Fyctia
13- Eva (partie 1)
J’avais complètement oublié ce fichu sablier depuis mon arrivée ici. Le deuxième flocon est tombé : l’épreuve. Il semble me narguer, l’air de dire que mon calvaire ne fait que débuter. Agacée, je dépose ce truc étrange sur la table du salon avant de claquer la porte derrière moi.
— Eva, il serait temps que tu viennes travailler avec moi. Tu n’as plus 17 ans, il va falloir penser à nourrir ses bébés et mettre de l’argent de côté, tu y as réfléchi ? râle maman, qui m’attend près de la porte.
— Non, je vis au jour le jour, avoué-je, avec virulence.
— Évangéline Potter, je te signale que dans 6 mois, tu auras des enfants. Tu ne peux pas te permettre de vivre comme si tu étais en colonie de vacances.
— C’est bon, tu as terminé ? dis-je en entrant dans le véhicule.
Elle me lance un de ces regards, que seules les mamans en colère font, qui me glace le sang. Au fond, je sais qu’elle veut mon bien. Elle a raison, mais je ne supporte pas qu’elle me traite comme si j’avais 16 ans. J’appuie rageusement sur la pédale d’accélération et le 4*4 tressaute. Je ne prête pas attention à mes larmes qui ruissèlent. Ces temps-ci, je rigole aussi aisément que je pleure. On dirait Alexis au lycée, une vraie madeleine. Voilà qui m’apprendra à m’être moquée d’elle. Je roule dans un état second et la plage fait enfin son apparition. Je reconnais déjà le tacot de Jules.
J’effectue ma manœuvre—un créneau—sans difficulté. J’ai toujours été douée en conduite. Je coupe le moteur et jette un dernier coup d’œil dans le rétroviseur pour arranger ma tignasse rousse. Je sors, panier en osier au bras, tongs aux pieds, le cœur battant à tout rompre.
Calme-toi, Eva, il ne s’agit que de Jules !
Je passe devant les magasins colorés qui bordent la plage, longe le ponton avant de sauter à pieds joints dans le sable blanc. L’air salin m’accueille généreusement, le bruit des vagues ont pour effet d’apaiser mes tourments.
Sauf que je le vois, les battements de mon cœur reprennent de plus belle. J’ai des frissons, sûrement dus aux 20° degrés et à ma tunique légère. Jules ne me voit pas, trop occupé à caresser Brutus (enfin Apache), comme si c’était la personne la plus chère au monde. J’en suis presque jalouse—presque, il s’agit d’un chien, après tout ! Mon Dieu, il est si élégant avec ses cheveux en bataille, son air enfantin, ses craquantes fossettes.
Purée, je divague…
Quand je m’approche de lui, il ne lève pas les yeux vers moi, mais je sais qu’il a remarqué ma présence. Son regard est arrimé sur mes orteils que je remue et il sourit. Jules a toujours été fan des pieds. Va savoir pourquoi ! Pour l’occasion, ce matin, j’ai effectué un rapide gommage et mis du vernis framboise. Non pas que je cherche à plaire à Jules…
Menteuse, hurle ma conscience.
Tais-toi ! je lui rétorque mentalement.
— Red ! Toujours en retard.
— Jules, toujours en avance.
Cette fois, il se lève et m’attire dans ses bras, devenus dangereusement musclés.
— Tu écrases les bébés, prétexté- je pour m’éloigner de sa dérangeante proximité.
Pour toute réponse, il plaque un bisou sur mon front et je me sens fondre à l’intérieur. Afin de voiler mon état fébrile, je clame la première chose qui me vient à l’esprit :
— Comment se fait-il que tu roules encore dans cette vieille voiture ? Je pensais que les docteurs étaient riches.
— Red, tu es bien naïve ! Je ne suis encore qu’un résident. Je rembourse tous les mois mon oncle qui m’a gracieusement prêté une somme astronomique pour mes études.
— Je pensais qu’il t’avait offert la somme, non ?
