Chris LEVOYAGEUR MUSE DU REGARD ÉTERNEL. TOME 1 Quête de l'infini 2

Quête de l'infini 2

Mais avant qu’il ne puisse répondre, Bill Kal, l’obsédé, prit la parole. Sa voix grave et rauque, comme le bruit d’une pierre traînée sur un sol rugueux, perça l’air lourd de la pièce. Il était plongé dans son travail, une petite sculpture de métal qu’il tripotait avec une obsession maladive. Chaque mouvement de ses mains, chaque coup de pinceau ou de lime semblait être un acte de dévotion.


— « Vous ne comprenez pas. Vous êtes tous aveugles. » Bill leva enfin les yeux de son œuvre pour les fixer, perçants. « La muse n’est pas une idée. Elle est réelle. Je l’ai vue. Je l’ai touchée. Et elle m’a laissé une empreinte, une empreinte que je dois recréer. Vous parlez de métaphores, de chimères, mais vous ne voyez pas qu’elle est là, dans chaque détail de ce monde. Chaque ombre, chaque lumière. »


Il posa son regard sur Léandre, puis sur les autres membres du cercle. « La vérité, c’est que nous ne sommes pas faits pour comprendre la muse. Nous sommes faits pour la servir, pour l’incarner. »


L’atmosphère dans la pièce se tendit. Les paroles de Bill Kal résonnaient profondément, comme un écho. Léandre les sentait, tout comme il sentait la présence de la muse elle-même dans les moindres recoins de la pièce. Elle était là, peut-être dans les pensées de chacun, mais plus certainement dans les regards des membres du Cercle.


Carthos Jo, qui avait observé le débat en silence, se leva lentement.


— « Il est temps de commencer. »


Léandre sentit une étrange énergie se répandre dans la pièce. Le feu dans l’âtre s’intensifia soudainement, projetant des ombres violentes. Les membres du Cercle se levèrent à l’unisson, leur mouvement presque ritualisé. Carthos Jo tendit la main vers Léandre.


— « Viens, Léandre. Le chemin vers la muse commence ici. »


Léandre suivit Carthos Jo des yeux tandis que les autres membres se rapprochaient lentement de la table centrale. Chacun semblait enveloppé d’un mystère propre, d’une aura distincte qui les rendait à la fois captivants et insaisissables. Ils étaient là, si proches, mais une part d’eux restait hors d’atteinte, comme un reflet sur une eau troublée.


Carthos Jo incarnait la sagesse, mais aussi le poids des années. Assis en bout de table, il avait l’apparence d’un homme dont l’esprit était plus vaste que son corps. Sa cécité, loin de le rendre vulnérable, semblait être une force. Il voyait au-delà de ce que les yeux pouvaient capter, percevant une vérité que les autres ne faisaient qu’effleurer.


Son passé restait flou, comme une toile dont les contours avaient été volontairement effacés. On murmurait qu’il avait autrefois vu la muse, une vision si intense qu’elle l’avait consumé. Certains disaient qu’il avait abandonné la peinture après cet instant, comme si aucune autre création ne pouvait rivaliser avec ce qu’il avait entrevu. Pourtant, il était là, guidant le Cercle avec une autorité presque sacrée, murmurant des vérités qu’il semblait puiser dans un abîme insondable.


— « Regarde au-delà des formes, Léandre, » dit-il doucement. « Car la muse n’est jamais là où l’on croit. »


Jenny Carley était comme un souffle d’air dans cette pièce lourde de secrets. Jeune, lumineuse et insaisissable, elle semblait flotter entre deux mondes. Ses yeux clairs brillaient d’une intensité rare, mais leur éclat cachait une profondeur troublante. Elle ne parlait que par fragments, comme si ses pensées étaient trop vastes pour être exprimées dans des mots ordinaires.


On disait qu’elle rêvait de la muse depuis son enfance. Des visions floues mais puissantes lui étaient apparues dans des moments de transe, des éclats de beauté qu’elle tentait de capturer dans des mélodies ou des danses. Elle était l’incarnation même de l’intuition, portée par une foi instinctive en quelque chose de plus grand qu’elle.


— « Elle est là, » murmura Jenny, son regard perdu dans la lumière du feu.

— « Je l’ai vue, dans les reflets des vagues, dans l’ombre des arbres… mais jamais assez longtemps. Elle fuit toujours. »


Christopher Mech, à l’inverse, était ancré dans le réel. Tout en lui semblait calculé, mesuré, comme s’il refusait de laisser l’inconnu ébranler son esprit rationnel. Ses traits durs et son regard perçant donnaient l’impression qu’il voyait toujours les failles, les mensonges, les illusions.


Il était écrivain, connu pour ses essais acérés sur la folie des artistes et la quête vaine de l’absolu. Pourtant, il avait rejoint le Cercle, intrigué malgré lui par ce qu’il appelait « l’obsession collective ». Léandre se demandait pourquoi cet homme, si détaché et analytique, était resté dans ce groupe où la foi en l’invisible était essentielle. Peut-être, songea-t-il, que le scepticisme de Christopher cachait une peur plus profonde : celle d’y croire vraiment.


— « Je ne suis pas ici pour adorer une fable, » déclara Christopher, le regard rivé sur Léandre. « Je veux comprendre pourquoi nous sommes tous prêts à nous perdre pour une ombre. »


Bill Kal était le plus troublant de tous. Grand, massif, et toujours penché sur une création, il dégageait une intensité qui mettait Léandre mal à l’aise. Ses mains, puissantes et calleuses, travaillaient sans cesse, sculptant, polissant, donnant forme à des visions que lui seul semblait voir.


Certains disaient que Bill avait effleuré la muse, littéralement. Qu’il avait senti sa main froide sur sa peau. Depuis ce jour, il était obsédé par l’idée de la recréer, de capturer son essence dans le marbre, le métal ou le bois. Mais chaque sculpture qu’il achevait était brisée, détruite dans un accès de rage. Jamais rien n’était assez parfait.


— « Elle m’a montré un fragment de sa perfection, » dit-il d’une voix rauque. « Maintenant, je dois la retrouver… ou me perdre dans cette quête. »


Léandre observait ces âmes singulières, fasciné et terrifié à la fois. Chacun portait une blessure invisible, une fissure que la muse semblait avoir créée. Mais dans ces fissures, il y avait aussi une lumière, une obsession partagée qui les reliait.


Carthos Jo frappa doucement sa canne contre le sol.


— « Nous avons tous été touchés par son ombre. Nous avons tous payé le prix. Mais ensemble, peut-être que nous pourrons voir ce que personne d’autre n’a vu. »


Léandre sentit une étrange chaleur monter en lui. Était-ce l’espoir ? Ou bien une peur plus grande encore, celle de découvrir une vérité qu’il n’était pas prêt à affronter ?


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4 commentaires

Nicolasm59

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Il y a un mois

Le début me fait penser à un récit mythologique : le héros, artiste, confronté à l'incarnation de la sagesse, de l'intuition, du scepticisme et disons de l'intensité de la création doit trouver son chemin vers l'inspiration et à travers cela vers lui-même ? Est-ce ce que tu veux que ressente ton lecteur ?

Chris LEVOYAGEUR

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Il y a un mois

Oui, c’est exactement cela. Le récit mêle quête artistique et introspection, où l’inspiration devient un passage vers la révélation de soi. Le lecteur doit ressentir cette tension entre la beauté, le divin et les tourments de la création.
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