Fyctia
Baby, it's cold outside 2
Baptiste éclata de rire, et malgré moi, je souris. Il avait ce genre de rire communicatif, de ceux qui mettent tout le monde à l’aise. Ainsi, après une dernière hésitation, je tranchai :
— Allez, je vais prendre la même chose que toi, Baptiste. Autant me laisser surprendre.
En revanche, lorsque je parcourus la carte des vins, je savais exactement ce que je voulais. Le vin, c’était ma passion. Aussitôt, mon regard se posa sur un blanc d’exception que je commandai sans hésiter.
Baptiste haussa un sourcil, agréablement surpris.
— Excellent choix, commenta-t-il avec un sourire appréciateur. Je ne m’attendais pas à ça.
Je lui lançai un regard amusé avant de répondre d’un ton léger :
— Le vin n’est pas qu’une histoire d’hommes, tu sais. Au contraire, il est prouvé que les femmes ont un palais plus fin et plus raffiné.
Il éclata de rire, secouant la tête.
— Voilà une théorie que je veux bien vérifier ce soir.
Un serveur arriva un instant après, pris les commandes et revint aussitôt avec la bouteille de vin qu’il déboucha afin de me faire goûter après que Baptiste m’ait désigné du doigt comme l’experte de la table. Je validais le cru et le jeune homme en tenue de service s’empressa de remplir nos verres sous nos regards attentifs avant de disparaitre aussi discrètement qu’il était apparu. Je levai mon verre vers lui, un sourire au coin des lèvres.
— Alors trinquons à ça. Et puis, un retour aux sources comme celui de Mia mérite d’être célébré dignement, non ?
—À la bonne heure ! renchérit-il, pendant que Mia roulait des yeux, faussement exaspérée.
Mia et Baptiste avaient une dynamique amusante, pleine de taquineries et de souvenirs partagés. Moi, je me contentais de les observer, me laissant porter par l’instant. Mais à mesure que la soirée avançait, je sentis le regard de Baptiste revenir souvent vers moi. Parfois, il s’attardait juste une seconde de trop. Parfois, c’était un sourire qui paraissait plus intime. Et plus le vin coulait, plus je me rendais compte que je le regardais aussi. Un peu trop longtemps. Un peu trop intensément.
Alors que nous terminions notre repas, la porte du restaurant s’ouvrit brusquement, laissant entrer un courant d’air glacial. Une silhouette vacillante apparut dans l’embrasure. Perplexe, je reconnus le moniteur de l’école de ski. Visiblement ivre, il balaya la salle du regard avant de s’arrêter sur notre table. Dès qu’il aperçut Mia, son expression se tordit en un mélange de douleur et d’incrédulité. Son souffle était court, son regard humide. Son expression se durcit, et il se dirigea droit vers nous d’un pas peu assuré.
— Mia ! tonna-t-il en arrivant à notre hauteur. Je t’ai vu à travers la fenêtre !
Mon cerveau alla à toute vitesse. Un silence gênant tomba dans la salle. Mia se figea, puis soupira en posant sa serviette sur la table.
— Mia… pourquoi ?
Sa voix, bien que tremblante, résonna suffisamment fort pour que plusieurs clients se tournent vers lui. Certains cessèrent de parler, d’autres observaient la scène à la dérobée, intrigués par cette soudaine irruption.
— Pourquoi tu m’as fait ça ?
Il avança de quelques pas, trébuchant presque, et s’agrippa au dossier d’une chaise voisine pour retrouver son équilibre. Il ne criait pas, ne tempêtait pas. Il était brisé, et sa douleur se déversait sans retenue.
Alors que je portais mon verre à mes lèvres pour me donner de la contenance, un détail que j’avais négligé jusque-là s’assembla dans mon esprit comme une pièce manquante à un puzzle. Gabriel. Le moniteur de ski. Le Gabriel de Mia. Mon sang ne fit qu’un tour et un hoquet de surprise m’échappa.
