Fyctia
Driving home for Christmas
Agathe
Quand Mia m’avait proposé de passer Noël avec elle dans le chalet de sa famille à la montagne, j’avais d’abord refusé. Par réflexe. Par habitude. Parce que ma vie entière reposait sur une organisation minutieuse et que m’offrir une pause ressemblait à une aberration. Mais surtout, parce que c’était mon premier Noël sans Raphaël.
Je m’étais raccrochée à tout ce que je pouvais : le travail au restaurant, les enfants, la logistique infernale du quotidien. J’avais cru que le temps atténuerait la douleur, que la routine m’aiderait à l’oublier. Mais il était partout. Dans les gestes anodins, dans ces foutues odeurs de pain chaud et de cannelle qui me happaient chaque fois que je passais devant une boulangerie. Je l’imaginais là-bas, à New York, avec sa gamine de vingt-cinq ans, à jouer les Français authentiques dans une boulangerie branchée de Brooklyn. Lui, le père de mes enfants. Lui, qui avait tout plaqué pour réaliser son soi-disant rêve américain.
Mia n’avait pas lâché l’affaire.
— Tu crois que ça va être mieux de rester enfermée chez toi avec les enfants à manger du saumon en promo et à broyer du noir ? Viens au chalet, on fera un vrai Noël, un beau Noël. Tu en as besoin, et eux aussi.
J’imaginais déjà le réveillon : un sapin trop grand, des rires d’enfants en fond sonore, et moi, seule devant une coupe de champagne tiède. Sans Raphaël. Sans nous. L’idée même de fêter Noël me donnait la nausée. Elle avait eu raison, bien sûr. Comme toujours. Alors, j’avais cédé.
Le village de montagne apparut enfin, illuminé par des guirlandes scintillantes qui lui conféraient un charme presque irréel. Je sentis Luna frémir d’enthousiasme derrière moi, tandis qu’Arthur, le nez collé à la vitre, s’émerveillait devant les sapins enneigés. Quant à Mia, elle nous décrivit avec frénésie tous les coins qu’elle reconnaissait et nous bombardait d’informations et anecdotes, alors que je tentais de maîtriser cette route de montagne que je ne connaissais pas. Elle était aussi excitée que mes enfants.
— On dirait un film de Noël ! s’exclama-t-il, les yeux pétillants.
Après des heures de route entrecoupées de disputes enfantines et de chansons de Noël hurlées à tue-tête, nous étions enfin arrivés au chalet. Arthur et Luna s’étaient agités à l’arrière, excités comme des puces. Je souris, heureuse de voir leur joie. Je garais la voiture devant un chalet en bois massif, orné de lumières tamisées. J’avais à peine coupé le contact que mon téléphone avait vibré. Un soupir m’avait échappé. Sans vérifier, je savais qui c’était.
— Maman, soupirai-je en décrochant. On vient d’arriver.
— Parfait ! Tu as bien couvert Arthur ? Il a tendance à s’enrhumer facilement. Et Luna, elle a mangé pendant la route ? Je te rappelle qu’elle fait des hypoglycémies, tu sais comment elle est…
Je levai les yeux au ciel en m’extirpant de la voiture. Mia, qui ouvrait déjà le coffre, entendit la voix stridente de ma mère. Avec un sourire en coin, elle se pencha vers le téléphone.
— Bonjour madame Odile, vous êtes sur haut-parleur ! Ici Mia, votre fille adoptive spirituelle qui tente, encore une fois, de sauver Agathe de sa morosité mélancolique anti-Noël.
Un silence outré précéda la réplique indignée de ma mère.
— Arrête de m’appeler madame Odile, Mia ! Je te connais depuis des années !
— Et moi je vous connais depuis des années aussi, répliqua Mia en me lançant un regard complice. Et pourtant, je n’ose toujours pas vous tutoyer, allez savoir pourquoi…
J’aurais pu les laisser continuer leur numéro de duettistes pendant encore des heures, mais la fatigue du voyage me rendait moins patiente que d’habitude.
— Bon, écoute maman, tout va bien. Les enfants sont en pleine forme.
