Fyctia

LAIA

Ma promenade se termine sur la plage. Je fais un pas pour passer par-dessus le muret lorsque l'air semble trembler tout autour de moi, comme si je passais le mur du son. Un souvenir me revient à l'esprit alors que je m'assois sur le muret froid et impitoyable.

Ethan.

La grève est vide, le vent et les vagues déchaînées. Au-dessus de l'eau, des oiseaux marins virevoltent. Le silence est inquiétant, limite angoissant. Soudain, deux mains se posent sur mes épaules. Je devrais sursauter ou avoir peur mais l'identité de cette personne me saute aux yeux dès que je sens son toucher.

Ethan.

Je remonte mes mains jusqu'aux siennes et noue mes doigts aux siens. Sa chaleur irradie en moi. Et tout disparaît. Le poids du temps, de la solitude, de l'absence.

Je suis à la fois vide et pleine. Vide de mes émotions négatives, et pleine de soulagement. Mais d'un coup une rafale de vent m'arrache à lui et m'emporte. Je crie, me débats comme une diablesse pour échapper à ce qui m'attend. Je me tourne vers lui, vois ses lèvres bouger.

Quoi ? Je ne t'entends pas ! je crie.

Son visage reste neutre et il réitère des paroles inaudibles pendant que je sens mon visage déchiré par la peur. Je fais un salto et me retrouve face à face avec un gouffre immense et tourbillonnant. Je relâche tous mes muscles, abandonne toute prise sur la vie …

Et me réveille en sursaut. Je tends une main leste et éteins le réveil-matin qui hurle trop près de mes oreilles. A côté de moi le lit se courbe puis revient en position initiale. Je ramène la couverture sur mon visage en grognant. La porte s'ouvre, se referme, et je sors de ma cachette. Les rideaux laissent passer des rais de lumière dans lesquels dansent la poussière. Je me découvre et pose les pieds sur le parquet propre. Je baisse les yeux sur ma nuisette épaisse et complètement ridicule. Quel âge ai-je déjà ?

Ah oui, vingt deux ans. Et ben on dirait pas. Qu'est-ce que je vais faire de tout ce temps que j'ai devant moi ?

Je me lève, ne prends pas la peine de m'habiller et vais directement dans la pièce principale. La tasse de café que tient Zac s'arrêta à mi-chemin sur la route qui mène à ses lèvres.

- Tu n'es pas habillée ?

Il ne regarde pas mes jambes nues que ma nuisette s'arrêtant à mi-cuisse découvre. Il ne me fait pas de compliments ni un quelconque signe qui me signifierait que je lui plais. Non.

Ici quand on se lève le matin il faut s'habiller correctement et ce depuis le jour où nous avons emménagé ensemble. Donc depuis quatre ans.

- Non, je réponds simplement.

- Laïa …, me morigène t-il, Carmen ne va pas tarder à arriver, ce n'est pas raisonnable. Va t'habiller.

Avec Zac, je dois mettre entre parenthèses toutes mes « petites excentricités », comme il les appelle. Je dois me cacher sous mes vêtements.

J'acquiesce et n'insiste pas plus. Je bats en retraite dans la chambre et referme la porte derrière moi.

Carmen est notre femme de ménage. La même qui s'occupe de la gigantesque maison de mes beaux-parents. De cette façon elle peut leur raconter le moindre ragot sur notre vie.

- La petite Laïa ne range pas ses affaires, je l'imite d'une voix niaise.

Argh ce que je peux la détester. Elle est insupportable. Dans cet appartement il n'y a pas de place pour un peu de fantaisie. Tout a une place bien choisie, un endroit bien à lui et gare à moi si j'ai le malheur de laisser traîner une chaussette.

Non pas qu'il faille choisir la désinvolture comme principe de vie, seulement nous n'avons que vingt deux ans et déjà tout est réglé, orchestré, maîtrisé. Je déteste ça.

J'ouvre mon placard et en sors un jean et un débardeur. En cinq minutes je suis habillée et ma nuisette, pliée sur le lit. Je reviens dans le salon et m'assois devant mon bol de lait déjà préparé. Je verse une poignée de céréales dedans et regarde Zac déposer sa tasse dans l'évier d'un œil mauvais. Il jette un coup d’œil à sa montre et je fais de même. 7H30 pétante, direction la salle-de-bain. Et comme pour donner vie à mes pensées, il s'y engouffre.

Il est réglé comme une horloge et c'est comme ça tout le temps, tous les matins. Niveau routine on ne peut pas faire pire. Six minutes plus tard il reparaît et Carmen passe la porte, armée d'un seau d'eau et de deux balais à franges. Inutile de toquer, évidemment. Elle pose son chargement au sol et saute aux bras de Zac. Je l'observe en sirotant mon jus de fruit. On dirait un PDG ; manteau en lainage noir, écharpe, montre a deux mille euros, chaussures italiennes. Il fait du mieux qu'il peut pour impressionner ses parents et tout le gratin de la société.

- Hola mi nino !

Elle l'embrasse à pleine bouche sur la joue et enserrant son visage entre ses longs doigts crochus.

Mais quant elle se retourne vers moi, elle ne se presse pas pour venir me saluer. Bien que je ne m'en plaigne évidemment. Elle me fait une bise succincte.

- A ce soir chérie !

Zac m'embrasse sur les cheveux, comme d'habitude, et s'en va en me laissant seule avec la sorcière. Je mange mon déjeuner en quatrième vitesse sous le regard intrusif de Carmen, me brosse les dents, relève mes cheveux en une queue de cheval haute et m'en vais sans dire au revoir. Notre appartement est tellement propre que Carmen n'a pas grand chose à y faire, mais soit, si ça lui plaît.