Fyctia

ETHAN

Je reprends conscience seulement vêtu d'un short, allongé sur le parquet froid de ma chambre d'hôtel. Un paquet de cigarettes vide me sert d'oreiller. Je me redresse et m'essuie la bouche. J'ai encore le goût de l'alcool et des clopes froides sur ma langue et mon palais. Ça me donne un haut-le-cœur. Je me sens défait et usé. La bile monte dans ma gorge et la nausée me submerge. Ça fait longtemps que je n'ai pas vomi un lendemain de cuite. Je rampe quelques mètres et parviens à me relever pour rejoindre la salle de bain, trempé de sueur, des relents de bière et de misère plein les narines.

Laïa.

Elle ne me pardonnerait jamais d'être devenu l'homme que je suis.

Je serre les lèvres juste assez de temps pour courir relever la lunette des toilettes et me délester d'une gerbe d'alcool fort et de drogue. Ça me brûle le nez et la gorge.

Une fois mon estomac vidé je me relève, me passe les mains et le visage sous l'eau. Je me rince la bouche et passe mes doigts dans mes cheveux. Quand je lève les yeux vers le miroir, je ne reconnais pas l'homme que je vois en face de moi. J'ai de larges cernes bleus, les traits émaciés et les yeux injectés de sang. Une barbe de plusieurs jours assombrit mon visage. J'ai l'air d'un junkie. Je me détourne de mon image, écœuré.

Tu l'as rejetée. Elle voulait être avec toi. Et tu l'as rejetée. Mais c'était pour son bien.

Cette histoire me taraude depuis plusieurs années maintenant. Son joli visage plein de souffrances surgit dans mon esprit à tout moment comme pour me narguer et me rappeler les horreurs que je lui ai balancées à la figure ce fameux jour. Sa douleur, son incompréhension et ses paroles désespérées me hantent. Je suis partis sans me retourner. Je lui ai donné de faux espoirs et je l'ai déçue.

Je m'accoude au lavabo et tiens ma tête entre mes mains pour tenter d'apaiser mon cœur emballé et mon souffle irrégulier.

Laïa avait raison quand elle m'avait dit que je n'avais pas besoin de tout ça. Vivre de cette manière finirait par me tuer. Par tuer définitivement l'homme auquel Laïa a un jour tenu.

Aujourd'hui quelque chose a changé ; j'aimerai me faire pardonner.

Trois mois plus tard …

Je me réveille difficilement et me demande encore ce que je fous ici. Je lève les yeux, sonde ma chambre d'hôtel et colle ma tête dans mon oreiller. Je me sens tétanisé, assommé, capable de rien. Seul, triste, con et fatigué. J'en ai marre de faire semblant. Marre de faire comme si tout me glissait dessus sans jamais me toucher. Marre d'être là. Marre d'être moi.

J'arrive plus à encaisser.

Un cœur détruit, des bouteilles et des paquets de clopes vidés, voilà ce que j'ai gagné.

J'en peux plus d'entendre les mêmes sirènes et les mêmes bruits de circulation à travers le double vitrage. Il faut que tout ça change.

Je me lève et attrape mon sac au pied du lit. Je fais le tour de ma chambre d'hôtel, récupère toutes mes affaires sur mon passage comme une tornade. Quinze minutes plus tard je suis rasé, douché et habillé et mon sac est prêt. Je l'attrape et le fais basculer sur mon épaule. Clefs, téléphone.

J'embrasse une dernière fois la pièce du regard, cette pièce qui a servit d'asile au résidu d'homme que j'étais. Rien ne me manquera.

Je referme la porte derrière moi et descends à l'accueil, là je paie le gérant, le salue et sors dehors au grand air. Le soleil brille haut dans le ciel, chose qui n'est pas arrivée depuis tellement de temps que cela peut se compter en semaines. Je me dirige vers ma moto, récupère mon casque et l'enfourche. Je pose mon sac entre mes pieds et mets le contact puis m'engage sur la route. Je roule jusqu'à un garage et m'arrête sur le parvis. Un homme vient aussitôt à ma rencontre.

- Joli bête ! dit-il, c'est quoi comme modèle ?

- Une MT07. Je la vends.

J'avise une GOLF IV noire non loin de là avec un panneau A VENDRE sur le capot.

- En fait non, je l'échange, je rectifie, combien la GOLF là-bas ?

- Quatre mille.

La mienne en vaut six mille. Je vous prends la GOLF et mille euros, et je vous la laisse.

Je lui lance mon regard déterminé afin qu'il comprenne à l'avance que je ne changerai pas d'avis et ne lâcherai pas un euro de plus. Il me jauge quelques minutes et fait le tour de ma bécane.

- D'accord, dit-il, suis moi au bureau.

Je descends de ma moto, abaisse la béquille et le suis. Vingt minutes et une poignée de main plus tard, je jette sur la banquette arrière mon sac et mon casque. Je démarre et rejoins l'autoroute, un léger sourire sur les lèvres. A partir de maintenant, les choses vont changer. J'ai passé quatre ans à me détruire, ne voulant pas m'avouer que j'avais besoin de quelqu'un. Pas d'un psy, non. De quelqu'un d'autre.

Une jolie fille aux cheveux blonds foncés, le regard à la fois déterminé et fuyant. Je laisse mes pensées vagabonder du côté de Fargues et cela me fait un bien fou. La revoir suffira à réparer ma tête et mes sentiments qui fonctionnent mal. Je me sentirai hors de danger et mon état s'améliorera. J'ai besoin de croire en quelque chose de profond et solide, et ce quelque chose est déjà en moi.

Tandis que je mets mon clignotant et me déporte sur la gauche pour doubler les voitures devant moi, je formule une promesse silencieuse.

Lorsque j'arriverai enfin à la revoir et peu importe ce qu'il adviendra de nous, je ne laisserai plus jamais la vie me mettre à genoux.