— Pense à les coucher tôt ! Un enfant fatigué, c’est un enfant grognon.
Arthur surgit à mes côtés, son bonnet de travers et le nez déjà rougi par le froid.
— Maman, on peut faire une bataille de boules de neige ?
— Pas avant qu’on soit installés, mon grand.
— Agathe ? reprit ma mère. Tu m’écoutes au moins ? C’est insupportable !
Je me mordis la lèvre pour réfréner une réponse trop sèche. Elle voulait bien faire, je le savais. Mais à trente-cinq ans, je n’avais plus besoin qu’on me dicte comment gérer mes enfants.
— Maman, on va rentrer dans le chalet, je te rappelle plus tard, d’accord ?
— Je voulais juste dire…
Sans attendre sa réponse, je raccrochai et levai les yeux vers le chalet. Pas de culpabilité. Pas aujourd’hui. La loge dégageait une chaleur réconfortante avec sa façade en bois sculpté et ses fenêtres illuminées. Mia était déjà devant la porte, un sourire aux lèvres.
— Ça y est, vous y êtes ! Alors, prêts pour un Noël magique ?
— Magique, je sais pas, soufflai-je en montant les quelques marches jusqu’à la porte d’entrée. Mais une pause, ça oui.
Le chalet était exactement comme je l’avais imaginé : chaleureux, authentique avec ses murs en bois clairs et ses poutres apparentes. Dans un coin, un immense canapé moelleux couvert de plaids douillets qui semblait n’attendre que nous et juste en face, une immense cheminée en moellons qui n’attendait que sa prochaine flambée. Une douce odeur de résineux et d’épices flottait dans l’air.
— Fais comme chez toi, me lança Mia en posant ses valises. Nous nous installâmes tranquillement. Luna et Arthur découvrirent leur chambre avec émerveillement tandis que je pris le temps de respirer. Cette escapade me faisait du bien, je le sentais déjà. Luna et Arthur se précipitèrent pour explorer les lieux pendant que Mia allumait un feu dans la cheminée qui se mit à crépiter aussitôt. La soirée s’annonçait simple et réconfortante.
— Pour ce soir, j’ai préparé un programme de rêve : raclette, chamallow au feu de cheminée, et zéro obligation, annonça-t-elle avec fierté. J’ai tout prévu. Y compris le vin chaud. Et il est hors de question que tu m’opposes la moindre résistance.
— Je ne résisterai pas. Promis.
Je n’avais même pas faim, mais l’idée d’un repas simple et réconfortant m’apaisait déjà. Mia s’affairait déjà dans la somptueuse cuisine, filiforme et impeccable, comme toujours. Pour une fois, elle avait troqué sa robe noire d’avocate pour une tenue de sport dernier cri, et bien sûr, même en leggings et polaire assortie, elle paraissait tout droit sortie d’un magazine. Ses longs cheveux blonds étaient attachés en une queue-de-cheval négligemment parfaite, et ses yeux verts pétillants d’assurance. Elle n’avait jamais laissé un homme s’installer dans sa vie, jamais voulu d’enfant non plus. Sa carrière passait avant tout, et elle assumait pleinement ses amourettes éphémères. Pourtant, elle avait toujours trouvé du temps pour moi, pour mes enfants, pour Luna dont elle était la marraine. Quinze ans après nos années de colocation à la fac, malgré nos chemins différents, elle restait mon pilier, ma meilleure amie. Et en la regardant, toujours aussi magnifique, toujours aussi libre, je ne pus m’empêcher de ressentir une pointe d’envie. Je soupirais et achevait de ranger nos affaires pour les jours à venir.
14 commentaires
Sofia77
-
Il y a 5 jours
lovelover
-
Il y a 10 jours
Bérengère Ollivier
-
Il y a 10 jours
Mapetiteplume
-
Il y a 12 jours
Mapetiteplume
-
Il y a 12 jours
Astrid.D
-
Il y a 13 jours
Bérengère Ollivier
-
Il y a 13 jours
Zebuline
-
Il y a 14 jours
Bérengère Ollivier
-
Il y a 14 jours