Chris LEVOYAGEUR MUSE DU REGARD ÉTERNEL. TOME 1 Obsession immortel 3

Obsession immortel 3

Bill Kal, l’obsédé, n’était guère mieux loti. Il s’empara de son ciseau, prêt à sculpter, mais la pierre, d’une manière étrange, se dérobait à lui. Elle se figeait, devenant dure et froide comme de l'obsidienne, ne répondant plus à son désir de la façonner. Aucun trait, aucune marque n’apparaissait. À la place, ses mains tremblaient, comme s’il ressentait la force même de l’infini le traverser, sans pouvoir l'ancrer dans la matière.


Carthos Jo, l'ancien maître, était le seul à rester calme. Il se tenait dans l'ombre, observant ses compagnons, comme s’il attendait quelque chose de plus profond que ce qu’ils pouvaient percevoir. Il savait que ce silence était nécessaire. L’art qu’ils recherchaient maintenant n’était plus celui de la beauté ou de la forme, mais un art de l’âme, une compréhension qui les dépasserait tous. Pourtant, même lui ressentait cette étrangeté — cette sensation que leur quête les éloignait progressivement de ce qu’ils étaient venus chercher.


Soudain, une étrange lumière apparut dans l’atelier, une lueur pâle et vacillante, comme un reflet lointain d’une étoile oubliée. Elle se concentra au centre de la pièce, et tous se figèrent, observant le phénomène. Cette lumière n’était pas physique, mais spirituelle, comme si l’inspiration elle-même avait pris une forme matérielle et leur faisait face. La lumière scintillait de mille éclats, chacun résonnant d’un écho distant, comme un murmure d’une autre époque.


Une voix, fine comme un souffle, s’éleva dans la pièce. C’était une voix familière, mais qui semblait appartenir à un autre monde, un monde suspendu entre les rêves et la réalité.


— « Vous êtes revenus. »


Les mots semblaient être issus de la lumière elle-même, mais aucun d’eux n’avait parlé. Tous les membres du cercle, comme hypnotisés, fixèrent cette lumière, cherchant à comprendre d’où elle venait, à quoi elle se référaient.


— « Vous cherchez à créer ce que l’immortalité ne peut vous donner. Vous cherchez à rendre tangible ce qui échappe à la pensée humaine, ce qui échappe au temps et à l’espace. Mais qu’est-ce qu’une œuvre qui ne peut mourir ? »


Cette voix, cette présence, n’était pas une simple illusion. Elle les testait, les poussait à affronter leur propre désir. La lumière pulsait doucement, comme si la question elle-même émettait des vagues d’énergie. La muse, peut-être, ou une manifestation de ce qui leur avait été révélé, les invitait à franchir une nouvelle frontière.


Léandre se leva lentement, son cœur battant dans sa poitrine. Il savait, au plus profond de son être, qu’il avait franchi un seuil. Ce n’était pas simplement une question de résonner avec l’univers, de capter son essence. Non. La véritable question était de savoir si, en tentant de percer les mystères de l’infini, ils perdaient quelque chose de fondamental : la possibilité même de ressentir, de créer.


— « L’art... » murmura-t-il, presque à voix haute, comme une révélation. « L’art ne peut être qu’une expression du moment. Il ne peut être figé dans l’éternité. »


Jenny, qui avait retrouvé sa voix mais la portait désormais avec hésitation, ajouta :


— « Mais alors, que sommes-nous censés créer ? Si la muse nous montre l’infini, comment trouver notre place dans cet infini ? »


La lumière vacilla une dernière fois, puis se stabilisa, comme si elle avait trouvé une forme définitive dans la pièce. La réponse qu’ils attendaient, la réponse à leur quête nouvelle, n’était pas encore venue. Mais ils savaient que cette recherche, cette rencontre avec l’éternité, n’était pas un acte de création, mais une compréhension silencieuse de ce qui échappe à la compréhension.


La ville autour d’eux, elle aussi, semblait observer. Les rues, les murs, tout portait les marques d’un mystère plus ancien encore, comme si la ville elle-même était un témoin, attendant d’être déchiffrée, tout comme leurs œuvres l’étaient. Un dernier souffle d’air, une dernière vibration, et ils comprirent : ce n’était pas eux qui allaient dominer l’infini, mais l’infini qui allait les dominer.


Leurs œuvres ne seraient jamais ce qu’ils avaient imaginé. Elles seraient la marque de leur passage dans le grand flux, une fraction d’une lumière plus grande qu’eux. Un reflet éphémère dans l’éternité.


Après leur étrange retour en ville et la confrontation avec les limites de leur propre inspiration, le groupe se dispersa, chacun retournant dans un lieu qui lui était familier mais porteur de nouvelles interrogations. La quête des fragments cristallins — désormais appelée La Traversée des Reflets — les appelait à se réinventer avant d’avancer plus loin. Ce nom, proposé par Camille, était inspiré par une légende ancienne selon laquelle les cristallins représentaient les reflets fragmentés de l’essence même de la muse, dispersés à travers le monde.


On comptait sept cristallins à retrouver, un nombre empreint de mysticisme, représentant les sept points de convergence entre l’humain et le divin : la création, la mémoire, le désir, la souffrance, la transcendance, l’éternité et la vérité. Chaque fragment détenait une facette du regard de la muse et une part de son pouvoir insondable.


Carthos Jo s’isola dans un ancien monastère niché au cœur d’une forêt silencieuse. Ce lieu, qu’il appelait le Sanctuaire des Souvenirs, était l’endroit où il avait peint sa première toile inspirée par la muse. Les murs de pierre étaient couverts de fresques anciennes, des visages et des formes qui semblaient fixer l’éternité avec une intensité presque écrasante.


Carthos passa des jours à méditer devant une fresque particulière représentant une figure voilée. Ses pinceaux restaient immobiles, car il savait que peindre à ce moment-là serait futile. Il s’efforça de se vider l’esprit, de laisser la muse parler à travers le silence du sanctuaire.


Un jour, alors qu’un rayon de soleil traversait une fissure dans le mur et illuminait la fresque, Carthos eut une vision. La figure voilée se tourna légèrement vers lui, révélant une main tendue. Il comprit que l’art, avant d’être une création, devait être une offrande, un acte de foi en l’invisible.


Jenny retourna dans une petite maison de bord de mer où elle avait passé son enfance. Elle passait des nuits entières à écouter le bruit des vagues, espérant que la muse lui apparaisse dans ses rêves comme autrefois. Mais les nuits étaient étrangement silencieuses, et ses rêves demeuraient flous, presque inaccessibles.


Un soir, désespérée, elle s’aventura dans une grotte que les habitants appelaient la Chambre des Murmures. Là, elle trouva des gravures anciennes, des cercles imbriqués et des lignes courbes qui semblaient danser sous la lumière vacillante de sa lampe.


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3 commentaires

Anderson Isaac

-

Il y a un mois

Soutien 🤗

DOM75

-

Il y a un mois

😀

Chris LEVOYAGEUR

-

Il y a un mois

😊
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