Fyctia
4
Je repris les esprits dans un petit box, allongée sur un lit. Ma cheville douloureuse était bandée. Décidément, perdre connaissance avait été une excellente idée. J’avais été prise en charge plus rapidement et Sylvain semblait avoir oublié que l’infirmière m’avait appelée Maude, quelques temps plus tôt.
— Bah alors ? C’est de me revoir qui te fait cet effet là ? Je n’avais encore jamais fait cette impression à une femme !
Je tâchai de lui sourire mais je crois bien que je grimaçai. Je n’avais jamais été très à l’aise quand il faisait ce genre de plaisanterie. Sans doute, parce que je ne voyais pas ce qu’il y avait de drôle à pouvoir envisager que Sylvain me fasse de l’effet.
J’espérais que ma récente perte de connaissance me dispensait d’une réponse. Apparemment, oui. Il secoua la tête, un large sourire aux lèvres en me tapotant la main, l’air de dire « Ah sacrée, Audrey ! » ou pire « cette bonne vieille Audrey ». Intérieurement, je rongeai mon frein. Il était beaucoup trop jeune pour employer des expressions de ce genre, même en pensées et surtout pour parler de moi ! Mais c’était comme ça qu’il me voyait : une amie, une sacrée-bonne-vieille amie. Rien de plus. J’avoue avoir songé qu’il pourrait en être autrement après son coma. Je m’étais laissé dire qu’après une telle épreuve, les personnes se réveillaient avec une nouvelle acuité, une révision de leurs priorités. Si la nuit portait conseil, j’imaginais qu’à son réveil, Sylvain serait devenu une sorte de moine bouddhiste, pétri de sagesse et de grande philosophie. Mais, visiblement, durant son sommeil, Sylvain n’avait fait que dormir. Pas de prise de conscience subliminale. A son réveil, il avait les mêmes mots à la bouche qu’avant sa descente aux enfers. Et ça n’était pas mon prénom.
Rose débarqua dans la pièce, mi-inquiète, mi-amusée. C'est souvent l'effet que je faisais aux gens. Soit je leur faisais peur (exemple : le pompier qui m'avait conduit jusqu'ici), soit je les faisais rire (exemple : Sylvain).
Elle gloussa.
— Tu sais que tu m'as fait peur, quand même ? Qu'est ce qui s'est passé ? Tu as oublié de déjeuner ou quoi ?
Je fis la moue. Je n'en avais aucune idée. Quelle heure était-il ? C'est vrai que mon ventre commençait à gargouiller.
Le type en blouse blanche qui avait dû s'occuper de mon bandage intervint.
— Beaucoup de personnes sont sujettes à des étourdissements dans les hôpitaux…
Rose leva les yeux au ciel. Heureusement, le médecin lui tournait le dos.
— Elle a dû passer plus de temps dans cet hôpital que vous, docteur ! Je doute que ce soit ça.
Piqué au vif, le toubib me conseilla de rester encore allongée quelques instants et s'éclipsa tandis que Sylvain fronçait les sourcils en regardant Rose.
— Qu'est ce que vous voulez dire par là ?
— Eh bien que ce jeune médecin vient tout juste de débarquer ici...alors avec le nombre de visites qu'a fait M...Aïe !
Rose n'eut pas le temps de finir sa phrase, je venais de lui broyer la main. Je m’excusai :
— Oh ! Pardon, je suis désolée ! C'est que j'ai ressenti une grosse douleur dans la cheville, tout à coup !
Perplexe, l'infirmière plissa les yeux en se massant le dos de la main.
Je soutins son regard en espérant lui faire passer un message par télépathie.
— Bon… Bien… Je devrais peut-être vous laisser un moment seuls tous les deux ? m'interrogea-t-elle des yeux.
Le message avait été brouillé. Manifestement, elle pensait que je voulais m'envoyer en l'air avec Sylvain. Tant pis. Le résultat était le même. Si elle quittait la pièce, le danger serait écarté.
