complexes que cette période peut susciter, intervient Cameron à ma grande surprise. C'est ce qui rend ses descriptions si poignantes. Vous ne trouvez pas ?

Je croise son regard et y décèle une lueur inattendue. De la compassion ? Impossible.

— Exactement, je confirme en me ressaisissant. Noël est fascinant par sa dualité.

— C'est pour ça que votre roman « Décembre à Manhattan » m'a tant touchée, reprend cette même femme. On sent que vous comprenez cette ambivalence.

— Et vos traditions de Noël ? enchaîne une autre lectrice. Vous êtes plutôt sapin naturel ou artificiel ?

— Film de Noël préféré ? ajoute sa voisine sans me laisser le temps de répondre.

— Vous écrivez toujours avec des décorations de Noël autour de vous comme je l’ai lu dans l’article du Times ?

Les questions s'enchaînent comme une avalanche, me laissant à peine le temps de reprendre mon souffle. Comment leur dire que mon Noël se résume généralement à commander une pizza et à regarder Love Actually en pyjama, seule dans mon appartement ?

— Doucement, mesdemoiselles, intervient à nouveau Cameron. Vous allez lui faire regretter la patinoire.

Un rire général détend l'atmosphère et je lui adresse un signe de tête reconnaissant.

— Pour répondre à vos questions, je préfère les sapins naturels même si je dois passer la fin du mois de décembre à ramasser ses épines. Mon film de Noël préféré est The Holiday, et non, je n'écris pas entourée de guirlandes lumineuses toute l'année.

A ma grande surprise, le reste de la soirée se passe plutôt bien. On parle de nos derniers romans coup de cœur, de nos animaux de compagnie, de nos restaurants préférés et de James évidemment… Jamais je n’aurais pensé avoir autant de points communs avec des fans de Noël !

Bientôt, la plupart des lectrices commencent à partir. Je vérifie l'heure sur mon téléphone et soupire de soulagement. Plus que quelques minutes et je pourrai enfin m'échapper.

— Et voilà les cadeaux souvenirs, s'exclame Madison en distribuant des petits sachets de biscuits à la cannelle aux dernières lectrices présentes.

Je me force à sourire une dernière fois et à échanger quelques mots avec une lectrice particulièrement émue. Dès qu'elle s'éloigne, je m'affaisse sur ma chaise comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

— Je crois que je n'ai jamais été aussi fatiguée de ma vie, je murmure.

— Vraiment ? Vous m’avez pourtant semblé très... énergique sur la patinoire, ricane Cameron en rapprochant sa chaise de la mienne.

— Si vous faites encore une seule allusion à mes chutes, je vous jure que je vais…

— Que vous allez quoi, Holly Winters ? M'écraser sous le poids de votre ego d'écrivaine à succès ?

Son sourire en coin me donne envie de l’étrangler avec mon écharpe mais je me contente de lever les yeux au ciel. Ne pas lui donner la satisfaction de me voir réagir, voilà ma nouvelle stratégie.

— Je vais vous laisser, annonce Madison en enfilant son manteau. Summer, ton taxi est réservé. Il ne devrait pas tarder. Cameron, assure-toi qu'elle rentre bien.

— Je n'ai pas besoin d'un chaperon, je proteste.

Mais Madison est déjà à la porte agitant vers nous une main gantée en guise d'au revoir.

Le silence qui s'installe entre Cameron et moi est aussi glacial que la patinoire que nous venons de quitter. Il joue distraitement avec la serviette en papier devant lui, la pliant et la dépliant avec application tandis que je vérifie sans cesse si mon taxi est arrivé. Son indifférence à mon égard contraste avec son comportement attentionné de tout à l’heure.

— Pourquoi vous m’avez aidée tout à l’heure ? je demande finalement.

Cameron relève les yeux vers moi, surpris par ma question, avant de soupirer discrètement.

— De quoi vous parlez ? rétorque-t-il en arquant un sourcil.

Il va vraiment prétendre ne pas comprendre mon allusion ?

— Quand cette femme m'a posé une question sur ma vision de Noël.

Il hausse les épaules, comme si son geste n'avait aucune importance.

— C’est mon job de faire en sorte que tout se passe bien.

Je sens mon cœur se serrer légèrement. Bien sûr, que pouvais-je espérer d'autre ? Qu'il admette avoir eu un moment de compassion pour moi ?

— Eh bien, merci pour votre professionnalisme, je réponds plus froidement que je ne l’aurais voulu.

Cameron m’observe pendant quelques secondes avant de se lever et d’enfiler son manteau.

— Bon, puisque vous n'avez pas besoin de chaperon pour attendre votre taxi, je vais pouvoir retourner travailler. Il me reste encore deux trois détails à finaliser avant notre départ demain.