Fanny, Marie Gufflet Ne dis pas "plus tard" à l'Amour 11- Eva (partie 1)

11- Eva (partie 1)

Onze ans auparavant…


J’ai une peur bleue du sang. Ce qui est ironique, vu que papa et Caleb, mon frère sont pompiers. Le sang, c’est un peu leur quotidien.

C’est le réveillon de noël. Je devrais être d’humeur joyeuse. D’ordinaire, j’adore cette période de l’année. Je devrais être en train de décorer et cuisiner avec maman et Cal, et accessoirement Alexis qui ne le décolle plus. Pourtant, c’est loin d’être le cas.

D’ici quelques heures, Jules débarquera à la maison et il saura tout.

— Mademoiselle Potter, c’est à vous, m’informe la sage-femme qui me sort de mes réflexions.

Mon cœur vacille.

— Tout va bien se passer, rassuré-je papa alors qu’on m’emmène dans la salle.

Contrôler ma vie, voilà ce qui m’a poussé à passer à l’acte, à mettre un terme à cette grossesse non désirée. Jimmy est le père. Je ne m’imaginais pas élever un enfant seule, ayant pour papa cet adolescent attardé. Bon, au lit, il fait largement l’affaire, mais sur le plan émotionnel, c’est une autre histoire.

J’ai demandé à Mr Spin, mon gynécologue, de faire une IVG chirurgicale. Les médicaments et les contractions, trop peu pour moi. Comme je suis mineure, papa m’accompagne (du moins avant le bloc opératoire). Même s’il a désapprouvé mon choix, même si durant le délai de réflexion, il a tenté de m’en dissuader, il est là à mes côtés. Je lui en suis reconnaissante. On m’installe donc, les deux fers en l’air dans les étriers, avec une affreuse blouse bleue sur le corps.

Je regarde la professionnelle accompagnée d’une sage-femme, elle met le spéculum dans mon vagin. C’est froid. Pas agréable. Dérangeant. Je n’aime pas les médecins, les dentistes, encore moins les gynécologues. Pourquoi donc n’est-ce pas Mr Spin qui m’opère ?

Angoissée, je sens tout mon corps se tendre comme un arc. Vais-je avoir mal ? Je suis une vraie chochotte.

— Je vais vous faire l’anesthésie locale au niveau du col, m’informe la gynécologue.

Mon cœur se met à battre très vite, ça cogne si fort là-dedans que j’ai le sentiment qu’il va exploser en mille morceaux. J’imagine déjà des particules de moi répandues sur le sol.

— C’est normal, me rassure la sage-femme qui a vu ma main sur ma poitrine. Décrispez-vous !

Facile à dire !

— Maintenant, c’est l’ouverture du col.

Pourquoi me dit-elle tout cela ? Je m’en moque ! Je désire qu’on en finisse et au plus vite. Mettre cette erreur de côté. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser de ma cage thoracique.

— Je vais donc procéder à la troisième partie, c’est-à-dire l’aspiration.

La sage-femme tient ma main que je broie de toutes mes forces.

— Ne vous inquiétez pas, vous n’allez pas avoir davantage mal, mais ce sera une sensation un peu inhabituel. Ça va secouer dans votre ventre.

Dans mon esprit, j’ai l’idée d’un aspirateur géant qui vient prendre la vie en moi. Ça remue drôlement ! Mais heureusement l’intervention est rapide, j’en suis même étonnée. Je me mets à pleurer. J’ignore pourquoi, je ne parviens pas à contrôler mes larmes.

— C’est normal. Vous vivez une séparation, ça peut-être difficile, m’avertit la femme d’un ton qui se veut neutre.

Tandis qu’elle vérifie à l’échographie si le contenu de l’utérus a bien été aspiré, je me sens vide. Soulagée, mais dépeuplée.

— C’est fini, m’informe la sage-femme.

Je suis dans un état torpide, mes pieds marchent vers la sortie tandis que mon cerveau est encore en train de traiter le sujet.

Comme je l’ai demandé à papa, je préfère être seule dans la chambre d’hôpital. Je ne suis pas prête à affronter ses yeux tourmentés sur moi.

À nouveau, la même question se heurte à moi. En dépit de la bonne éducation reçue, en dépit de mes connaissances en matière de protection, je n’ai pas su me protéger correctement. Je suis juste tombée enceinte trop tôt. Ai-je pris la bonne décision ? Oui, me lance ma tête. Non, me crie mon cœur. Mais, je suis jeune, ambitieuse, j’ai des projets, des rêves à accomplir et ce n’est pas avec un bébé que je pouvais le faire. C’est cela, j’ai fait ce qu’il fallait. Absolument ! Ce bébé était comme un rhume, il fallait le traiter, je l’ai fait, j’ai guéri, ça va aller.


