Chris LEVOYAGEUR MUSE DU REGARD ÉTERNEL. TOME 1 Le sacré imparfait 5

Le sacré imparfait 5

Les cristallins n’étaient que la clé d’un plus grand mystère, un mystère lié à l’essence même de leur quête. Et tandis qu’ils rassemblaient leurs forces, une question demeurait : étaient-ils prêts à affronter non seulement les ombres extérieures, mais aussi celles qui sommeillaient en eux ?


La nuit tombait sur la Forêt des Murmures lorsque Léandre et Camille décidèrent de quitter la clairière sacrée. Le chemin de retour était envahi d'une brume épaisse, presque vivante, qui semblait murmurer à leurs oreilles des fragments de paroles anciennes, incompréhensibles mais étrangement familières.


— « Ces murmures... ils ne s'arrêtent pas. » Camille brisa le silence, sa voix teintée d'une inquiétude qu'elle tentait de masquer.


Léandre, les cristallins solidement attachés dans un sac sur son épaule, jeta un regard autour de lui.

— « Ce ne sont pas des murmures. Ce sont des souvenirs. »


Camille fronça les sourcils, troublée.

— « Souvenirs ? De qui ? »

— « Pas de qui... mais de quoi. Cette forêt est ancienne, et chaque arbre semble retenir une part de l'histoire. »


Alors qu’ils avançaient, le sol sous leurs pieds devint plus meuble, presque spongieux. Chaque pas semblait les entraîner plus profondément dans un espace où le temps n’avait plus de sens. Soudain, la brume s’épaissit, et des ombres surgirent des troncs noueux des arbres. Elles n’avaient pas de forme définie, mais une présence palpable, pesante.


Les ombres se regroupèrent devant eux, bloquant leur chemin. Une d’entre elles, plus grande et plus dense que les autres, s’avança lentement, émanant une énergie qui fit frissonner Léandre.


— « Vous portez ce qui ne vous appartient pas, » résonna une voix grave et profonde, comme un écho qui vibrait dans leurs os.


Léandre se redressa, serrant les sangles de son sac comme un réflexe de défense.

— « Ces cristallins ne sont pas volés. Ils étaient destinés à être rassemblés. Nous suivons ce qui nous a été montré. »


L’ombre émit un bruit étrange, un mélange de rire et de grondement.

— « Vous suivez, oui, mais comprenez-vous ? Ces fragments ne sont pas seulement des clés, ils sont des miroirs. Regardez-vous dans l’éclat qu’ils projettent. Qu’y voyez-vous ? »


Camille, d’abord muette, s’avança légèrement.

— « Nous voyons l’imperfection humaine... et la quête du divin qui nous transcende. »


L’ombre sembla hésiter, puis se fendit en une myriade de formes, chacune projetant des visions fugaces : des visages humains marqués par la douleur, des mains tendues vers le ciel, des larmes, des prières. Des images de faiblesse et de grandeur mêlées.


Les ombres se reformèrent pour dresser une barrière entre eux et la sortie de la forêt.

— « Vous ne pouvez avancer tant que vous n’avez pas accepté ce que les cristallins révèlent vraiment. »


Léandre, exaspéré, sortit un des cristaux du sac. Il le tint devant lui, l’observant de près. Sa surface, parfaitement polie, reflétait non seulement son visage mais aussi des fragments d’autres mondes : des galaxies tourbillonnantes, des formes indistinctes, des éclats de lumière pure. Mais au centre de ce reflet cosmique, il vit quelque chose d’inattendu : lui-même, brisé en mille morceaux.


Camille fit de même, tenant un cristallin à hauteur de son visage. Elle y vit un tableau différent, mais tout aussi troublant : des mots qu’elle avait écrits, déformés, éparpillés, comme des feuilles dispersées par le vent, incapables de se rassembler en un tout cohérent.


Les deux cristallins projetèrent une lumière aveuglante, et une nouvelle voix résonna, cette fois douce mais pénétrante, semblant provenir de la lumière elle-même.


— « L’imperfection n’est pas une faiblesse. C’est le pont qui relie l’humain au divin. Acceptez vos failles, et vous verrez la vérité. »


Lorsque la lumière s’éteignit, les ombres disparurent. La brume se dissipa, et devant eux s’étendait une clairière baignée de lune. Le chemin de sortie de la forêt était enfin visible.


Léandre et Camille restèrent un moment immobiles, troublés par ce qu’ils venaient de vivre.

— « C’était une épreuve, » murmura Camille. « Une façon de tester notre détermination. »


Léandre hocha lentement la tête.

— « Mais ce n’est pas terminé. Ce n’était qu’un aperçu de ce qui nous attend. »


Ils rejoignirent enfin leurs villes respectives, portant chacun le poids de cette expérience. Léandre reprit ses pinceaux, mais cette fois, ses œuvres semblaient porter une force nouvelle. Ses toiles devinrent des portails, des fenêtres vers des mondes où l’imperfection humaine devenait un langage sacré.


Camille, de son côté, se mit à écrire des récits qui n’appartenaient pas uniquement à sa plume. Ses mots touchaient une vérité que ses lecteurs ne pouvaient expliquer, mais qui résonnait profondément en eux.


Léandre n’était plus le même depuis son retour de la forêt. Quelque chose en lui s’était éveillé, une lumière insaisissable qui transparaissait dans chacun de ses gestes, dans chaque coup de pinceau qu’il donnait. Ses œuvres, autrefois admirées mais oubliées avec le temps, connurent une renaissance inattendue.


Ses premières toiles après son retour, intitulées "Fragments du Divin" et "L'Éclat des Ombres", devinrent des sensations immédiates. Les critiques parlaient de leur profondeur insondable, de leur capacité à capturer des émotions que les mots seuls ne pouvaient exprimer. Les galeries d’art, autrefois réticentes à exposer ses créations, s’arrachaient désormais chacune de ses œuvres, et les collectionneurs offraient des sommes astronomiques pour obtenir ne serait-ce qu’un croquis signé de sa main.


Mais au cœur de ce tourbillon de succès, Léandre demeurait étrangement calme, presque distant. Il acceptait les éloges et la célébrité avec une réserve que peu comprenaient.


Léandre avait toujours maintenu une relation distante avec sa famille. Sa carrière, marquée par des hauts et des bas, l’avait éloigné d’eux au fil des années. Mais après son retour de la forêt et ses succès récents, il sentit le besoin de se reconnecter.


Un après-midi d’automne, il retourna dans la maison de son enfance, une bâtisse modeste nichée au bord d’un lac. Sa mère, Élise, l’attendait sur le porche, un sourire fatigué mais sincère sur les lèvres.


— « Tu es revenu, » dit-elle simplement, l’embrassant sur la joue.


Sa sœur cadette, Mariane, sortit à son tour de la maison, les bras croisés.

— « Alors, c’est vrai. Monsieur le grand artiste daigne se souvenir de nous. »


Léandre esquissa un sourire en coin, reconnaissant dans le ton acerbe de sa sœur une affection dissimulée.

— « Je suis revenu pour moi, mais aussi pour vous. »


Mariane haussa un sourcil.

— « Pour nous ? Depuis quand Léandre pense à autre chose qu’à ses toiles ? »


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