Fyctia
7- Eva (partie 1)
Je peste déjà quand je vois apparaître dans mon champ de vision, la vieille pancarte défraichie, Welcome to Blueberry. Depuis toutes ces années, ils n’ont pas pensé à la changer. Tout de même, un peu de bon sens, les gens ! Pas étonnant que cette ville n’évolue pas. Le taximan me jette un regard noir dans le rétroviseur tandis que je marmonne dans ma barbe. Nous roulons à présent en ville, où étrangement la vue des buildings modernes me redonnent un peu d’espoir. Bon, on est loin de Manhattan, mais au moins, je me sens plus citadine dans ces ruelles bondées de monde. Enfin, si on fait abstraction des mamies promenant leur chien et des kinésithérapeutes baladant les papis pour leur sortie hebdomadaire. Nous passons devant le Blueberry Bay Hotel et son imposante allure atypique de cathédrale. Je n’ai toujours pas compris un tel choix. Le conducteur ralentit la cadence tandis que nous arpentons le centre historique de Blueberry et son charme industriel—enfin si on aime voir les murs en briques rouges à longueur de journée—et je suis surprise de constater qu’ils ont un tatoueur dans les parages.
— Minute papillon, vous pouvez ralentir que je prenne le numéro ?
— Bien sûr !
À ma demande, il se positionne sur le bas-côté et je sors photographier la pancarte. Encore une fois, ici, ils ne cassent pas trois pattes à un canard, le nom est si banal que ça en est navrant : Blueberry Tatoos. Cela dit, je suis impressionnée, la décoration est très réussie. Devant l’entrée, à même le trottoir, se dressent deux fauteuils aux coussins corail. Ils semblent m’appeler à prendre place, mais je n’ai pas le temps d’y poser mes jolies fesses. Je remonte en voiture et cette fois, j’admire les nouveautés. Un night-club, un comedy theater, des bars et des restaurants. Onze ans que je suis partie… il y a du progrès, c’est déjà ça !
À mesure que l’on se rapproche de mes parents, je flippe. Ça craint de rentrer chez soi ! Tiens, Dee est encore là. Tant mieux ! S’il y a bien un café que je ne supporterai pas de voir disparaitre, c’est celui-ci. Un lieu de mon adolescence comme le 8 Pool.
Plus que trois minutes, top chrono ! Je le sais car j’ai déjà compté le nombre de minutes qui s’écoulaient pour me rendre du billard à chez moi. Quand je faisais le mur—ça m’est arrivé quelques fois pour rejoindre Jimmy là-bas—j’ai chronométré le timing qu’il me fallait pour parcourir en voiture cette distance. Ainsi, je pouvais passer les dernières minutes de mon temps avec lui, dans son vieux pick-up, pour rentrer à l’aube juste avant que mes parents ne se lèvent. Vive la jeunesse ! Les nuits blanches n’avaient pas le même effet sur mon corps qu’aujourd’hui. À 28 ans, on commence à sentir la trentaine pointer le bout de son nez.
— Voilà, on y est, ma petite dame !
— Mmmph…
Je demeure là un instant. Finalement, je crois que j’ai envie de prendre mes jambes à mon cou. On peut repartir ?
À peine le moteur coupé, la portière qui claque, ma mère débarque—chaussons à ses pieds et bonnet de bain sur la tête—pour me prendre dans ses bras.
— Aïe, maman ! T’as encore ton bonnet sur la tête, dis-je, honteuse qu’elle ose débarquer ainsi.
— Bah quoi ! J’allais prendre ma douche quand tu es arrivée, c’est pour pas mouiller mon brushing.
Si le taximan, lui, la trouve ridicule, il ne laisse rien paraître.
— Excusez ses bonnes manières, clamé-je, embarrassée.
— N’importe quoi ! Je suis chez moi. Ma fille vient de New-York et ça y est, elle croit connaître le monde mieux que quiconque !
