Elsa Carat Rencontre surprise à l'hôpital St Georges 1

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Mon grand frère entra dans la chambre sans frapper, une mauvaise habitude qu’il avait depuis qu’on était mômes.

— Ça va ?

Il avait aussi le chic pour poser les bonnes questions au bon moment, comme demander « ça va » alors qu’il se trouvait dans un hôpital.

— Ouais.

Peu convaincu par ma réponse, il avança dans la chambre et s’installa sur le fauteuil placé au bout du lit.

— Ça t’arrive de répondre honnêtement à cette question ?

Quelqu’un frappa à la porte. Je criai « entrez », trop heureux de la diversion.

— Bonjour Monica.

C’était l’infirmière. Je m'adressai à mon frère avec emphase :

— Tu vois, elle, elle comprend qu’il faut frapper. Et pourtant, Monica est pratiquement chez elle, ici. Sans parler que je n’ai plus rien à lui cacher !

Tout en débarrassant mon plateau repas du matin, elle haussa les sourcils, deux fois. Une de dépit parce qu’effectivement elle passait le plus clair de son temps sur son lieu de travail et une autre, parce qu’elle devait être en train de visualiser mon anatomie qu’elle connaissait par cœur, maintenant. En arrivant à l’hôpital, j’avais dû laisser pudeur, inhibition et amour-propre au vestiaire.

Jérémy secoua la tête.

— Ne change pas de sujet, Sylvain.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Personne ne répond jamais honnêtement quand tu lui demandes si ça va…Tenez, Monica ! (Nouvel haussement de sourcils) Comment allez-vous, aujourd’hui ?

— Bien.

Je reportai mon attention sur mon frère.

— Tu vois ? En vrai, Monica ne va pas bien. Elle vient d’enfiler trois nuits de garde de suite, n’a visiblement pas eu le temps de se coiffer ce matin et elle n’a pas siffloté en entrant, ce qui veut dire qu’elle n’a pas fait l’amour hier soir.

Mon infirmière qui était en train de prendre ma tension se fit un devoir de serrer l’appareil au maximum autour de mon bras. Je grimaçai. Monica avait de la force. Il en fallait pour manipuler patients et literies à longueur de journées. Mais elle me décocha un petit sourire en coin que je lui rendis. Nous étions plutôt complices. J’avais l’impression qu’on se connaissait bien tous les deux, rapport aux deuils de ma pudeur, de mon inhibition et de mon amour-propre, j’imagine.

— J’irai très bien qu’en vous serez sorti d’ici et que je ne vous aurai plus dans les pattes, Sylvain.

Elle mentait. J’allais forcément lui manquer. Elle s’était occupé de moi pendant mes huit mois de coma puis, par la suite, pendant ma rééducation. Le complexe hospitalier disposait des deux services. Elle m’avait expliqué s’être retrouvé une nouvelle fois à mon chevet par hasard (une histoire de remplacement d’une collègue partie en congé maternité) mais je préférais croire qu’elle avait choisi de me suivre. Elle m’avait rasé, lavé, changé, nourri par intraveineuse. J'étais devenu une sorte de poupon en plastique pour elle. Alors quand je m’étais subitement mis à parler et à bouger, elle avait dû réaliser un rêve de petite fille.

— C’est faux. Je vais vous manquer. Mais je reviendrai vous voir.

Elle leva les yeux au ciel en détachant l’instrument de torture de mon biceps. Il faisait peine à voir. J’avais beau me donner à fond pendant mes séances avec le kinésithérapeute, j’étais encore loin d’avoir retrouvé ma musculature d’avant l’accident. Les médecins disaient que je ne pourrais sans doute jamais recouvrer toute ma forme physique. Ce à quoi je répondais qu’ils avaient aussi sous-entendu à mes proches que je ne me réveillerais pas.

Monica soupira en rangeant quelques ustensiles sur le chariot qu’elle traînait partout avec elle.

— Me rendre visite, hein ? Ils disent tous ça.

Je perçus une pointe de fatalité dans sa voix. Elle était déçue et résignée. Je ne la démentis pas. En toute honnêteté, après huit mois passés dans le coma et presque autant en rééducation, j’étais convaincu qu’une fois enfin sorti de cet établissement, soit dans une dizaine de jours m’avait affirmé le médecin, je ne pourrai plus voir un hôpital ailleurs qu’à la télé. Curieusement, ma passion pour les séries hospitalières ne m’était pas passé depuis mon réveil en soins intensifs.


