Fyctia
Le sacré imparfait 4
Ils ne savaient pas encore que ces « esprits supérieurs » étaient des fragments de Myrithia elle-même, une manifestation de la muse qui cherchait à les guider dans leur destinée.
La lettre se terminait par une consigne énigmatique :
— « Retrouvez-vous dans la Forêt des Murmures, là où les âmes convergent. Ce que vous découvrirez changera tout ce que vous croyez savoir. »
Bien qu’ils n’aient pas partagé la nouvelle avec les autres membres du Cercle, une force invisible les poussa à suivre l’appel.
Avant même de se retrouver, Léandre et Camille commencèrent à subir des phénomènes étranges.
Pour Léandre, les ombres de son atelier semblaient s’animer. Les reflets dans ses peintures bougeaient, dévoilant des silhouettes qu’il n’avait pas créées. Des murmures résonnaient, porteurs de mots incompréhensibles mais étrangement apaisants.
Pour Camille, les rêves prirent une intensité quasi insupportable. Elle voyait des fragments de souvenirs qui n’étaient pas les siens : un temple oublié, une main tendue dans les ténèbres, et toujours, ce regard éternel de Myrithia, rempli de douceur et de mélancolie.
Ces expériences renforçaient l’idée qu’ils portaient quelque chose en eux, quelque chose d’ancien et de sacré.
Quand ils se retrouvèrent dans la clairière désignée, entourée d’arbres gigantesques dont les feuilles semblaient chuchoter, une tension indescriptible les enveloppa. Les cristallins, rassemblés une première fois, furent de nouveau placés en cercle, comme s’ils attendaient quelque chose.
Léandre observa Camille, et pour la première fois, il vit une lueur dans ses yeux qu’il ne pouvait expliquer. Camille ressentit la même chose en le regardant.
— « Nous sommes liés, n’est-ce pas ? » murmura Camille.
Léandre hocha la tête. « Oui. Mais comment et pourquoi, c’est encore un mystère. »
Alors qu’ils discutaient, une voix douce mais puissante résonna dans la clairière, provenant de nulle part et partout à la fois.
— « Vous portez en vous l’héritage des élus, ceux qui ont été choisis pour réconcilier le divin et l’humain. Mais êtes-vous prêts à affronter la vérité que cela implique ? »
La voix semblait venir de l’intérieur même des cristallins, comme si Myrithia elle-même leur parlait.
Alors que la lumière des cristallins envahissait la clairière, un silence presque sacré s’abattit sur eux. Ce n’était pas un silence ordinaire, mais un vide sonore où chaque battement de cœur résonnait comme une cloche. Léandre et Camille restaient figés, incapables de détourner les yeux des cristaux, qui semblaient vibrer d’une énergie ancienne.
Soudain, les ombres autour d’eux se mirent à bouger. Non pas comme des silhouettes humaines, mais comme des échos du passé. Des formes indistinctes se tordaient et dansaient à la lisière des arbres, semblant observer les deux élus avec une curiosité silencieuse.
Camille, brisant enfin le silence, murmura :
— « Est-ce… elle ? »
Léandre plissa les yeux, ses mains se resserrant instinctivement autour d’un des cristallins.
— « Je ne sais pas. Mais elle nous observe. Je le sens. »
Les murmures recommencèrent, cette fois plus clairs. Des fragments de mots, des langues oubliées, s’entrechoquaient dans l’air. Une phrase finit par émerger, portée par un souffle invisible :
— « Tout ce qui est sacré naît dans l’imperfection. »
Alors que les cristallins pulsaient de lumière, Léandre et Camille furent pris d’un vertige. Ils tombèrent à genoux, leurs visions obscurcies par des éclats de lumière dorée. Mais ce qu’ils virent ensuite n’appartenait plus à ce monde.
Ils se trouvaient dans un vaste paysage d’un autre temps. Un temple immense, fait de marbre scintillant et de colonnes impossibles, se dressait devant eux. Au sommet des marches, une femme d’une beauté surnaturelle se tenait. Ses yeux semblaient contenir des galaxies entières, et sa voix résonnait dans leurs esprits comme un chant lointain.
— « Vous cherchez ce qui est sacré, mais avez-vous compris ce que cela signifie ? » demanda-t-elle.
Léandre tenta de répondre, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Camille, quant à elle, sentit des larmes couler sur ses joues sans savoir pourquoi.
La déesse — ou était-ce une illusion ? — tendit une main délicate, et le paysage commença à se déformer. Des fissures apparurent sur le temple, et les marches parfaites s’effritèrent. La beauté de l’endroit se brisa peu à peu, révélant des murs rugueux, des imperfections dans la pierre, des éclats d’ombre.
— « Le sacré ne réside pas dans la perfection éternelle, mais dans les failles, dans ce qui est brisé et réparé. C’est là que je demeure. »
En un instant, ils revinrent dans la clairière. La lumière des cristallins s’était éteinte, ne laissant derrière elle qu’un éclat pâle. Léandre et Camille se regardèrent, encore sous le choc de ce qu’ils venaient de vivre.
— « Nous devons rassembler les autres, » dit Léandre d’une voix rauque. « Ce n’est pas une quête individuelle. »
— « Mais pourquoi nous ? Pourquoi seulement nous avons vu cela ? » demanda Camille.
La réponse leur vint dans un murmure, porté par le vent.
— « Parce que vous portez les fragments du divin. Parce que vous êtes les âmes qui équilibrent ce monde. »
Après cette nuit, des changements subtils commencèrent à s’opérer dans leurs vies.
Léandre, en revenant dans son atelier, trouva ses toiles marquées par des motifs qu’il ne se souvenait pas avoir peints. Des symboles énigmatiques, des paysages impossibles, des visages éthérés. Chaque coup de pinceau semblait guidé par une force qu’il ne comprenait pas.
Camille, quant à elle, ne pouvait plus écrire sans ressentir une étrange présence. Ses mots, autrefois fluides, se remplissaient désormais de mysticisme. Des phrases qu’elle n’avait pas pensées apparaissaient sur le papier, décrivant des lieux et des événements qu’elle ne connaissait pas.
Mais plus troublant encore, ils furent confrontés à des phénomènes inexplicables. Des ombres plus épaisses que la nuit semblaient les suivre. Des voix murmuraient des avertissements dans leurs rêves, des voix qui parlaient de dangers à venir.
Alors que Léandre et Camille se préparaient à retrouver le Cercle des Inspirés, un dernier détail de la vision refit surface dans leurs esprits : la femme du temple avait mentionné un pacte ancien, un lien sacré entre les humains et le divin. Mais ce pacte semblait avoir été brisé, laissant un vide qui menaçait d’engloutir leur monde.
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