Fyctia
4. Summer (2/2)
Lorsque mon taxi s’arrête devant le Barnes&Noble, j’ai dû mal à réaliser ce qui m’attend. Des dizaines de personnes patientent le long du trottoir, mon dernier roman entre les mains. Malgré le froid, et leurs gants qui ne permettent pas de tourner correctement les pages, quelques téméraires tentent tout de même de débuter leur lecture.
Je descends du véhicule et repère Erin qui me fait un signe près de l’entrée. Je salue maladroitement quelques-uns de mes lecteurs et m’empresse de la rejoindre. Le sourire éclatant qu’elle me lance quand j’arrive à son niveau ne fait qu’augmenter mon malaise.
— Comment va la reine de Noël ? s’exclame-t-elle avant de me tirer à l’intérieur de la librairie.
Je m’apprête à grommeler une réponse politiquement correcte quand je me retrouve nez à nez avec…moi-même. Ou plus précisément avec une moi en carton, tenant son dernier roman dans les mains. Juste en dessous s’étale en lettre capitale : « Venez rencontrer la reine de Noël, Holly Winters ! » Et c’est sans compter les têtes de gondole qui proposent à l’achat mes cinq romans ni la banderole promotionnelle qui propose de rencontrer James Turner, leur nouveau bookboyfriend, à la patinoire à dix-huit heures. Tout me semble démesuré.
— Pas mal n’est-ce pas ? se félicite-t-elle.
D’un point de vue marketing, je suppose qu’une file d’attente aussi longue et que tous ces assets promotionnels sont formidables. Mais pour moi, cette mise en scène ridicule ressemble plus ou moins à ma définition de l’enfer.
Je suis Erin jusqu’à l’espace réservé à l’équipe de la maison d’édition au dernier étage du bâtiment. Quand j’entre dans la salle, Madison, mon attachée de presse, fronce les sourcils face à son ordinateur et Cameron est debout dans un coin de la pièce, sur son téléphone. Il porte un col roulé gris qui met délicieusement ses yeux en valeur. Ça me tue de l’admettre mais Joy a raison : mes lectrices vont l’adorer.
— Bon, l'idée est de te briefer avant que tu ne commences tes dédicaces, m’explique Madison après m’avoir saluée. On veut que tu te sentes à l’aise et que tu profites de ce moment. C’est la première fois que tu vas pouvoir échanger avec ceux qui te lisent.
Et c’est précisément ce qui m’angoisse. Qui va encore pouvoir croire à cette histoire de reine de Noël après m’avoir rencontrée ?
— Oui enfin c’est surtout pour éviter la catastrophe de la semaine dernière et préserver notre réputation, ajoute Cameron en s’avançant nonchalamment vers nous.
— Oh, arrête un peu Cameron, soupire Erin en levant les yeux au ciel. Summer n’a pas besoin que tu lui mettes encore plus la pression. Elle a très bien conscience des enjeux.
Il arque un sourcil et se tourne vers moi. Lorsque son regard trouve le mien, je sens mon pouls s'accélérer. Ce type a le don de me mettre hors de moi en moins de deux secondes.
— C’est juste un rappel, se défend-il. On ne veut pas d’un remake de…
— Elle le sait, le coupe Erin d’un ton sec. Et tout se passera très bien. N’est-ce pas, Summer ?
Je me racle la gorge et acquiesce malgré la boule dans ma gorge qui se fait de plus en plus présente.
— On est sérieuses, Summer, ajoute Madison en me prenant par les épaules. Profite de ce moment. Ces gens sont là pour toi parce qu’ils aiment tes livres. Tu n’as rien à faire de particulier, ils t’aiment déjà.
C’est peut-être ça le vrai problème. Ils aiment Holly Winters, la reine de Noël, pas Summer Flores, l’autrice qui préférerait être enroulée dans un plaid avec un bon café plutôt que d’être ici. Le reste du briefing est une liste de conseils aussi évidents que difficiles à appliquer : sourire, rester positive, raconter des anecdotes légères sur Noël et mon dernier roman. Quand l’horloge nous indique qu’il est l’heure d’y aller, je prends une profonde inspiration et emboîte le pas à mon attachée de presse. Cameron me talonne et son parfum - un mélange subtil de cèdre et de muscade - me percute de plein fouet et me ramène directement dans la pépinière de sapin de Mapple Bay. Une odeur qui m’agace autant qu’elle me trouble…
— Deux heures de dédicaces, me souffle-t-il discrètement à l’oreille. Pas une minute de plus. Et surtout, tu restes dans le personnage d’Holly Winters.
Je lève les yeux au ciel. Comme si le briefing de Madison et Erin n’avait pas été assez clair…
Quand nous pénétrons dans l’espace aménagé pour la dédicace, une vague d’applaudissements et de murmures excités me parvient. Au centre, trône une table couverte de mes livres, flanquée de deux chaises. L’une pour moi. L’autre pour Cameron. Génial…
Je m’efforce d’afficher un sourire éclatant et m’installe. Malgré le brouhaha ambiant, je parviens à déceler une horrible playlist de chants de Noël en arrière-plan. Il ne manquait plus que ça ! Des marqueurs aux couleurs verts et dorés sont à ma disposition pour les signatures et je remarque une pile de stickers aux motifs de saison à ma droite.
La file avance lentement. Des lecteurs de tous âges, principalement des femmes, prennent le temps de me parler de mes romans, de mes personnages. Certains me posent des questions sur mon process d’écriture et sur mes prochains projets. C’est à la fois touchant et terrifiant. Je souris, je remercie, je griffonne des dédicaces en essayant d’être exactement ce qu’ils attendent de moi. Mais c’est plus difficile que prévu. Chaque remerciement enfonce un peu plus le clou de ma culpabilité. C’est pour ça que j’ai toujours refusé de les rencontrer. Je savais pertinemment que je ne supporterais pas ce jeu de faux-semblants. Surtout quand certaines lectrices ne font aucun effort pour cacher leurs coups d’œil appuyés vers Cameron.
— James, tu pourrais écrire aussi quelque chose dans mon livre ? ose l’une d’entre elles.
Avec un sourire charmeur, Cameron attrape l’un des stylos sur la table et écrit une phrase à côté de ma signature. Puis avec une lenteur étudiée, il tend le livre qui fait rougir la pauvre fille.
Je roule des yeux discrètement mais pas assez pour échapper à la surveillance de mon voisin de l’après-midi.
— Jalouse, Holly ? murmure-t-il assez bas pour que seule moi l’entende.
Je serre la mâchoire et attrape le livre suivant.
— Pas du tout, James.
Le sourire de Cameron s’élargit et l’envie grandissante de lui balancer une répartie bien sentie me brûle les lèvres. Mais son regard amusé et l’odeur entêtante de son parfum boisé me déstabilisent une seconde de trop. Bordel, pourquoi fallait-il qu’il sente aussi bon ?
10 commentaires
Zebuline
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Il y a 23 jours
Zebuline
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Il y a 23 jours
Elyne C. Garner
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Il y a 24 jours
Livia Thomson
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Il y a 12 jours
Marie Andree
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Il y a 25 jours
JULIA S. GRANT
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Il y a 25 jours
Marie Andree
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Il y a 25 jours