Fyctia
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Mon idée n’allait sûrement pas m’aider à rassurer Jérémy sur mon équilibre psychique mais j’y tenais. Faire un dernier tour du complexe hospitalier, repasser par tous les services où j’avais été successivement affecté me paraissait être une bonne fin, une façon symbolique de faire mes adieux à cet établissement qui avait été ma résidence pendant ces quinze derniers mois. J’avais besoin de ça. Jérémy avait dû le comprendre parce qu’il avait accepté de m’accompagner dans cette visite incongrue alors qu’il pensait seulement venir me chercher, regarder le médecin signer mon autorisation de sortie et me mettre fissa dans sa voiture direction mon appartement.
Je décidai de refaire le cheminement inverse de mon hospitalisation. Nous fîmes d’abord nos adieux à ma dernière demeure, au service de rééducation. Les salles de sport, les salles de repos, le bureau des kinésithérapeutes et des infirmières. Monica avait les larmes aux yeux en me serrant dans ses bras et je la traitai de pleurnicheuse avant que mes propres yeux ne deviennent trop humides. Mon docteur référent me donna une tape dans le dos. Je crus que mes poumons allaient se décoller. Je saluai ceux qui, tour à tour, avaient été mes sauveurs, mes bourreaux, mes sources d’espoir et mes réparateurs. Ce lieu avait été l’antre de nouvelles souffrances (j’ignorais que réapprendre à marcher pouvait être aussi douloureux) et aussi de joies inédites (qui aurait cru qu’un jour, je crierais de bonheur parce que j’avais réussi à lever mes deux bras en l’air en même temps sans aide).
Nous sortîmes du bâtiment dédié à la rééducation pour entrer dans l’hôpital à proprement parler qu’il jouxtait. Monica nous accompagnait. Etant donné qu’elle avait également été mon infirmière dans ce service (même si je n’en avais aucun souvenir), elle venait de décréter qu’elle avait bien le droit à un second câlin dans ces lieux. J’étais tout à fait d’accord avec ça. Grâce à elle, nous pûmes entrer dans la chambre qui fût la mienne pendant longtemps, même si un nouveau patient occupait le lit. Notre présence ne le gênerait pas. Il était dans le coma lui aussi. En le voyant étendu, immobile, branché à tout un tas d’appareils, j’avais du mal à imaginer que j’avais été à sa place quelques longs mois plus tôt. Ma convalescence m’avait paru interminable mais à ce moment précis, je me rendais compte du fossé qui séparait mon Moi-actuel de mon Moi-comateux. Je me demandais aussi ce qu'avaient pu éprouver mes proches en me voyant dans cet état.
Jérémy sortit précipitamment de la pièce, ce qui me donna un certain ordre d'idées quant à la période difficile qu’il avait dû traverser.
Monica et moi ne fûmes pas longs à le rejoindre dans le couloir. Au bureau des infirmières, il n’y eut pas de grandes effusions. Dans ce service, je n’avais été qu’un fantôme. Monica, elle, prit sa dose de câlins et m’étreignis longuement. Je retins difficilement mes larmes mais je ne pleurai pas. Notre relation s’achevait là. Monica voulait me laisser faire le reste de mon pèlerinage sans elle.
La gorge nouée, je conduisis Jérémy à l’étape suivante. Les soins intensifs. Là où j’avais passé quelques semaines avant d’atterrir dans la chambre de fantômes. Une visite éclair. Nous n’avions pas vraiment le droit d’être là-bas. La plupart des accès nous étaient refusés et il y régnait une détresse et une urgence qui eurent tôt faits de nous mettre mal à l’aise. Là encore, je mesurais ce qu’avait pu endurer mon entourage : mes parents, Maude, Jérémy…Qui d’autres ? Audrey, sans aucun doute. Je ne savais même pas qui avait été vraiment présent lors de ces moments douloureux. Il faudrait que je me renseigne pour pouvoir remercier tout le monde. Mais pour l’heure, nous avions un dernier endroit à visiter. Celui où tout avait commencé. Là où on m’avait immédiatement conduit après l’accident : les urgences de Saint Georges.
Jérémy traînait un peu des pieds. C’est vrai qu’au bout du compte, nous avions beaucoup marché dans les dédales du complexe hospitalier. Je lui promis que je n’en avais pas pour très longtemps. Je voulais juste m’imprégner une dernière fois de cet endroit, lui faire mes adieux et peut-être aussi me pavaner un peu. Déambuler dans ce service, en pleine capacité physique, avait un petit goût de vengeance réjouissant.
Je crois que Jérémy la reconnut avant moi. C'est en suivant son regard surpris que je la découvris à mon tour, assise dans la salle d'attente. C'était assez ironique de la retrouver ici justement au moment où je m'apprêtais à quitter les lieux. Elle n'avait pas changé. Ses cheveux roux étaient attachés sur le sommet de sa tête et dégageaient sa jolie nuque. Des boucles rebelles tombaient sur ses pommettes hautes. Elle fixait le mur en face d'elle, le regard vague. Elle avait toujours été du genre rêveuse. Je me demandai subitement si elle avait assisté à mon admission aux urgences et aux soins intensifs. Très certainement. Elle n'avait pas été blessée dans l'accident mais elle était présente. Et puis c'était mon amie d'enfance, je savais sans avoir besoin de m'en souvenir qu'elle avait été là, pour moi. Au début, en tout cas. Je savais aussi qu'avec le temps le nombre de mes visiteurs avait diminué. Je ne lui en voulais pas. C'était la logique des choses. Les mois s'écoulaient. La vie continuait. Et moi, je stagnais.
Je l'apostrophai :
— Audrey ?!
Elle ne réagit pas immédiatement, sûrement encore un peu perdue dans ses rêves.
— Audrey ? C’est bien toi ?
Je m’en voulus aussitôt pour cette banalité mais elle me reconnut enfin et un joli sourire illumina son visage. Elle me scruta de la tête aux pieds mais semblait incapable de prononcer un mot. Faisais-je si peine à voir ?
— Alors ça y est, tu es remis sur pieds ? se décida-t-elle enfin. Je suis vraiment vraiment heureuse pour toi. Tu as l’air en super forme. Vraiment, ça me fait très plaisir de te voir comme ça.
Je ne pus m’empêcher de me moquer gentiment.
— Moi aussi, je suis vraiment content de te voir.
De toute évidence, Audrey avait l’air mal à l’aise. J’imaginais qu’elle se sentait coupable de n’être pas venue me voir depuis le début de ma rééducation. J’aurais voulu la rassurer, mais une infirmière me coupa la chique en fonçant vers nous.
— Maude ? Le docteur est prêt à te recevoir si tu…
Elle me dévisagea en se rendant compte de ma présence et puis, je crois qu’elle prononça un « bonjour » mais je n’en fus pas sûr. J’étais un peu perdu, cette infirmière venait d’appeler Audrey, Maude (Maude, comme ma compagne), et pourtant, elle la tutoyait comme si elle la connaissait bien…Je n’eus pas le temps de poser la question qui me brûlait les lèvres, Audrey s’effondra sous mes yeux.
2 commentaires
Karl Toyzic (Ktoyz)
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Il y a 5 ans