Fyctia
9
Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais sur ce foutu parking. J’avais perdu la notion du temps. En tout cas, la nuit commençait à tomber et la fraîcheur gagnait du terrain sur l’ensoleillement. Je m’étais toujours dit que j’apprécierai le premier vrai bol d’air pur à sa juste valeur. Evidemment, pendant ma rééducation, on m’avait sorti régulièrement. D’abord en fauteuil roulant puis avec des béquilles. Mais je me faisais plus l’effet d’être un prisonnier en permission ou un détenu à sa pause chronométrée. L’oxygène sans contrainte n’avait pas le même goût. Pourtant, je n’étais pas aussi enthousiaste que je l’avais imaginé. Mes pensées étaient trop accaparées par les événements du jour. Je m’étais réveillé ce matin avec tout un tas de convictions et elles venaient d’exploser en plein vol, une par une.
Une voix bien familière me sortit de ma réflexion.
— Sylvain ? Et bah qu’est ce que vous faîtes encore ici ? C’est moi ou l’odeur d’hôpital que vous avez tant de mal à quitter ?
Monica. Elle venait de finir son service comme tous les jours. Au moins, elle, elle restait la même. Fidèle. Parce que je n’avais aucun secret pour elle, je me confiai sans me faire prier.
— Je viens d’apprendre que la femme qui m’avait soutenu pendant mon coma n’était pas celle que je croyais.
Elle soutint mon regard sans ciller. Je compris tout de suite.
— Mais bien sûr, vous le saviez.
C’est pour cette raison qu’elle n’aimait pas m’entendre parler de la vraie Maude. Elle n’était pas jalouse, non. Elle était juste agacée parce qu’elle connaissait la vérité.
— Ce n’était pas à moi de vous le dire, devança-t-elle ma question.
Je soupirai. J’avais le sentiment d’être le dindon de la farce.
— Et que faîtes vous ici ? Vous devriez plutôt être en train de remercier la femme qui vous a sorti du coma et qui vous aime, non ?
J’eus un sourire triste.
— Elle m’a sans doute sauvé la vie, ça c’est vrai, mais pour ce qui est du reste…
Monica secoua la tête.
— Qu’est ce que vous croyez ? Qu’elle s’est sacrifiée par pure amitié envers vous ?
Je fronçai les sourcils. Qu’est-ce qu’elle racontait ?
— Ecoutez, j’ai vu cette femme vous soutenir tous les jours, vous tenir compagnie, vous insufflez de l’espoir, vous parlez du quotidien, de votre famille, de vos amis pour que vous ne soyez pas complètement à la ramasse à votre réveil, pour continuer à vous inclure dans leurs vies, dans SA vie…Et puis un jour, vous avez fait ce qu’elle attendait depuis si longtemps, vous vous êtes réveillé…Et là, l’ingrat que vous êtes avez fait une déclaration d’amour à une autre femme ! Si ça avait été moi, je vous aurais mis une bonne droite pour vous replonger aussitôt dans le coma ! Mais, elle, elle a été cherché cette femme pour vous faire plaisir. Parce qu’elle ne voulait que votre bonheur. Elle a mis sa douleur et son égo de côté et elle s’est sacrifiée. Je ne vois pas d’autres mots…
— Mais si elle m’aimait vraiment comme vous dîtes, elle ne m’aurait pas poussé dans les bras d’une autre…
— Mais, enfin, Sylvain ! Qu’est ce qu’il vous faut de plus comme preuve ! Elle vous a donné ce que vous vouliez parce qu’elle était morte de trouille à l’idée que vous puissiez retomber dans le coma ! Vous lui auriez demandé le Père Noël en vous réveillant qu’elle serait allée le chercher en Laponie et l’aurait ramené en le traînant par sa barbe jusqu’ici !
Je souris mais je n’étais encore pas tout à fait convaincu. Ou plutôt, je n’osais y croire.
— Elle est avec quelqu’un…
— N’importe quoi !
— Si…Florian Costa…L’autre type de l’accident…
— Costa ? Oh, Sylvain ! Ce n’est arrivé qu’une fois entre eux deux ! Il passait son temps à lui tourner autour, il faisait semblant de s’intéresser à votre santé mais on voyait bien que c’était elle qui attirait son attention. Mais elle, elle n’avait d’yeux que pour vous. Il passait beaucoup de temps là…elle était malheureuse, alors, oui, un jour ça a dérapé ! Ce sont des choses qui arrivent mais dès le lendemain c’était fini entre eux !
Je restai muet, tâchant d’enregistrer ces nouvelles informations.
— Entre nous, Sylvain, qu’est ce qui vous ennuie plus ? Qu’elle ait eu une relation avec le responsable de votre accident ? Ou bien qu’elle n’en ait pas eu avec vous ? N’auriez vous pas réagi de la même manière si ça avait été n’importe quel autre homme ?
Si.
Je n’osai pas l’avouer à voix haute alors Monica enfonça le clou :
— Sylvain, peu importe son prénom, cette femme vous a rasé tous les matins. Elle trouvait que les infirmières le faisaient mal. Elles n’ont pas beaucoup de temps par patient, elles vont vite alors elles vous coupaient un peu parfois. Elle ne le supportait pas. Finalement, elle s’est mis à le faire toute seule. Elle a aussi appris à vous mettre une perfusion. Elle disait que les infirmières vous faisaient des bleus. Pas toutes. Certaines, comme moi, avaient ses faveurs. Du coup, nous on avait le droit de vous approchez… Pourquoi croyez-vous que je me suis retrouvée dans votre service de rééducation ? Elle a campé dans le bureau du directeur jusqu’à ce qu’il daigne m’affecter à ce poste ! Et un jour, un médecin est entré dans la chambre, il s’est trompé de patient, il voulait vous emmener pour une opération. Elle est montée sur le lit et s’est allongée sur vous en étoile de mer pour ne pas qu’il vous prenne. Je n’avais jamais vu ça !
Je ne pus m’empêcher de rire à cette vision.
— Elle vous aime. Ça c’est sûr. Reste à savoir ce que vous éprouvez, vous.
Sur ces bonnes paroles, Monica tourna les talons.
Je la rattrapai pour un dernier câlin. Elle l’avait bien mérité. Elle fit semblant d’être gênée.
— Ça suffit ! Allez plutôt la retrouver !
Je lui adressai un dernier regard et courus lui obéir.
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