— N’importe quoi ! pesté-je.
Cela dit, c’est vrai ! Vivre dans une grande ville ouvre les yeux, mais je me garde bien de le lui dire. Comment se fait-il que Jules soit resté ici pour faire ses études de médecine. Un mystère !
— J’ai fait des cookies, dépêche-toi avant que ton père n’engloutisse tout. Tu le connais, il est très gourmand.
— Cookie, siffle-t-il, alors que j’ai à peine mis un pied dans le salon.
Papa m’étreint si fort que j’ai peur de disparaître dans ses bras. Sans m’y attendre, Caleb débarque, nonchalant, les mains dans les poches, accompagné de la rayonnante Alexis.
Qu’est-ce-qu’ils font là ?
— Bah dis donc, j’ai droit à un vrai comité d’accueil ! dis-je sarcastique.
— Salut Fripouille ! balance mon frère en ébouriffant ma tignasse rousse.
— Salut l’Andouille !
On se lance des vannes comme au bon vieux temps alors que je m’écroule dans le sofa, les yeux clos. J’ai mal aux seins, au bas-ventre, c’est éprouvant d’être enceinte. Quand j’ai le malheur de les ouvrir, Alexis a la tête posée sur celle de mon frère qui lui caresse le bras. Leur bonheur est… écœurant ! Surtout quand on vient de se faire larguer de façon lamentable par son abruti de copain.
C’est alors que je remarque… le ventre arrondi de ma belle-sœur. Comment ai-je pu oublier qu’elle était enceinte ? Combien de mois déjà ? Purée que je suis nulle pour ce genre de chose.
— Alors, fille ou garçon ? demandé-je
Au moins là, je ne peux pas me tromper, ce n’est pas comme s’il y avait trente si mille solutions.
— Un garçon, chantonne maman qui arrive les mains plein d’un plat de cookies chauds.
— Dire qu’on a remis le couvert après les jumelles !
— Et pas qu’une fois, renchérit mon frangin, le sourire aux lèvres.
Beurk !
— Qu’est-ce qui nous attend chéri ?
— Bah des mois sans dormir, des tonnes de couches sales, des bisous baveux, plein de câlins…
— Rhooo comme j’ai hâte !
Beurk ! Rien que d’imaginer l’odeur nauséabonde des couches, ça me retourne l’estomac. Je ne dois pas être faites pour être maman. Il y a bien des femmes qui n’ont pas la fibre maternelle, non ? J’ai beau avoir gardé—contre mon gré—les jumelles, ça ne m’a pas donné la moindre envie d’avoir un enfant. Que vais-je faire ?
La bouche pleine de chocolats, j’écoute papa parler de sa garde d’hier soir avec Caleb.
— Quand on est arrivé, c’était trop tard. Le couple dormait à poings fermés, ils ont dû mourir asphyxié.
Des fois, je me demande si je ne suis pas un extraterrestre. Mon frère et mon père partagent ce goût du risque et ma mère, elle, a toujours fait preuve de compassion pour les autres. Moi, tout cet élan de générosité me met mal à l’aise. Quand je vois quelqu’un dans la détresse, je panique, je ne sais pas comment m’y prendre. Ça doit être pour ça que je me suis tournée vers la mode.
— Papa va monter tes affaires là haut, pas vrai chéri !
— Dis comme ça, je n’ai pas vraiment le choix, clame-t-il joyeux.
Je l’observe qui exécute les ordres donnés par maman.
— Sinon Red, quelle est la raison de ta vraie venue ?
En moins de deux, mon frère m’a débusquée. Il est l’heure de leur annoncer la nouvelle.
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Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Sandelina Antowan
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Fanny, Marie Gufflet
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RaïssaL
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Fanny, Marie Gufflet
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Zalma
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Fanny, Marie Gufflet
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Sylvie De Laforêt
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Fanny, Marie Gufflet
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celiapicardd
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Il y a 6 ans