*


Ce soir, de retour chez moi, l’opération n’est plus qu’un souvenir amer. L’ambiance est au beau fixe. Les décorations de noël scintillent dans la maison. Caleb rigole aux éclats avec Alexis. Maman chantonne, les bras chargés du plat de dinde. Seuls ombres au tableau : papa et Jules. Tous les deux sont au courant de mes agissements. Ne peuvent-ils pas faire semblant pour une fois ? Être heureux pour moi. Ce n’est pas comme si, j’étais en train de me morfondre pour mon acte. Au contraire, même après les doutes à la sortie de l’opération, je suis sûre de moi. J’éprouve un soulagement. Je me sens libérée d’une pression, comme si mon avenir m’appartenait à nouveau. Comme si j’étais maître de ma vie.

Je sens les yeux scrutateurs de Jules sur moi. Il parait dévasté, comme si c’était lui qui avait avorté !

— Eh ho, Jules qu’est-ce qui t’arrive mec, quelqu’un de ta famille est mort ou quoi ? blague Caleb.

Mais mon ami n’est pas d’humeur à la plaisanterie. Sa mère lui lance des regards inquiets, moi, un regard assassin.

— Excusez-moi, lance-t-il à la cantonade.

Je l’entends qui court. Je le suis jusque dans ma chambre où il est assis sur le rebord de mon lit.

— Jules, ressaisis-toi ! Si je te l’ai dit, c’est parce que tu es mon meilleur ami, j’ai besoin de toi, pas que tu t’effondres comme ça !

— Je sais, je sais, c’est juste que… que ça me fait mal, c’est tout !

Il n’essaye pas de me raisonner. Je connais sa position sur le sujet. Il fait parti de ces gens qui sont contre l’avortement.

— Jules, dis-je, les mains posées sur ses genoux, c’est mon choix. C’est moi qui aurait dû vivre avec ce bébé, pas toi ! J’ai pris la bonne décision. Je me sens libre et soulagée d’un poids.

— Oh, Eva ! Tu t’entends parler, là ? On parle d’un bébé !

Cette fois, il pleure. Je n’ai jamais vu Jules pleurer, mais là, c’est déroutant.

— Excuse-moi, se reprend-il, je devrais être là pour t’épauler, mais je… je n’y arrive pas. Je crois que je vais rentrer. Je… je t’appelle demain. J’ai besoin d’un peu de temps.

— Je t’ai déçue, c’est ça ?

— Je suis surpris, c’est tout. Laisse-moi le temps de digérer la nouvelle, ok ? J’espère simplement que tu iras bien.

— Mais oui ! laché-je avec nonchalance.

— Eva… non, laisse tomber.

— Quoi ? Vas-y, crache le morceau !

— J’espère que tu iras bien, sincèrement. Parce que les études ont prouvé que beaucoup de femmes subissent ce qu’on appelle le syndrome post abortif.

— C’est quoi encore ce truc ? Comment es-tu au courant de tout ça, d’abord ?

— Ma cousine est passée par là. C’est une dépression.

— Ah ! Mais ne t’inquiète pas pour moi, je suis une dure à cuire ! Ce genre de truc, ce n’est pas pour moi.

Mon Jules se lève, presqu’en titubant. Purée, c’est moi qui avorte, c’est lui la victime ! J’ai envie de le secouer comme un prunier.

— Joyeux noël, Red ! Je rentre chez moi.

— Joyeux noël, Jules !

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11 commentaires

Fanny, Marie Gufflet

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Il y a 6 ans

Ah oui ?! Tant mieux

kleo

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Il y a 6 ans

Je ne m attendais pas à ça. Quelle surprise

Fanny, Marie Gufflet

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Il y a 6 ans

Perso, je ne l’ai jamais vécu mais j’ai vu des témoignages dessus et ça m’a touché

Sylvie De Laforêt

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Il y a 6 ans

Compliqué de subir un avortement. C'est une chose que l'on oublie jamais.

Fanny, Marie Gufflet

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Il y a 6 ans

Merci

RaïssaL

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Il y a 6 ans

Je te trouve tellement juste et fine dans la description des émotions, du vécu et des personnages que s’en est déroutant !! Vraiment bravissimo !!!

Fanny, Marie Gufflet

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Il y a 6 ans

Merci ma belle

Elizabetttt

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Il y a 6 ans

Purée... j’imagine pas la douleur d’Eva ! Continue ! J’aime beaucoup !

Zalma

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Il y a 6 ans

Un chapitre poignant, et juste. Très juste. Par contre, je me demande si le récit n'aurait pas eu plus de force, si Jules n'avait pas été au courant... je pensais qu'il ne l'était pas, au tout début... Bémols : les coquilles, quelques maladresses, des répétitions "le coeur qui cogne", dit deux fois... mais bon, des choses qui se rattrapent... Voilà, mon petit "boulot de binôme" s'arrête à ce chapitre, mais il va de soi que je continuerai à lire la suite, à soutenir ton texte... J'adore, tu le sais, et ne suis pas la seule d'ailleurs !! ;D Bisous !!
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