— Oui. Tu dois avoir un tas de travail à faire. Je vais rester là encore un petit quart d'heure comme l'a dit le médecin puis je passerai te dire au-revoir avant de partir.
Elle prit congé et referma la porte derrière elle. Mon ami d'enfance semblait de plus en plus perturbé. Il se laissa tomber sur une chaise à côté de la table d'auscultation sur laquelle j'étais semi-allongée.
— Pourquoi tout le monde semble te connaître ici ? Et pourquoi a-t-elle dit que tu venais souvent ?
Je me mordis la joue. Il fallait que je trouve un mensonge crédible. Là. Tout de suite. Pourquoi l'inspiration foutait-elle le camp à chaque fois qu'on avait justement besoin d'elle ?
Sylvain n'en manquait pas, lui.
— Tu es malade ?
Quoi ?
— Tu es gravement malade, c'est ça ? C'est pour ça que tu passes autant de temps ici et que tout le monde a l'air de te connaître ?
Je l'interrompis aussitôt.
— Mais, non, pas du tout ! Je te jure !
C'est vrai que ça aurait fait un mensonge plus que crédible mais je voyais déjà que cette idée l'inquiétait. Après tout ce qu'il avait traversé, il n'avait pas mérité ça. S'imaginer que sa meilleure amie (l'étais-je toujours ?) était malade, le replonger dans l'univers des hôpitaux, des soins et des espoirs de guérison. Je ne pouvais pas lui faire ça.
— Mais alors quoi ?
Comme je voyais bien qu'il ne me croirait sortie d'affaires qu'à condition que je lui donne une raison plus que valable de mes allers et venues, ici, je capitulai et inventai un bobard.
— Ce n'est pas moi qui suis malade. C'est…un ami. Je viens le voir très régulièrement.
Il se redressa sur sa chaise.
— Un ami ? Qui est-ce ?
Merde ! C'est vrai que lui et moi avions les mêmes amis ! Il connaissait tout de ma vie, y compris les personnes qui la composaient. Je tentai tout de même ma chance.
— Tu ne le connais pas.
— Un ami que je connais pas ?
Son ton était de plus en plus suspicieux et son regard se faisait inquisiteur. Je fis semblant de m'énerver. La meilleure défense restait l'attaque.
— Oui, un ami que tu ne connais pas ! Je te rappelle que tu as passé beaucoup de temps enfermé entre ces murs ! Il s'est passé des choses à l'extérieur pendant ce temps là ! Le monde ne s’est pas arrêté de tourner !
J'avais été plus dure que ce que je n'avais voulu. Mais ça eut le mérite de lui faire perdre l'envie de me poser des questions.
— Oh, je vois...Tu as rencontré quelqu'un...
Je demeurai muette. Je n’avais pas imaginé qu’il envisagerait cette éventualité. Pourtant, de son point de vue, ça devait être logique. Comme je ne répondais pas, il ajouta :
— Je trouve ça super, tu sais ? Je ne vois pas pourquoi tu hésitais à me le dire. Je me doute bien que la vie a continué son cours sans moi. (Il prit un air grave) Je n'ai pas envie que vous preniez des pincettes avec moi, Audrey. Surtout, pas toi.
Avant de me laisser, il me fit promettre de ne plus rien lui cacher, de ne jamais essayer d'embellir les choses ou de l'épargner. Il en avait marre d'être le patient, celui dont on s'occupe. Il n'était pas en sucre. Il n'était plus faible. Et il espérait bien que les autres (moi) en prennent acte.
Une douleur qui n'émanait pas de ma cheville mais de la poitrine me fit monter les larmes aux yeux. Je lui avais menti. Je m'étais convaincue que c'était pour son bien mais subitement, je n'étais plus très à l'aise avec tout ça.
5 commentaires
Sissy Batzy
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Il y a 5 ans
Elsa Carat
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Il y a 5 ans
Karl Toyzic (Ktoyz)
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Il y a 5 ans