Fyctia
Obsession immortel 2
Il s’agenouilla au bord du bassin, ses doigts frôlant la surface, et aussitôt, des vagues de souvenirs montèrent en lui. Il vit des fragments de sa propre vie : les éclats de gloire, les applaudissements, mais aussi les nuits d’angoisse et de solitude, où l’art semblait un gouffre sans fond. La muse l’avait toujours accompagné, un murmure insaisissable, et pourtant, il n’avait jamais osé la regarder en face.
Une voix s’éleva du bassin, douce mais empreinte d’une puissance insondable.
— « Léandre… toi qui as touché le cœur des mortels par ton art, es-tu prêt à affronter ce que tu es vraiment ? »
Il releva la tête, ses yeux brillant d’une lueur indéchiffrable.
— « Toute ma vie, j’ai cherché à donner un sens à ce vide. Chaque peinture, chaque mot que j’ai écrit n’était qu’une tentative désespérée de capturer ce qui m’échappe. Si ce fragment peut m’offrir une réponse, alors oui, je suis prêt. »
Carthos Jo, qui observait en silence, posa une main tremblante sur son épaule.
— « Léandre, réfléchis bien. Ce que tu cherches à comprendre n’est pas une réponse simple. L’éternité brise ceux qui tentent de la saisir. Même la muse porte ce fardeau. »
Mais Léandre secoua la tête.
— « Toute ma vie, j’ai été son écho, une ombre d’elle. Si je dois porter une partie de ce poids, alors ce sera le prix à payer pour ne plus fuir. »
Quand il plongea sa main dans l’eau, un éclair de lumière l’enveloppa, et le sanctuaire s’effaça autour de lui. Il se retrouva seul, dans un espace où le temps et la matière semblaient suspendus. Devant lui apparut une silhouette indistincte, la muse elle-même, mais pas telle qu’il l’avait imaginée. Elle n’était pas parfaite, pas divine. Elle portait des cicatrices, des fissures qui semblaient raconter des millénaires de souffrance.
— « Tu veux me comprendre, Léandre, » dit-elle, sa voix résonnant comme mille échos. « Mais comprends ceci : l’immortalité n’est pas une bénédiction. Elle est un éternel retour, un cycle infini où chaque souvenir devient une pierre ajoutée à ton fardeau. »
Léandre resta silencieux.
— « Regarde, » dit-elle, en levant une main vers lui.
Aussitôt, des images envahirent son esprit. Il vit les âmes des artistes passés, des créateurs qui avaient, comme lui, cherché à capturer l’éternité. Il les vit s’effondrer sous le poids de leur ambition, leurs œuvres inachevées devenant des reliques oubliées. Mais il vit aussi des instants de pure transcendance, des moments où l’art touchait à l’infini, où la muse et l’humain ne faisaient qu’un.
— « Je ne te donne pas l’éternité, Léandre, » dit-elle. « Je te donne la mémoire. Mais cette mémoire a un prix. Es-tu prêt à porter les souvenirs de ceux qui sont venus avant toi ? »
Lorsqu’il revint à lui, les autres l’observaient avec une attention fébrile. Il tenait dans sa main le fragment cristallin, qui pulsait d’une lumière douce, presque apaisante.
Camille s’approcha.
— « Tu as vu quelque chose, » murmura-t-elle.
Léandre hocha la tête.
— « Pas seulement quelque chose, » répondit-il. « J’ai vu tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons perdu. Ce fragment est un morceau de mémoire universelle, un souvenir de l’éternité. »
Jenny, la visionnaire, s’agenouilla à ses côtés, ses yeux brillants de fascination.
— « Et maintenant ? Que devons-nous en faire ? »
Léandre serra le fragment dans sa main.
— « Ce fragment n’est qu’un début. Il y a d’autres parties d’elle, dispersées à travers le monde. Chacune contient une facette de ce qu’elle est, de ce que nous sommes. Si nous voulons comprendre la muse, si nous voulons comprendre ce que signifie vraiment créer, alors nous devons toutes les trouver. »
Mais Christopher Mech, le sceptique, resta en retrait, les bras croisés.
— « Et si cette quête n’était qu’un leurre ? Une façon pour elle de nous utiliser ? Nous ne savons rien de ses véritables intentions. »
Léandre le fixa avec une intensité nouvelle.
— « Peut-être as-tu raison. Mais je ne peux plus reculer. Ce fragment m’a montré ce que signifie vraiment être un artiste. Ce n’est pas seulement créer pour soi, c’est porter en soi les rêves et les peurs de toute une humanité. Si la muse est la clé de cette vérité, alors je la trouverai, quoi qu’il en coûte. »
Alors qu’ils quittaient le sanctuaire, un murmure résonna dans l’air, un écho qui semblait provenir de nulle part.
— « Vous avancez, mais l’infini n’a pas de fin. Chaque réponse soulève une nouvelle question. Êtes-vous prêts à regarder au-delà ? »
Léandre serra le fragment contre lui, son regard perdu dans l’horizon. Il savait que cette quête ne le mènerait pas seulement à la muse, mais à des vérités qu’il n’était pas sûr de pouvoir affronter. Pourtant, il avançait, une flamme nouvelle brûlant en lui.
La muse l’observait, dans l’ombre, son visage empreint d’un mélange de tristesse et de fascination. Elle savait que Léandre était différent, qu’il portait en lui quelque chose que les autres n’avaient pas : la capacité d’accepter l’infini, non comme une réponse, mais comme une question éternelle. Fatigué et épuisé, le groupe allait faire un retour au pays.
La ville qui les accueillit à leur retour semblait changée, mais pas dans le sens attendu. Les rues, bien qu’ordinaire à première vue, paraissaient étrangement figées, comme si le temps y coulait différemment, tissé dans un entrelacs de silence et de secrets. Les murs des bâtiments, autrefois familiers, portaient désormais des empreintes invisibles, des marques qui semblaient témoigner de la présence de quelque chose d’intrinsèquement différent.
Ils se réunirent dans leur atelier, une ancienne bâtisse abandonnée qui servait de lieu de rencontre et de création. Chaque membre du cercle s’était quelque peu retiré dans ses pensées, absorbé par les mystères récemment découverts. La quête de la muse, leur nouvel objectif, commençait à les transformer, mais ils ne comprenaient pas encore pleinement l’impact que cette transformation aurait sur leur art — sur leur capacité à créer.
Léandre prit une toile blanche, la regardant longuement avant de poser son pinceau, comme s’il attendait qu’une inspiration divine vienne à lui. Pourtant, rien ne se passait. Le vide, ce vide infini qu’il avait cherché à remplir de sens pendant toute sa vie, semblait désormais plus lourd, plus oppressant. Les couleurs qu’il avait autrefois suées sur ses toiles lui échappaient désormais, comme si le monde ne les lui accordait plus.
Jenny, la visionnaire, tenta de chanter une mélodie, mais la voix qu’elle produisait n'était plus celle des chants exaltés qu’elle avait autrefois créés. Les notes se dispersaient dans l'air, irréelles, fragmentées, ne formant aucune harmonie, aucune vibration qui pouvait toucher l’âme. Un souffle d’air glacial souffla à travers la pièce, comme une brise du passé qui se voulait oublier, et elle se tut. Les paroles qui avaient toujours guidé son esprit créatif s’étaient effacées, laissant un vide aussi insondable que celui qui dominait l’esprit de Léandre.
1 commentaire
DOM75
-
Il y a un mois