Fyctia
4- Eva (partie 1)
Avec rage je regarde ce foutu sablier. C’est cela l’explication logique à tout ce chaos ambiant qui règne dans ma vie. Depuis que j’ai reçu ce cadeau à la noix, je n’ai eu que des noises avec tout le monde. Caleb. Trevor. Ma patronne. Mes collègues. Gabriela. Depuis, j’ai empilé les soucis comme on empile les cailloux.
Bon, je suppose que pour le boulot, c’est normal. Un mensonge aussi gros que le mien aurait bien fini par me rattraper de toute façon. Gaby m’avait prévenu depuis le début.
Quant à dix-huit ans j’ai fui de chez moi pour me réfugier chez ma tante, j’ai été catégorique. L’école ce n’est pas pour moi. Alors, je me suis dégotée un job dans un magasin de vêtements. J’y ai travaillé d’arrache-pied, économisé—moi, la dépensière—pour me prendre une ridicule chambre en ville. De fil en aiguille, j’ai gravi les échelons, je suis devenue manager, pris un appartement tout moche, à l’époque. Mais, au fond de moi, j’avais qu’une hâte, travailler dans la mode. Ouvrir mon magasin. Seulement, cela s’est avéré plus difficile que je le croyais. Alors, lorsque j’ai lu qu’il cherchait une chroniqueuse pour le magazine Nude, je n’ai pas cherché midi à quatorze heures. Je me suis inventée des études, je me suis inventée une vie quoi ! J’ai peut-être mentionné que je parlais français. Bon, ok, j’ai carrément mis que c’était ma langue maternelle. J’ai pris quelques informations grappillées de la vie d’Alexis—ma belle-sœur—je l’avais suffisamment entendue parler de ses études et de sa vie à Paris pour savoir de quoi il en retournait. De ma belle écriture, j’ai signé Eva Pothin et non Évangéline Potter sur mon contrat. Je n’étais pas à une lettre près.
Sauf que… sauf que je ne pensais pas croiser un français à New-York dans mon travail. Franchement, les chances étaient faibles, non ?
Sauf qu’hier, ce maudit 30 décembre, ma patronne—m’a expressément demandé de venir traduire le Make-Up Artist de la prestigieuse marque française—je ne me souviens plus du nom tellement c’est imprononçable—de passage à Manhattan. Il avait besoin de former l’équipe qui s’occupe de pondre les articles sur le maquillage et les soins. Enfin pour faire court, j’ai tenté en une nuit d’apprendre le français. Ce qui m’a valu, premièrement des cernes et des nausées abondantes, deuxièmement un mal de crâne carabiné. Prenant mon courage et ma folie à deux mains, je me suis rendue au travail, ai fait bonne figure devant le Français. J’ai sorti, avec la plus grande discrétion, mon smartphone sur la table devant moi, prétextant un appel urgent de ma famille.
Après tout, je tenais à garder mon job, j’ai dû tenter le tout pour le tout.
À mesure que le Français—qui était charmant mais de très petite taille—a expliqué la composition de cette nouvelle gamme de rouge à lèvres, j’ai regardé la traduction sur Google, mais misère de misère, il est allé trop vite. J’ai dû réactiver le micro à plusieurs reprises, ce qui m’a valu quelques fâcheuses secondes de retard, un désastre quand on est censé traduire. J’ai vu les visages de mes collègues se peindre de doutes et de questionnements face à mon discutable talent. J’ai commencé à avoir très chaud puis très envie de vomir. Ce trop plein de mensonges était en train de me rendre malade. J’avais déjà perdu Trevor, je n’allais pas en plus perdre mon travail.
— Est-ce que tout va bien ? a-t-il fini par me demander, une main sur mon épaule.
De grosses gouttes de sueurs ont perlé mon front et mon dos. Mon chemisier a commencé à me coller, et ce, malgré la climatisation.
— Je…
J’ai été à deux reprises de lui vomir la vérité qui me retournait l’estomac.
