Fyctia

« Chez Jacques »

Elle a connu plus original comme nom de brasserie. A l’extérieur, c’était comme en France, avec de grandes baies vitrées vertes, des chaises en osier sur le trottoir et le store reprenant en écriture italique le nom de l’enseigne. Une bulle d’air française au cœur de Tokyo, un peu trop stéréotypé quand même.

Une fois à l’intérieur, l’immersion continue. Marie salue le fameux Jacques qui gère la Brasserie. C’est à peine s’il les voit, il court entre le comptoir et les cuisines. Elles se dirigent vers la table habituelle réservée pour eux chaque lundi. Elles y retrouvent Samuel qui gère les activités commerciales de l’Institut.

Il porte un costume bleu foncé agrémenté d’une cravate grise et d’une chemise blanche. Sa posture est imposante. Alors qu’elle le détaille, leurs regards se croisent. Gênée, elle rougit. Samuel détourne le regard et continue de raconter son rendez-vous du matin. Il a rencontré le PDG des parfums Shiseido afin de discuter de l’organisation d’un séjour en France pour une partie de ses employés suite au rachat d’une enseigne française. Apparemment un gros contrat en perspective. Romane est distraite, elle n’écoute que d’une oreille. Peut-être n’est-elle plus habituée à une telle agitation. Elle s’est tellement isolée ces derniers mois que ces nouveaux visages, ce nouvel environnement autour d’elle la fatigue probablement. Le reste du repas fut tout aussi silencieux de son côté. Tout en jetant un regard régulier sur les collègues, elle regarde les allers et venues des clients de la brasserie. Puis la discussion s’arrête et tous la regardent. Elle les regarde d’un air perplexe.

- Romane ? Et alors, toi ? raconte-nous ? on parle on parle mais on en oublie nos bonnes manières, dit Marie.

Voilà un moment qu’elle n’aime pas, tel un premier jour de classe où chacun doit se présenter aux autres camarades. Elle déteste ces moments où tous les regards se concentrent sur elle. Racontez sa vie à des inconnus, il est peut-être tôt pour raconter son histoire, alors elle articule deux ou trois choses basiques sur elle avant de revenir au sujet de la commande, manière pour elle de détourner la conversation.

A la fin du repas, tous se lèvent et s’avancent jusqu’au comptoir pour régler la note. Chaque personne salue avec attention le personnel puis ils reprennent la direction de l’institut.

18h00.

Elle n’a pas vu la journée passer. Elle regarde par la fenêtre, et voit les flocons virevolter au rythme du vent. Elle ne va pas trainer dehors ce soir. Elle attrape ses affaires, prend le temps de saluer chacun de ses collègues présents et sort.

Sur la route du retour, elle s’arrête au Konbini juste à côté de la maison. Elle profite de cet arrêt pour faire quelques achats pour ces prochains jours. Ils vendent plusieurs paniers bento, ce sera parfait pour le début de la semaine en attendant de trouver ses nouvelles habitudes.

***

De retour au travail après ce weekend inattendu. Je jette un œil à mon téléphone, quatre messages vocaux de maman, je la rappellerai ce weekend. Je sais qu’elle s’inquiète, mais elle ne comprend pas la douleur qu’elle créée en moi à chaque fois que je vois son nom apparaître. J’ai besoin de temps. Je lui écris rapidement un sms pour la rassurer :

« je vais bien ne t’en fais pas »

Quelqu’un s’approche. Je lève les yeux. C’est elle.

A nouveau, juste là.

C’est elle.

Je ne pensais pas la revoir et encore moins ici et maintenant. Mon cœur s’accélère. Elle s’avance vers moi. Que vais-je lui dire ? Mes jambes semblent se dérober. Mon souffle est court. Je sais qu’elle ne me reconnaitra pas, et ça me déchire de le savoir. Je ne l’ai pas oubliée, je ne l’ai même jamais oubliée. Ça me déchire de la revoir. Elle a changé. Elle semble plus mince, et son sourire… son sourire a disparu.