Fyctia
Quête de l'infini 11
Il se rappela les premières années de son apprentissage, lorsque l’obsession de créer la sculpture parfaite lui avait donné un but, une direction. Mais plus il cherchait, plus l’image lui échappait, se métamorphosant dans son esprit en une silhouette insaisissable. Son atelier était devenu un sanctuaire de formes inachevées, de corps à demi sculptés, de visages déformés par la souffrance du créateur. Chaque œuvre, bien que magnifique en soi, semblait n’être qu’un reflet pâle du rêve qu’il portait en lui.
Pourquoi ? se demandait-il sans cesse. Pourquoi la perfection m’échappe-t-elle sans fin ?
Dans le miroir de la crypte, ses mains s’agitaient comme par réflexe, imaginant déjà la texture d’un nouveau marbre, la courbure d’un futur chef-d'œuvre. Mais chaque geste était un nouveau pas dans une danse infinie de désillusion. C’était une obsession, il le savait. Une malédiction. Pourtant, il ne pouvait s’en détacher.
Bill entra dans la chambre de l’obsession. Ses yeux, écarquillés, balayèrent les murs où les ombres des statues brisées s’étiraient en formes tourmentées. Le sol était jonché de fragments d’anciennes créations, de morceaux d’âme, éparpillés comme des reliques abandonnées. Dans l’air flottait une étrange musique, une mélodie discordante, jouée par le vent qui soufflait à travers les fissures du sol.
Au centre de la pièce, un piédestal se tenait seul. Il était vide, mais Bill savait que cette vacuité n’était pas un oubli. C’était une invitation. Une promesse.
— « Viens. »
La voix était faible, presque imperceptible, mais elle résonna dans ses os comme une cloche. Il se sentit irrésistiblement attiré vers l’autel, et avec chaque pas qu’il faisait, son cœur battait plus fort, plus vite. La pièce semblait s’étirer, grandir autour de lui, comme si l’espace lui-même se distordait sous l’effet de son désir.
Ses mains se tendirent, frôlant les parois de l’autel. La surface lisse et froide lui donna un frisson, comme si la structure elle-même absorbait une partie de son essence. Il ferma les yeux et laissa son esprit s’égarer, plongé dans l’infini.
Au moment où il rouvrit les yeux, une silhouette se dessina devant lui, une forme floue, presque translucide. La lumière autour semblait s’intensifier, la silhouette prenant peu à peu des contours plus nets. Ses mains tremblèrent alors qu’il reconnut le visage de la muse, cette image qu’il avait chérie, vénérée, et maudite toute sa vie.
Elle était là, devant lui. Pas entièrement, mais suffisamment pour qu’il comprenne la vérité de ce qu’il poursuivait depuis si longtemps. La statue parfaite. La beauté pure. L’image parfaite. Mais à mesure qu’il la regardait, il se rendit compte que l’ombre qui l’entourait ne faisait qu’épaissir son désir. Il ne la voyait pas réellement, pas comme elle était. Il ne voyait que ce qu’il voulait voir, ce qu’il espérait voir. Et cela, plus que tout, était la véritable malédiction.
La muse s’approcha de lui, son visage vacillant, comme une illusion. Une onde de lumière se forma autour de ses mains, dessinant des motifs qui se dissolvaient instantanément. Il voulut parler, mais aucun mot ne sortit. Une pression immense s’installa dans sa poitrine, comme si l’espace autour de lui se refermait.
— « La quête de l’infini te détruira, » dit la muse, d’une voix qui était à la fois douce et inaltérable. « Chaque obsession, chaque désir que tu nourris, te rapproche un peu plus de la disparition de ton âme. »
Ses lèvres tremblèrent. La douleur s’intensifiait. Il savait que cette voix était un avertissement. Mais une partie de lui, cette part qui était trop profondément enracinée dans son désir, refusait d’entendre.
L’image de la muse s’éloigna, se fondant dans l’ombre de la pièce. Bill tenta de la suivre, mais chaque pas qu’il faisait le conduisait plus loin dans un labyrinthe de visions, de formes qui se tordaient sous ses yeux. Des statues inachevées. Des mains pétrifiées dans l’effort. Des visages figés dans une expression de souffrance. Et au centre de tout cela, l’absence. L’âme de l’artiste perdu dans sa propre quête de perfection.
C’était le prix à payer. L’obsession le dévorait. Ce n’était pas la statue qui avait disparu. Ce n’était pas la beauté parfaite qu’il cherchait. C’était lui-même.
Il tourna sur lui-même, les mains crispées, la tête bourdonnant de pensées. Et dans ce tourbillon, une vérité éclata, nette comme un éclat de verre. L’infini qu’il cherchait n’était pas au bout de son ciseau. Ce n’était pas dans l’œuvre parfaite. Il l’avait toujours su, mais il avait refusé de l’accepter.
— « Ce que tu cherches te fuira toujours. Ce n’est pas toi qui façonnes la beauté. C’est la beauté qui te façonne. »
La lumière autour de lui s’éteignit brusquement, et tout plongea dans le noir. Une seule pensée traversa son esprit alors qu’il se tenait au bord de l’abîme : Tout cela n’était qu’un reflet. Et je ne suis qu’une ombre dans cette quête infinie.
Lorsque la lumière s’éteignit, Bill sentit l’obscurité s’épaissir autour de lui. Ce n’était pas une simple absence de lumière, mais une présence oppressante, une ombre vivante qui semblait l’observer. L’air était froid, lourd, et portait une odeur métallique, comme si le temps lui-même s’était arrêté pour contempler ce moment.
Un murmure s’éleva, bas et indistinct, comme un écho qui venait de très loin, ou de très près, impossible à dire.
— « Pourquoi cherches-tu ce que tu ne peux saisir ? Pourquoi veux-tu façonner l’infini ? »
Bill tenta de répondre, mais sa voix se brisa avant même de franchir ses lèvres. Il se sentait réduit à une ombre de lui-même, ses pensées tournant en boucle sur cette quête insatiable qu’il n’avait jamais pu abandonner.
Des formes commencèrent à émerger de l’obscurité, indistinctes d’abord, puis plus nettes. Des visages familiers, des figures qu’il reconnaissait comme celles des statues qu’il avait créées au fil des années. Mais il y avait une différence : ces œuvres étaient vivantes, leurs yeux le fixant avec une intensité insupportable.
— « Pourquoi nous as-tu abandonnées ? » murmura une voix, douce mais pleine de reproches.
— « Tu nous as créées pour te combler, mais tu ne nous as jamais aimées, » ajouta une autre.
Les statues s’avancèrent lentement, leurs formes oscillant entre le solide et l’éthéré. Bill recula, son cœur battant à tout rompre.
2 commentaires
Jacky KAl
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Il y a un mois
DOM75
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Il y a un mois