— Je suis grosse, ai-je dit en français, après avoir cherché sur Google la traduction.
Le Make-up Artist m’a lancé un de ces regards étonnés, me détaillant de la tête aux pieds.
Il a répliqué quelque chose, un fatras de mots qui m’ont été inconnus. J’ai louché pour y lire la signification.
— Non, vous n’êtes pas grosse, a-t-il rétorqué.
Je venais de lui balancer la pire des âneries.
— Je suis enceinte, ai-je rectifié, avant de courir hors de la pièce pour rendre mon petit-déjeuner dans la poubelle voisine.
Le mal avait été fait. Ma patronne a accourue pour me demander si tout allait pour le mieux, mon collègue, un dénommé Arthur—qui jalousait mes chroniques—s’est accroupi devant moi.
— Tu ne parles pas un mot de français, n’est-ce pas ? A-t-il clamé, fier comme un paon.
— Si bien sûr que si…
Je me suis épongé la bouche avec un mouchoir.
— Non, tu n’as même pas l’accent. Tu es fake ! (Fausse)
J’ai viré au rouge pivoine. Ma patronne a fait les gros yeux, mis les mains sur ses hanches :
— Mais qu’est-ce que c’est que toute cette histoire ? Évidemment qu’elle parle français, elle a grandi à Paris, n’est-ce pas, Eva ?
Peut-être était-il temps pour arrêter de mentir.
— Non, je suis désolée, j’ai menti. Eva est mon surnom, je m’appelle Évangéline, c’est ma belle-soeur qui est française. Je…
Ma boss m’a lancé des éclairs avant de crier au scandale.
— Vous… vous avez de la chance que je nous poursuive pas pour fraude. Vous êtes virée ! Sur.Le.Champ !
Je suis sortie dans un état second. Mes pieds m’ont conduit chez Macy’s. Mes mains ont acheté un sac rouge vitaminé, Michael Kors. Puis, ma tête m’a guidé au coin de la rue où ma bouche a dégusté un Bretzel géant.
Eh voilà comment depuis hier, je suis au chômage, célibataire et suis même parvenue à me prendre le chou avec ma seule amie, Gabriela.
Puis-je tomber plus bas ?
Apparemment oui. Un message de Trevor s’affiche sur mon téléphone portable.
Eva, vu que tu as un mois de loyer en retard et que certains mois, tu ne m’as même pas payé, je te laisse jusque la fin de la semaine pour te trouver un autre logement.
Je ravale ma fierté pour une fois, je compose le numéro de mon amie. Je ne m’excuse jamais pour mon mauvais comportement. Mais là, je n’ai guère le choix.
— Gabriela’s speaking, annonce-t-elle. (Gabriela à l’appareil).
— C’est moi.
— …
— Gaby, je suis désolée pour t’avoir dit de ne pas te mêler de mes oignons. Tu es ma seule amie. Excuse-moi.
— Tu es vraiment casse-pieds, Eva.
— Ah au fait, tu ne devineras jamais le coup que Trevor m’a fait ? Il me vire de l’appartement.
— …
— Bah tu ne dis rien ? Comme « ah je t’avais prévenu de ne pas fricoter avec l’ennemi ? ».
— Laisse-moi devenir à mon tour, tu cherches un lieu où dormir ?
— Bah, oui, accessoirement, oui.
— Tu sais quoi Eva, tu es vraiment égocentrique. Tes excuses sont bidons ! Get a life ! (Achète-toi une vie)
Je vais devoir rajouter sans-domicile fixe à ma longue liste de soucis.
** Que pensez-vous de notre petite Eva ? **
18 commentaires
Sandelina Antowan
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Il y a 6 ans
kleo
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
RaïssaL
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Il y a 6 ans
Claire Lossy 01
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Claire Lossy 01
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Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans
Émilie Parizot
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Il y a 6 ans
Fanny, Marie Gufflet
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Il y a 6 ans