Isabel Miller Ne t'oublie pas... Chapitre 1 - Partie 1

Chapitre 1 - Partie 1

Ouvre les yeux


“L’aventure, c’est ouvrir de nouvelles portes la bouche fermée et les yeux grands ouverts.”

Barbara Kingsolver



Dimanche 25 décembre. 20h35

Elle profite de ces derniers instants de sommeil. Elle qui s’était allongée juste deux minutes, se retrouve finalement étendue sur son lit depuis bientôt trois heures. Elle sait qu’elle va se réveiller, mais elle lutte. Elle lutte pour passer encore quelques instants tout près de lui…profiter de la chaleur de son corps qui la réchauffe, blottie contre lui. Elle aime ce sentiment de bien-être qui la rejoint chaque nuit et qui finalement la quitte chaque matin…

Le réveil est difficile, comme à chaque fois. L’impression de perdre un être cher continuellement.

Tout à coup un grondement… Son ventre lui réclame de la nourriture. Car c’est bien ça, se nourrir, alimenter son corps, cette corvée qui réapparaît trois fois par jour, corvée qui autre fois n’était que gourmandise à partager…

Elle attrape sa doudoune, son bonnet et son écharpe et quitte son studio. Déambulant dans la rue qui la mène tout droit à Shibuya, elle ne réagit même pas aux décorations de noël qui l’entourent. On pourrait pourtant croire que les Japonais ne fêtent pas Noël, et pourtant ils profitent tout autant que nous de cette fête. Elle croise ici et là des sapins de noël, chaque fois d’une couleur différente du précédent. D’un coup tout devient bleu, tous les arbres sont illuminés de bleu, l’atmosphère se fait glacial. Il y a tellement de monde autour d’elle, que l’air se raréfie, elle suffoque. Happée par le flux de Tokyoïtes, elle aperçoit une petite ruelle et s’y faufile jusqu’à y découvrir un petit restaurant isolé. Ça fera l’affaire, se dit-elle.

Assise seule à cette table elle se replonge dans ses souvenirs. Seuls compagnons de sa solitude jusqu’à présent. Quelques tempuras de légumes vite ingurgités et la voilà repartie « à la maison », comme on dit. Pourtant cela n’a rien d’une maison, aucun souvenir, aucune odeur, aucun bruit familier, arriverait-elle à vivre ici ? Oui elle était partie pour tout oublier, mais comment se sentir bien dans un monde où tout n’est qu’inconnu ?

Sur le chemin du retour, elle aperçoit au loin une masse sombre. Au fur et à mesure de ses pas, une forêt de plus en plus imposante se dresse devant elle. C’est surprenant de voir une telle forêt en plein cœur de la ville. L’allée est large et goudronnée, surplombée d’un torii en bois. Cela l’intrigue, elle décide de s’y aventurer.


***


La forêt est dense. Les arbres sont majestueux. Il fait sombre, l’atmosphère est paisible. Romane avance lentement. Le silence règne. Pour la première fois, elle se sent légère. Elle est seule et pourtant ce vide qui la rongeait s’est estompé. Cet air pur et frais la rend même sereine. Elle presse son pas. De plus en plus vite pour finalement se mettre à courir. Vers quoi ? Elle ne le sait pas, mais elle ressent le besoin de courir, non pas pour fuir, mais vers ce qui irrémédiablement l’attire.

Au milieu de cette forêt sombre, la lumière apparaît. Elle ralentit. Sur sa droite se dresse un mur de centaines de barriques de saké, puis un peu plus loin des tonneaux de vins français. Etrange de voir des vins français ici. Devant elle, un vaste sanctuaire illuminé est érigé. Elle s’arrête. Impossible de rentrer à l’intérieur de ce jardin. Elle se retourne, s’imprègne des lieux. Cet endroit l’interpelle, il a quelque chose de différent ou plutôt quelque chose qui nous fait nous sentir différent. Juste à côté, se tiennent des présentoirs agrémentés de milliers de plaques en bois, les unes à côté des autres, les unes devant les autres ornées de dessins et de kanjis.

Elle se souvient de Thomas racontant cette histoire. Les vœux que l’on accroche dans les temples et sanctuaires afin que les Dieux les lisent et les exaucent. Il admirait ce lien avec la nature, ce respect des Dieux, le besoin des Japonais de remettre leur destin aux mains de forces supérieures. Il aurait aimé y croire aussi.

Face à l’émotion de ce souvenir, sa tête tourne, son cœur se serre, les larmes vont lui échapper. Elle détourne le regard. Au milieu de l’amas de feuilles à ses pieds, elle distingue quelque chose. Elle se baisse, fouille les feuilles et découvre une petite plaque en bois, vierge, quelque peu mouillé par l’humidité du sol. Elle la ramasse, l’essuie avec son écharpe et la regarde, songeuse. Elle regarde autour d’elle, il n’y a personne. Tout d’abord elle hésite, puis finalement ouvre son sac et en sort un stylo. Elle regarde à nouveau tout autour d’elle, un peu gênée par la situation. Si quelqu’un la voyait ? Mais aussi un peu honteuse d’oser croire en la magie des lieux. Elle réfléchit, et finalement prend une longue inspiration avant d’écrire ces quelques lignes :


« Je suis là, à la recherche du sourire

qui effacera mes larmes »


Ce soir-là, elle eut l’impression de ne plus être seule.


***


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1 commentaire

Lexa Reverse

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Il y a 2 ans

coup de pouce de l'automne :)
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