— Attends… Gabriel ? répétai-je, le cœur battant plus vite. Le moniteur de ski, c’est ton ex-fiancé ?!
Mia ferma brièvement les yeux avant de soupirer, l’air résigné.
— Oui, Agathe. C’est lui.
— Tu te rends compte, Mia ? J’étais prêt à tout te donner… J’ai tout sacrifié pour toi. Tout. Et là, tu réapparais, et je découvre ça…gémissait le jeune homme qui paraissait avoir tenté de noyer son chagrin dans la boisson.
— Gabriel, pas ici.
— Pas ici ? répéta-t-il en ricanant douloureusement. Parce que tu crois que tu peux juste débarquer au bout de presque quinze années et penser que tout va bien se passer ?
Son regard était brûlant de rancune, son ton plus fort qu’il ne l’aurait fallu. Les conversations dans la salle s’étaient éteintes, tous les regards rivés sur nous. Il passa une main tremblante sur son visage, sa voix se brisant sur les derniers mots. Une femme à la table voisine détourna discrètement le regard, mal à l’aise. Baptiste, lui, s’était légèrement tendu, prêt à intervenir si nécessaire. Je jetai un coup d’œil à Mia. Elle était figée, les traits crispés, mais elle se força à se lever lentement.
— Gabriel, viens, on va parler dehors.
Sa voix était calme, maîtrisée, mais je voyais dans ses yeux une lueur d’urgence. Elle ne voulait pas qu’il parle davantage, pas ici, pas devant tout le monde. Gabriel secoua la tête, ravalant un sanglot.
— Pourquoi ? Tu ne veux pas que tout le monde sache ?
Mia se leva brusquement et sans un mot, elle attrapa son manteau.
— On règle ça dehors.
Gabriel éclata d’un rire amer.
— Ah, bien sûr. Parce que tu as toujours été douée pour fuir, pas vrai ?
Baptiste s’était redressé légèrement, prêt à bondir, mais Mia posa une main sur son bras, lui intimant de ne pas s’en mêler.
— Laisse. Je gère.
Mia attrapa le bras de Gabriel et l’attira doucement vers la sortie.
— Viens, s’il te plaît.
L’instant s’étira. Il la fixa un long moment, cherchant peut-être une réponse dans son regard, puis, dans un souffle résigné, il la suivit. Et sans un regard en arrière, elle sortit dans la nuit avec Gabriel. Lorsqu’ils passèrent la porte et que le silence retomba dans la salle, je réalisai que j’avais retenu mon souffle tout du long.
Je me retrouvai seule avec Baptiste. La tension flottait encore dans l’air, mais il me regarda avec une douceur qui contrastait avec la scène précédente. Baptiste rompit enfin le silence, sa voix grave et posée.
— Ça va ? me demanda-t-il doucement.
Je pris une inspiration, tentant de retrouver un semblant de normalité.
— Oui. Je crois.
Il me sourit, et ce sourire, si simple, si sincère, m’apaisa instantanément. Il n’y avait plus de tension, plus de regards curieux autour de nous. Juste lui et moi, dans la lumière tamisée du restaurant.
— On ne s’attendait pas à ça.
Je soupirai, les épaules encore tendues.
— Pas vraiment, non…
— Alors, où en étions-nous Agathe ? finit-il par dire en reposant son verre. Tu n’es pas du coin, toi.
— Non, confirmai-je en jouant distraitement avec mon couteau. Je suis bretonne. C’est Mia qui m’a embarquée dans cette escapade hivernale. Et j’avoue que c’était une bonne idée.
— Ça veut dire que tu commences à aimer la montagne ?
— Je commence à apprécier l’idée d’une pause, corrigai-je avec un sourire en coin.
Son regard s’adoucit légèrement.
— Je comprends. Parfois, on a juste besoin de respirer un peu.
6 commentaires
Mapetiteplume
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Il y a 8 jours
Zebuline
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Il y a 11 jours