Jérémy rompit le silence gênant qui commençait à s'installer.


— Au fait, Maude m’a chargé de te dire qu’elle passerait ce soir, dès qu’elle aura fini le boulot.


J’acquiesçai. Fidèle au poste. Elle m’avait beaucoup aidé durant mon coma. Malgré mon état et même si les professionnels certifiaient que c’était scientifiquement improbable, j’étais persuadé d’avoir entendu sa voix, d’avoir toujours senti sa présence réconfortante à mes côtés. Bien sûr, ce n’était pas vraiment des souvenirs, plutôt une sensation, une conviction. Dans ma tête, ça ne faisait aucun doute, plus que les traitements médicaux, c’est le soutien de ma compagne et future femme (je comptais bien la demander en mariage dès ma sortie) qui m’avait permis de m'accrocher à la vie.


Juste avant de refermer la porte derrière elle, Monica soupira, sans se soucier d’être discrète.


Je souris. Elle avait toujours ce genre de réaction quand il s’agissait de Maude. Je crois qu'elle était jalouse.


Une fois Monica éclipsée, Jérémy en profita pour revenir à la charge.


— Sans blague, comment tu te sens, frérot ?


Il était très sérieux tout à coup. Je sais ce qui lui trottait dans la tête. Il avait lu et entendu que les types comme moi (les rescapés, les survivants) étaient enclin à la dépression lorsqu'ils retournaient à la "vraie" vie, s'ils ne sombraient pas dans la folie. Il avait peur pour moi. Et pour lui, aussi. Peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être assez présent. Depuis toujours, il se reprochait le burn-out de notre mère, une bonne dizaine d’années plus tôt. Tout ça était derrière elle maintenant mais, mon père ayant disparu de la circulation et Jérémy étant le plus âgé de nous deux (de trois ans seulement), il était persuadé qu'il ne lui avait pas prêté assez d’attention, qu’il avait failli à son rôle, celui d'homme de la famille.


— Je vais très bien !


Je lui le prouvai en sautant presque de mon lit mais on savait tous les deux que ce n'était pas ma santé physique qui l'inquiétait.


En réalité, je n'avais que deux seules sources d'angoisse. La première était la crainte d'avoir mon grand frère constamment sur le dos. Mine de rien, il s'était focalisé sur moi depuis plus d'une année et je me demandais s'il allait être capable de trouver une autre occupation. J'en venais presque à espérer qu'un autre de ses proches sombre dans le coma. Un petit coma de rien du tout, juste de quoi le distraire un peu. Et puis, je m'inquiétais de la réaction de Maude au moment où je lui ferai ma demande. Ces derniers temps, on ne s'était pas beaucoup parlé, on n'avait eu peu d'occasions de nous retrouver seuls tous les deux. Était-elle encore là par pitié, par devoir ? Croyait-elle que j'étais devenu impuissant ? Lui plaisais-je encore physiquement avec mes muscles fondus ? J'étais bien décidé à en avoir le cœur net. Pour moi, en tout cas, rien n'avait changé. A mon réveil, elle était toujours la même, la femme que j'aimais.

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9 commentaires

Karl Toyzic (Ktoyz)

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Il y a 5 ans

Bon s'il drague pas Monica, je m'en occuperais personnellement :P

Elsa Carat

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Il y a 5 ans

J'en attendais pas moins de toi !

Clo H

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Il y a 5 ans

Tiens le grand K n’a pas participé à ce concours ? L’amour n’est il pas sa tasse de thé ? 😂

Karl Toyzic (Ktoyz)

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Il y a 5 ans

histoire trop fraîche, ex femme abonnée à mon compte… pas possible de faire cette histoire :P

Sissy Batzy

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Il y a 5 ans

Pas le temps de lire plus pour le moment mais j'aime beaucoup ce début et ton style. Je reprends la suite ce soir !

Clo H

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Il y a 5 ans

Alors Maude ou Monica ? Je pencherai pour l’infirmière... mais ça fait peut-être trop grey’s anatomy ?
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