LolaB Ne plus jamais te dire au revoir On n'oublie jamais

On n'oublie jamais

Je termine de travailler à seize heures trente. Après avoir embrassé et cajolé Talisco, je reprends la route vers chez moi. Comme tous les soirs sans exception je n'emprunte aucun raccourci. Bien au contraire. Je passe par les chemins les plus longs et fait un maximum de détours, vitres ouvertes et musique à fond. Je n'en peux plus, de tout ça. J'aimerai tant connaître la hâte de rentrer chez moi, le plaisir en passant la porte. Le bonheur de voir quelqu'un que j'aime.

Quelqu'un comme Ethan.

Quelqu'un qui m'attendrait.

La première année de son départ, j'avais compté les jours, tous sans exceptions. Et l'addition s'était révélée plus salée que prévue : quatre ans. Pas un appel. Pas une lettre. Ni même un vulgaire SMS. J'ai essayé de m'inventer plein de manières pour faire face à l'absence. Comme cette manie de compter les jours. Puis les semaines.

Et un jour, j'ai compris. J'ai compris que le compte des jours se ferait inexorablement en mois puis en années. Je n'ai jamais cessé de penser à lui. Jamais. Pourtant Ethan est celui qui m'a laissé tomber, pas Zac. Mais je n'y peux rien, et j'ai finis par m'y résoudre.

Il paraît qu'une femme n'oublie jamais le premier homme qui a conquit son cœur.

Et bien c'est sûrement ce qui m'arrive. Je ne peux pas l'oublier, ni même le mettre dans un coin de ma mémoire et ne plus y penser.

Il pleut lorsque je me gare sur une place de parking en face de notre immeuble. Je traverse rapidement la route et monte jusqu'à l'appartement. La porte est ouverte. J'entre et retire mes chaussures que je pose à leur place dans la penderie. Zac regarde la télé. Je m'arrête dans l'entrée et sonde toute la pièce du regard en sentant ma poitrine devenir oppressante. L'intérieur est si immaculé qu'on peine à croire que deux personnes habitent ici. Le canapé semble avoir été livré le jour même et sur la table basse se trouvent trois de mes livres proprement empilés. Tout est à sa place, sans exception. Les magazines, les plantes, les photos que j'ai disposées.

Pourtant tout ce qui constitue un chez-soi est là, mais l'ensemble est trop parfait, trop froid, presque stérile. Les couvertures sont pliées et posées sur les deux accoudoirs du canapé. Chaque coussin a retrouvé sa place dans un coin. J'ai l'impression d'être une autre personne, une étrangère dans mon propre appartement.

- Salut.

Je pose mon sac sur le bar et le retire aussitôt, consciente de la remarque qui m'attend.

Zac se lève et vient m'embrasser au coin des lèvres.

- Je vois que tu as retenu la leçon, dit-il gentiment.

Tu parles d'une leçon ! Immédiatement je sens la colère bouillir en moi. Je haïs sa façon de me parler.

Je me dégage et vais directement dans ma chambre pour poser mon sac à main devant ma table de chevet en songeant qu'il n'a pas intérêt à me faire une nouvelle réflexion.

La chambre est tout aussi impeccable que le salon : pas une seule chose ne traîne. Les oreillers sont disposés le long de la tête de lit, lequel est fait et les draps parfaitement lissés et pliés aux quatre coins. Zac est obsédé par l'organisation et la perfection, et comme il n'a pas suffisamment de temps dans la journée pour tout faire, il donne ses directives à Carmen. Et c'est insupportable pour moi.

- Laïa ?

Je me tourne. Zac est debout contre le chambranle de la porte.

- Quelque chose ne va pas ? Tu m'as l'air un peu énervée.

- Tout va bien.

Il n'insiste pas et retourne dans le salon. Je me change en cinq minutes et me dirige dans la cuisine. Je sors un verre d'un placard et le rempli d'eau, une fois vidé je le laisse sur le bar où il n'y a rien et qui est d'une propreté irréprochable.

Ce qui n'échappe pas à Zac.

- Tu comptes boire à nouveau ?

- Je n'en sais rien, je grogne.

- Parce que ton verre, il traîne, là.

J'inspire profondément mais ce n'est pas suffisant pour interdire à ma langue de se délier.

- Oui, je sais Zac, JE SAIS ! Et tu sais quoi ?

Je m'approche du canapé.

- J'en ai vraiment, mais alors vraiment rien à faire. Je suis chez moi aussi, ici, et si je veux laisser mon verre traîner alors je le laisse traîner !

Lorsque nous avons emménagé ensemble, le côté parfait de Zac me rassurait. L'odeur de propre et d'effluves musquées me plaisaient. Mais plus maintenant. Plus à longueur de temps. Plus au point de me sentir comme une étrangère dans mon propre appartement.

- Tu ne trouves pas ça plus agréable lorsque tout est à sa place ?

Comparé à moi, il garde son calme. Comme toujours.

Il a un comportement irréprochable et ça m'énerve encore plus ce qui, forcément, me met en tort.

- Non ! Mais depuis quand es-tu devenu cet espèce de maniaque du contrôle obsédé par la perfection ?! C'est insupportable Zac, sache le ! Tu veux savoir ce qui est agréable ? De se sentir chez soi.

Je m'en vais dans la chambre et m'y enferme à clef, les deux mains sur la tête, à bout de nerfs. Je ne craque pas souvent. Jamais, presque.

Mais aujourd'hui c'est trop. Les meilleurs moments de ma journée je les passe en dehors de cet appartement ! J'en ai marre de me coucher le soir en sachant que le lendemain cette routine stupide va recommencer, que Carmen reviendra avec son regard insistant, qu'elle frottera le parquet déjà nettoyé.

Je me glisse sous les couettes et me penche suffisamment pour avoir la tête près du sol. Là je sors de sous ma table de chevet mon manuscrit. La seule chose qui me donnerait peut-être l'opportunité d'échapper à ma vie.

Je fais glisser les pages entre mes doigts. Ce livre, je l'ai commencé il y a quatre ans. Au début ce n'était même pas un projet. J'avais simplement besoin d'écrire sur Ethan et sur les souvenirs que j'avais de lui. J'avais eu trop souvent peur de l'oublier, de ne plus pouvoir me remémorer ses traits. Écrire. C'est tout ce qu'il m'était resté. Alors j'avais écris. Ce livre ça avait été … mon passeport pour l'évasion. Et j'espère qu'il le deviendrait pour d'autres aussi.

J'ai terminé ce livre il y a un peu plus de six mois et je l'ai envoyé à des maisons d'édition. Je n'ai eu encore aucun retour. Mais j'y ai mis tout mon cœur.

Ce livre c'est ma première histoire d'amour. Mon premier manque. Mes premiers désirs. C'est une l'histoire d'une histoire que j'ai mâché et remâché, ravalé et repensé. Je pensais qu'en le finissant, il se passerait quelque chose. Que tout serait différent. Que je serai apaisée. Mais au bout du compte rien n'a changé, puisque je suis toujours seule et insatisfaite.

Mais l'écrire m'a tout de même servit à quelque chose ; à comprendre à quel point ma réalité était mal faite.

Je l'ouvre à la première page et commence à le lire, jusqu'à sombrer dans le sommeil …

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