Fyctia
10- Eva (partie 2)
Tandis que mes prunelles scrutent le moniteur dans l’espoir de déchiffrer ce qui se passe, je vois mon ami sourire de plus belle.
— Non, tout va bien. Est-ce que tu vois là les deux sacs gestationnels ?
— Oui et pourquoi il y a deux sacs ?
— C’est une grossesse gémellaire bichoriale.
— Bon, Jules, ne me sors pas le langage codé des médecins, j’y comprends que dalle !
— Tu attends des faux jumeaux et tu en es à 11 semaines d’aménorrhées.
— Tu veux dire que j’attends deux petits martiens, bredouillé-je entre deux sanglots.
— Oui, tu attends deux bébés.
Pour toute réponse, je gémis. De joie. De peur. De soulagement. D’excitation.
— Je vais mesurer les fœtus de la tête au fesse pour déterminer l’âge gestationnel de la grossesse.
Silencieuse, je demeure abasourdie par ce flot d’informations. Deux bébés. Des jumeaux. Deux vies. Deux chances.
— On va écouter le cœur des bébés, un moyen de se rendre compte de la vitalité des fœtus.
L’ordinateur se met à émettre le son des cœurs, rythmant à l’unisson. Un drôle de bruit qui restera à jamais graver dans ma mémoire.
Jules poursuit ses explications, mais je suis projetée dans mes souvenirs douloureux, me ramenant à des années en arrière.
— Je vais être maman, chuchoté-je pour moi-même.
C’est comme si je venais de me prendre un électrochoc. Qu’on m’a roué à coups de vérités. Au fond, je sais, je fais tout pour paraitre détachée et normale. Pétillante comme les bulles de champagne, légère comme une plume. Je flotte tel un iceberg, mais, en réalité, la partie émergente n’est pas le reflet de ma souffrance. Celle-ci est bien plus profonde, située sous mon enveloppe charnelle. La masse considérable de mes problèmes est enfouie, pour que personne ne la voit. Personne, sauf Jules qui lit en moi.
Mon ami-gynécologue arrime ses yeux à moi tandis qu’il retire ses gants en latex.
— Oui, Eva, tu vas être une superbe maman ! clame-t-il, en se levant.
Il m’invite à le rejoindre au bureau et me laisse ici, pantelante d’émotions. Les yeux mouillés de larmes, j’enfile à nouveau ma culotte, baisse ma jupe avant de me diriger vers la chaise. D’instinct, mes mains se portent vers mon ventre.
— Est-ce que… est-ce que je peux leur parler ? Tu penses que c’est trop tôt ?
— Non Red, fais-le autant que possible !
Puis, le médecin reprend place. Son visage devient impassible. Il me traite comme si j’étais une patiente, pas son amie d’enfance. Pas celle qu’il a autrefois demandé en mariage. Bizarrement, ça fait un mal de chien !
— Je vais te prescrire des séances de monitoring avec une sage-femme trois fois par semaine à domicile. Mais, si tu préfères, je peux passer te les faire sur mon temps libre.
— Je préfère toi, enfin pas toi… que ça soit toi.
— J’avais saisi, avoue-t-il sans se départir de son sérieux.
Il remplit tout un tas de papiers, observe un calendrier avant de m’expliquer :
— On va estimer la date de conception autour du 30 octobre, il faudrait que tu tiennes jusqu’à 37 SA, qui nous ramène vers la mi juillet.
— Ce n’est pas 40 semaines normalement ?
— Si, mais pour une grossesse à risque comme la tienne, on essaye d’aller au moins jusqu’à 37 SA, plus si tu peux. Il faudrait que tu puisses prévenir le père pour qu’il soit présent lors de l’accouchement.
— Non ! crié-je avec vigueur. Il ne désire être le père. Trevor est un abruti fini !
Je souris.
— Ce n’est pas grave, je vais assurer grave !
Je suis sur le point d’imploser, mais je maintiens ma mine joyeuse pour ne pas perdre contenance.
— Tu n’as pas à traverser ça seule. Tu sais quoi ? Il me reste des congés à prendre. Je vais les poser et, si ça ne te dérange pas, je t’assisterai le jour J, en tant qu’ami, pas en tant que gynécologue. Je viendrai tenir ta main que tu écraseras de toute manière. Je te masserai le dos, je ferai tous les petits trucs que font les pères ce jour-là.
— Tu… tu ferais ça ? Sangloté-je.
— Oui, bien sur que oui. Mais, t’as intérêt à me nommer parrain d’office.
J’explose de rire. Un rire triste et reconnaissant à la fois.
— Bon, Red, j’ai d’autres patientes à voir, je te raccompagne à la porte, m’apprend-il.
Jamais je n’ai autant apprécié aller consulter ! Alors qu’on est proche de la porte, je suis consciente de la barrière professionnelle érigée entre nous, mais je suis trop émotive pour résister. Je l’enserre de mes bras. Une étreinte qu’il a du mal à me rendre. Il demeure de marbre. Est-ce à cause de la blouse qu’il porte ? De moi, enceinte de jumeaux ? Finalement, je recule, un peu embarrassée par son manque de réaction.
— Jules… comment je vais faire ? Des jumeaux ! Tu me vois avec deux bébés, un gros ventre, une paire de seins énormes et les pieds qui gonflent ?
Cette fois, l’ami est de retour, un grand sourire sur les lèvres :
— Oui, Red, je te vois tout à fait avec deux bébés, le chiffre parfait.
Je sais exactement ce à quoi il fait allusion alors qu’il m’ouvre la porte.
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Claire Lossy 01
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Aurélie Lefeuvre
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Zalma
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Sylvie De Laforêt
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Il y a 6 ans