Chris LEVOYAGEUR MUSE DU REGARD ÉTERNEL. TOME 1 Quête de l'infini 1

Quête de l'infini 1

Léandre avançait à travers l’obscurité, guidé par la faible lumière d’une lanterne vacillante. Le chemin était rude, un sentier oublié qui serpentait entre des arbres noueux, leurs branches semblant s’étirer pour attraper les voyageurs imprudents. La lettre qu’il tenait dans sa main gauche, chiffonnée par des heures d’hésitation, était son seul indice.


— « Le Cercle attend. »


Ces mots résonnaient dans son esprit à chaque pas. Il aurait dû rebrousser chemin, sans doute. Mais la curiosité, ou peut-être le désespoir, l’avait emporté. Cela faisait des années qu’il entendait parler de ce groupe, une rumeur chuchotée parmi les cercles d’artistes : des âmes perdues, consumées par une quête commune, réunies pour percer le mystère de l’inspiration.


Le sentier débouchait finalement sur une clairière. Au centre, une vieille bâtisse se dressait, austère et imposante. Ses murs de pierre étaient noircis par le temps, et ses fenêtres semblaient avoir vu trop d’hivers. Pourtant, une lumière vacillait à l’intérieur, projetant des ombres étranges. Léandre s’arrêta un instant, le souffle court. Il ne savait pas exactement ce qu’il espérait trouver ici. Une réponse ? Une révélation ? Ou simplement un refuge pour sa solitude ?


Il poussa la porte, qui s’ouvrit dans un grincement lugubre.


À l’intérieur, un silence lourd régnait, ponctué seulement par le crépitement d’un feu dans l’âtre. Un groupe était réuni autour d’une longue table de bois brut. Chacun d’eux semblait absorbé dans ses pensées, comme si sa présence était attendue mais déjà prévue.


— « Bienvenue, Léandre, » dit une voix grave.


Carthos Jo, le maître du Cercle, se tenait au bout de la table. Son visage marqué par les années portait une sérénité troublante, mais ses yeux, vides et laiteux, trahissaient sa cécité. Il s’appuya sur sa canne pour se lever légèrement, comme pour marquer un moment solennel.


— « Nous savions que tu viendrais. Prends place. »


Léandre hésita. Ses yeux balayèrent la pièce, observant les autres membres. Une jeune femme, Jenny Carley, jouait distraitement avec une plume, son regard perdu dans une rêverie qui semblait la transporter loin d’ici. Christopher Mech, un homme d’âge moyen au visage anguleux, le dévisageait d’un air critique, comme pour jauger ses intentions. Bill Kal, un sculpteur robuste, semblait entièrement absorbé par une statuette qu’il manipulait avec obsession, murmurant à lui-même.


Le silence fut brisé par Carthos Jo.


— « Si tu es ici, c’est que tu as vu quelque chose. Peut-être une ombre, une image fugace. Peut-être un murmure que les autres n’entendent pas. Nous avons tous été là, Léandre. Nous avons tous été consumés par ce feu que l’on appelle inspiration. Et nous sommes ici pour en comprendre le véritable visage. »


Les mots s’enchaînèrent, chargés d’une gravité presque mystique. Léandre prit place, ses mains tremblantes. Il n’avait jamais partagé son obsession avec qui que ce soit. Mais dans cette salle, il sentait qu’il n’était pas seul.


Le feu dans l’âtre crépitait doucement, projetant des ombres dansantes sur les murs de la vieille bâtisse. Léandre, bien que toujours envahi par une étrange nervosité, sentit un apaisement subtil en entrant dans ce cercle d’artistes. Ici, la quête de la beauté semblait être un langage partagé, un langage auquel il appartenait désormais. Pourtant, la pièce respirait un calme inquiétant, presque solennel, comme si l’ombre de la muse elle-même se trouvait dans chaque recoin.


Carthos Jo se rassit lentement, ses yeux blafards cherchant les siens. Une longue pause s’installa, emplie de cette tension propre aux lieux où l’on attend, non pas des mots, mais des vérités.


— « Nous sommes tous ici pour une raison, Léandre, » reprit Carthos Jo, sa voix lente et posée. « Chacun de nous a vu la muse, d’une manière ou d’une autre. Mais peu ont osé la suivre. Elle est dangereuse, elle sait dévorer ceux qui cherchent à la posséder. Pourtant, la plupart d’entre nous, nous n’avons pu que chercher son regard, espérant qu’il nous transforme. »


Léandre ne pouvait détacher son regard de l’homme. Ses yeux, bien que privés de la lumière de la vision, semblaient percevoir bien plus que des regards normaux. C’était comme si son esprit l’observait, le scrutait, cherchant à percer son âme.


La vision de Léandre s’attarda sur Jenny Carley, la jeune visionnaire. Ses traits étaient finement dessinés, ses cheveux blonds tombant en vagues soyeuses autour de son visage. Elle ne semblait pas tout à fait présente ici, comme si la pièce, et même les autres, étaient un décor flou pour elle. Elle tenait toujours la plume entre ses doigts fins, traçant des lignes invisibles dans l’air, comme si elle écrivait une mélodie secrète que personne d’autre ne pouvait entendre.


— « Tu vois quelque chose en elle, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle soudainement, les yeux fixés sur Léandre. Sa voix, douce mais incisive, semblait sortir d’un autre monde. « Tu n’es pas le seul à avoir ressenti sa présence. Elle est là, toujours derrière nos pensées. Elle nous guide, mais elle nous consume. »


Léandre ne savait pas comment répondre. Il se contenta d’hocher la tête, un frisson parcourant son échine.


Carthos Jo soupira profondément et se tourna vers Christopher Mech, le sceptique du groupe. Christopher était un homme plus âgé, ses cheveux gris étaient soigneusement peignés, mais ses yeux, durs et inquisiteurs, ne cachaient rien de l’ironie qui caractérisait sa vision du monde.


— « Et toi, Christopher ? Que penses-tu de cette muse dont tout le monde parle ? »


Christopher se redressa, un sourire presque moqueur sur les lèvres. Ses doigts tapotaient sur la table, comme pour marquer un rythme que lui seul pouvait entendre.


— « La muse est une métaphore, rien de plus. Elle représente les aspirations humaines, la quête de l’inaccessible, l’infinie frustration de ne jamais atteindre la perfection. Les artistes sont fous de la poursuivre, car ils se battent contre une chimère. »


Il jeta un regard sur Léandre, comme pour souligner ses mots. « Tu es ici, parce que tu cherches un sens, n’est-ce pas ? Un sens qui te manque dans ton art. Mais la vérité, c’est que la quête de la beauté est une illusion. La muse est une fable que nous racontons à nous-mêmes pour justifier notre souffrance. »


Léandre, choqué, se redressa un peu dans sa chaise. L’idée qu’il avait suivie si longtemps, l’idée qui nourrissait chaque instant de son existence, semblait soudainement vulnérable, mise à nu sous le regard du sceptique.


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3 commentaires

Nicolasm59

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Il y a un mois

Le parti pris résolument mystique de l'histoire est troublant. C'est presque plus un écrit philosophique sur la quête de soi, de l'inspiration qu'un thriller en tant que tel. Ce chapitre avec le cercle le démontre bien. Sans aucune référence sur l'espace et le temps, cette scène peut aussi bien se passer dans une maison réelle que dans la tête de Léandre. C'est exigeant pour le lecteur mais très original ! Après tu as un style très brillant. Clair avec des mots choisis et précis qui facilitent l'accès au récit malgré tout.

Chris LEVOYAGEUR

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Il y a un mois

Merci pour la remarque, c'est très constructif.
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