Fyctia
Conneries d'ado
ETHAN
Je sens une veine affleurer sur mon front et me mets à la dévisager peu à peu. Sa posture, sa proximité avec ce type dégingandé … tout me hurle qu'elle se fait draguer, et qu'elle drague aussi. Intérieurement je suis fou. Je pensais qu'elle voulait prendre son temps, aller doucement, mais que nous avions partagé quelque chose tous les deux. Je pensais qu'elle ressentait la même chose que moi …
Comme elle ne me répond pas, je tourne les talons et sors du bar sans me retourner, tentant de contrôler les embardées de mon cœur et l'envie indomptable de cogner tout le monde sur mon passage. J'ouvre violemment la porte et sors au grand air. Peu importe ce que Laïa fait avec ce type, j'en suis jaloux. Et c'est encore pire du fait qu'elle ne m'a pas présenté comme … quelqu'un d'important. Qu'elle se soit laissée aborder, laissée faire. Elle n'est pas disponible bordel !
- Ethan …
L'hésitation dans sa voix ne réussit pas à me calmer.
- Tu n'es pas disponible, je grogne sans cesser d'avancer vers la route.
J'ai conscience de passer pour un gros con possessif, mais tant pis, c'est ce que je suis ; un gros con possessif.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Tu te laisse draguer par ce type là sans rien dire ! Comme si tu aimais ça.
Je me rends compte de ma connerie à l'instant où elle franchit la barrière de mes lèvres, mais je suis bien trop hors de moi pour réfléchir à mes paroles avant de les prononcer. Comment peut-elle se faire alpaguer par autant de types bordel de merde ?
D'un pression sèche sur mon bras elle me force à pivoter.
- On est pas ensemble Ethan. On est pas un couple. Je me trompe ?
Elle a raison mais ses paroles me font un mal de chien. Je ne veux pas qu'elle me les dise. Je ne veux pas qu'elle les prononcent. Ni qu'elle les pense.
- Non, je crache, tu as raison, on est pas un couple !
Je me dégage de son emprise et me tourne. Je suis meurtri parce qu'elle n'a fait que dire la vérité. Sans l'attendre je me mets à marcher sur le bas côté de la route, les mains dans les poches.
- Tomber amoureux, quelle connerie d'ado ! je crie en donnant un coup de pied féroce dans une poubelle.
Depuis que j'aime cette fille, je ne me reconnais plus. Mon comportement est dicté par mes sentiments, par mon amour profond et inéluctable. Je suis jaloux et possessif, j'ai peur à en perdre le sommeil, je pense à elle à longueur de journée, je suis comme un chiot en recherche constante d'affection. Mon sang, mes cellules, ma peau … tout en moi me tourne vers elle, me montre le chemin à suivre.
Je suis si perdu et en colère que je n'ai même pas remarqué qu'elle s'est doucement approchée de moi.
- Dis-le.
Interloqué, je me tourne vers elle.
- Dire quoi ?
Elle fait un pas en plus sans me quitter des yeux.
- Que tu es jaloux, s'amuse t-elle.
Mes membres se relâchent, je relève mon port de tête. Elle se moque de moi. Gentiment.
Mais Laïa aime me voir jaloux, parce que mes sentiments transparaissent un peu plus encore. En une enjambée je me retrouve tout près d'elle. J'englobe son visage entre mes mains et pose mes pouces sur ses pommettes. Dans la nuit noire qui nous enserre, ses yeux brillent.
- Je suis jaloux, je souffle près de ses lèvres, je ne supporte pas qu'un homme te parle, te regarde, ou te touche.
Ses yeux qui étaient rieurs quelques minutes auparavant ne rient plus à présent. Elle déglutit et cette fois, c'est moi qui m'amuse intérieurement de la voir embarrassée d'être si près de moi.
- Il n'y a que toi, Laïa. Et j'aimerai qu'il n'y ai que moi.
Nous sommes près, si près de nous embrasser …
- Il n'y a que toi, répond-elle.
Son souffle caresse mes lèvres et je penche ma tête pour m'approcher d'elle. Mais un faisceau lumineux et le bourdonnement d'une voiture qui se rapproche me stoppe net. Pour autant, je ne recule pas. Laïa ne me quitte pas des yeux, attentive au moindre de mes gestes. Si la voiture passe je pourrais continuer mon mouvement et peut-être, arriver enfin à le terminer.
Mais comme je l'ai crains, la voiture ralentit jusqu'à finalement s'arrêter à côté de nous. Aucun de nous deux ne bouge.
La vitre côté passager s'abaisse et j'avise, en périphérie de mon champ de vision, un homme brun d'une trentaine d'année.
- Très jolie ta minette. Ça te dérange si on la ramène chez nous ?
Dans ses yeux passe une lueur d'inquiétude qui se transforme immédiatement en supplication. Je sens jusqu'aux tréfonds de mon corps qu'elle me demande de laisser tomber et de continuer de partager avec elle ce moment magique. Mais c'est trop tard ; dans mon esprit germe la certitude que ce type n'aura pas la chance de repartir indemne. Je ne peux pas le laisser repartir comme ça. Pas après ce qu'il vient de dire.
J'espère en vain qu'elle comprendrait le message que mes yeux lui envoient dans le secret ; je suis désolé. C'est plus fort que moi. Je lâche son visage et me tourne vers le type. D'un mouvement rapide j'attrape le col de sa chemise à moitié ouverte et le sors par la fenêtre. Il ouvre la bouche – sûrement pour balancer une remarque salace – mais il n'a pas le temps de dire quoique ce soit car je lui mets un coup de tête dans le nez. La portière côté conducteur s'ouvre, le sang gicle, Laïa étouffe un cri. Je le lâche sans chercher à le remettre en place et me tourne à temps vers l'autre homme qui se dirige vers moi, plus petit et plus râblé. Mais en voyant l'éclat de rage dans mes pupilles il lève les mains en l'air, paumes ouvertes vers moi.
- Désolé si on t'a empêché de la baiser mec, c'était pour rire.
Il abaisse ses mains et en tend une vers moi.
- Allez si tu veux, je vous ramène. Et peut-être qu'on pourra se la faire à deux … C'est bien plus que ce que ma patience peut supporter. Si je n'avais pas été là, ils auraient sûrement essayé de la mettre dans leur bagnole de force. Il y a tellement de malades … impossible d'avoir l'esprit tranquille quand je ne suis pas avec elle.
J'attrape la main qu'il me tend et la lui tords pour lui faire une clef de bras. Une fois dos à moi, j'exerce une pression sur ses phalanges de sorte à les ramener vers sa nuque. Il finit par gémir de douleur et je fais craquer ses doigts de plus belle. Finalement je le lâche et en un pas me positionne devant lui. Mon poing jaillit vers sa figure et le touche à la mâchoire, il tombe au sol.
Après lui avoir volontairement marché sur la main, je le contourne et attrape celle de Laïa. Nous nous enfonçons dans la forêt et au bout de plusieurs longues minutes à marcher, je ralentis la cadence. Elle n'a pas encore dit un mot. Pas de cris, de reproches, de hurlements. Ça n'est pas normal.
Je me tourne vers elle.
- Ça va ?
Elle hoche la tête et baisse les yeux sur la pointe de ses chaussures puis soudain relève les yeux vers moi et crie :
- Tomber amoureux n'est pas une connerie d'ado !
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