Fyctia
Chapitre 2 - Partie 1
Premier regard
« Le premier regard, c’est l’instant qui sépare l’enivrement de la vie et son éveil, la première lueur qui éclaire les régions intimes de l’âme, la première note magique jouée sur la corde d’argent de notre cœur. »
Khalil Gibran
Lundi 26 décembre, 7h30.
Le réveil sonne. L’alarme incessante la tire de son sommeil. Cette fois, il n’y avait pas Thomas. Cela fait longtemps que ça n’était pas arrivé. Elle culpabilise, la honte d’essayer d’avancer, la peur que son souvenir s’estompe… Mais pas le temps de s’apitoyer, aujourd’hui c’est sa rentrée, son premier jour de travail.
Son employeur avait été surpris d’apprendre que finalement elle arriverait quelques jours plus tôt, mais il avait accepté de l’intégrer plus rapidement que prévu.
Premier jour, premières impressions, comment s’habiller ? Ne pas paraître trop stricte ni trop simple, pas évident de choisir… En même temps elle n’a pas beaucoup de choix. Elle n’a emporté avec elle que le minimum, le plus gros de ses affaires, arrivera par conteneur d’ici deux ou trois semaines.
Finalement elle arrête son choix sur un chemisier à fleurs que lui avait offert sa mère. Elle l’adore. Et puis penser à sa maman l’aidera à surmonter ce premier jour. Un pantalon noir pour aller avec, mais pas de veste, chic décontracté, ce sera parfait pour mesurer l’ambiance qui règne. Elle avale un petit déjeuner rapidement et file prendre son métro.
Direction Yoyogi, puis changement jusqu’à Lidabashi, il ne lui reste plus que quelques minutes de marche et elle arrivera à l’Institut Franco-japonais. L’angoisse monte et elle se mélange à l’excitation de ce nouveau projet. Cela fait si longtemps qu’elle n’a pas enseigné. C’était finalement son premier job, mais la vie l’avait amené progressivement à quitter les salles de classes pour les bureaux et elle s’était épanouie à cette place pendant plusieurs années. Elle ne voulait pas partir sans trouver une occupation sur place et surtout il fallait qu’elle parvienne à subvenir à ses besoins, alors elle avait accepté ce poste de professeur de français. Allez, encore 150 m et elle y sera.
Son rythme cardiaque s’accélère, son estomac se noue un peu plus à chacun de ses pas, elle a chaud, et si c’était une erreur ? et si elle n’y arrivait pas ? Après tout, les méthodes ont évolué en 5 ans. Elle tourne à droite et entre dans ce petit écrin de verdure. Cela ressemble à une résidence, presque un village. Elle avance sans trop savoir où elle doit se rendre. D’un coup, elle aperçoit du monde, son comité d’accueil qui est sur le pas de la porte. Elle découvre 5 personnes qui l’attendent à l’entrée et qui forment comme une haie pour la saluer. Une femme s’avance.
- Bonjour Romane, je suis Marie.
Romane reconnait tout de suite Marie, même si elle l’avait imaginée plus grande. Elle avait passé son entretien d’embauche avec elle il y a 3 mois. Face à ces cinq personnes inconnues, elle est intimidée. Elle rougit, caresse machinalement ses mains, comme pour se rassurer. C’est à se demander comment elle va faire lorsqu’elle enseignera si à chaque prise de parole, c’est un supplice. Pourtant dans le cadre du travail, c’est comme si elle mettait un costume, un masque qui lui permet d’être pleine de confiance. Après quelques secondes interminables, elle parvient finalement à dire :
- Bonjour Marie, enchantée de vous rencontrer en vrai et merci pour cet accueil inhabituel.
- Nous sommes ravis de t’avoir parmi nous. Laisse-moi te présenter une partie de l’équipe. Voici Yumi, c’est elle qui gère l’accueil.
Yumi est plutôt menue, japonaise, mais parfaitement bilingue. Elle est souriante et avenante. Ses cheveux sont coupés au carré, ce qui lui donne un petit côté strict, mais cela tranche avec son style plutôt décalé et coloré.
- Voici Satomi, qui est notre bibliothécaire. Elle est avec nous depuis 6 mois environ.
Satomi est quant à elle plus classique. Cela peut paraître un peu stéréotypé dit comme ça. Elle porte ses cheveux attachés, un foulard noué autour de son cou et elle peine à soutenir son regard, peut-être presque intimidée.
- Voici Antoine qui est le coordinateur des cours. C’est lui qui organise l’activité : les plannings et le recrutement.
- Bonjour, Romane ? c’est bien ça ?
- … euh oui.
Que lui arrive-t-il ? ce n’est pas si difficile de dire oui, il n’y a pas de question piège. Il lui demande si c’est bien son prénom, un oui, si c’est le cas, un non, s’il se trompe, pas besoin de réfléchir. Mais pourtant les mots peinent à sortir de sa bouche. Elle est déconcertée, presque mal à l’aise, à l’opposé de lui d’ailleurs. Comment le décrire… il est brun, plutôt grand avec des yeux profonds, de couleur noisette. Visiblement il opte pour un style très décontracté, sweat, jean, basket. Elle lui donnerait presque la quarantaine au regard des tempes grisonnantes qu’il semble assumer. Il a un petit charme qui pourrait lui plaire. Elle se sent rougir et préfère détourner le regard pour s’adresser au dernier jeune homme présent.
- Bonjour, je suis Romane, enchantée.
Pas de réponse. Belle entrée en matière, celui-ci ne lui répond même pas ! ça laisse présager une bonne entente.
- Et enfin, voici Takuya, notre stagiaire, indiqua Marie. Excuse-le, il ne parle pas français. Maintenant, suis-moi, je vais te montrer où tu peux t’installer. Comme tu le vois, il n’y a personne aujourd’hui, le lundi, nous sommes fermés au public. Cela nous permet de nous retrouver tous ensemble et préparer les cours de la semaine.
Marie lui fait visiter le complexe puis la laisse s’installer dans la salle collective. Marie, quant à elle, a à peu près son âge, disons une petite trentaine. Elle est dynamique, joyeuse, sociable et surtout bavarde. Romane se retrouve en elle, enfin, elle retrouve celle qu’elle était avant. Marie a ce petit brin de folie qui la rend attachante.
Romane s’installe autour de la table et remercie Marie avant que cette dernière ne la laisse prendre connaissance des lieux. Pour cette première matinée, elle s’attarde sur les différents documents épinglés au mur : règlement, cours qui lui ont été affectés, nombre d’étudiants. Il y a également plusieurs livres à proximité, elle en profite pour se familiariser avec les méthodes utilisées.
- Romane, tu veux venir avec nous ? demande Marie.
Elle lève le regard du livre sans vraiment comprendre la question qui vient de lui être posée.
- Il est midi, tu veux te joindre à nous ? Habituellement, le lundi, nous allons tous manger ensemble. Il y a une petite brasserie française à deux pas d’ici.
Elle accepta. Après tout c’était l’occasion pour elle de faire connaissance avec ses collègues et un peu de présence lui ferait du bien. Il faut bien l’avouer, ces derniers jours en solo ont fini par la peser. Satomi et Antoine se joignent à elles.
2 commentaires
Lexa Reverse
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Il y a 2 ans
Peggy Sauthieux-Fauquette | auteure🪶
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Il y a 2 ans