— Oui, mais tu me connais…
— Ah oui, Jules le perfectionniste qui refuse qu’on lui offre quoique ce soit. Mais, enfin, si ton oncle, qui est riche au passage, te paye tes études, où est le problème ? Pourquoi, tu tiens tant faire ça ?
— Parce que… je ne veux pas être redevable de quoique ce soit.
Je lève les yeux au ciel en signe de reddition. Même au lycée, Jules n’aimait pas qu’on lui fasse des faveurs. Il a toujours clamé que rien de beau ne s’obtient facilement.
— Qu’est-ce que tu disais déjà quand on était au lycée ?
— Paye maintenant et joue plus tard !
Je complète :
— Ou joue maintenant et paye plus tard !
C’est exactement lui et moi. Lui a choisi de mettre sa vie de côté, en payant le prix fort dans de longues études ; moi, j’ai opté pour une existence frivole et c’est aujourd’hui que je suis tributaire des conséquences. Toute cette maxime prend finalement son sens.
— Assez parler de moi ! Viens, on va s’asseoir. J’espère que tu as faim, je suis passé chez Dee.
— Jules, je vais finir par croire que tu veux m’engraisser !
Sur le sable, mon ami déploie un plaid écru sur lequel il dépose un panier en osier.
— Installe-toi !
Je ne me fais pas prier, étends les jambes devant moi. La brise légère vient lever un pan de son T-Shirt et je surprends un bout de son tatouage. J’ai du plisser les yeux de curiosité car lorsque je lève la tête, je vois Jules qui sourit.
— Tu es bien curieuse, Red.
— Ah, c’est de ta faute. Fallait pas me titiller avec tes tatouages cachés.
— Ok, voici ce que je te propose. Un jeu. Tu me dis un mot, je dois devenir le souvenir évoqué. Si je perds, je t’en montre un.
— Euh…
Tout ce dont je pense, c’est, je vais voir Jules torse nu…
— Je suis une bonne joueuse. Mais si, c’est moi qui perds, je fais quoi ? Je ne vais pas me mettre à poil, de toute façon, tu as déjà vu mon…
Jules vire au rouge.
— Tu promènes Apache avec moi quand je ne suis pas de garde.
— Fair enough. Si je te dis, pipi, tu me penses à quoi ?
— Facile ! La fois où j’ai dû t’accompagner à ce pique-nique de famille et tu avais une terrible envie de faire pipi. Comme Caleb ne voulait pas t’accompagner dans les bois, j’ai du le faire, me tourner pour ne pas te voir uriner. Un mémorable souvenir, Red.
J’explose de rire.
— Tu vois, on était déjà destiné pour tout ce qui est gynécologique, ajouté-je, pliée en deux.
— Ça fait un point pour moi. Maintenant, si je te dis : fleur.
— Fleur, tu plaisantes là ?
— Non. Allez, Red, ce n’est pas si difficile.
Pour gagner du temps, j’ouvre le panier pour m’emparer d’un Almond croissant. Je ne suis pas le genre de fille qui aime les fleurs, alors là, ça ne me rappelle rien du tout.
— Un indice, le supplié-je.
— Non !
— Tu es devenu dur en affaire ! Pfff… je passe.
— Lorsque je t’ai offert une rose, mais…
— Mais elle était en plastique. Je me suis moquée de toi pendant des semaines.
— Eh oui, mais pour info, je me suis amélioré depuis.
— Je demande à voir ça ! Mon tour.
Je vais te faire enlever ton T-Shirt…
— Danse.
— Oh la vilaine ! Des souvenirs avec toi qui danse, il y en a des tonnes, je te signale.
— Mais un seul est mémorable, Jules !
Je lui lance mon sourire le plus machiavélique.
— Parle pour toi ! Je passe.
— Montre-moi ton tatouage, mon cher.
Jules soulève son haut et je vois son torse musclé. Sous ses pectoraux, un aigle royal vient trouver refuge. Je deviens écarlate. Ce n’est plus le petit Jules. C’est un homme dangereusement séduisant.
Boy, I’m in trouble !
8 commentaires
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Fanny DL
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Émilie Parizot
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Sylvie De Laforêt
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Claire Lossy 01
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Il y a 6 ans