Fyctia

Après un long moment, mes jambes se relâchent d’un coup et je perds l’équilibre, mon corps tombant sur le côté. L’humidité des feuilles traverse mon pantalon et me fait frissonner de plus belle. Je déteste cette sensation après chaque hallucination. Je me sens vide, désorientée. J’ai ce sentiment horrible de ne rien contrôler, de me perdre dans le noir le plus complet sans savoir qui je suis, ni où je suis. Tout ce qui est autour de moi disparaît, se transforme et me parait irréel.

Je regarde le sol pour me rassurer que c’est bien fini. J’ai peur. Peur que ça recommence. Peur de perdre une nouvelle fois la tête. J’essaye de me consoler comme je peux en me disant que c’est le manque de sommeil et le stress qui y sont sûrement pour beaucoup. Après tout, je n’ai pas dormi depuis pratiquement trente heures.

Mes muscles tremblent de façon anormale. Je me sens trop fébrile pour me relever et partir d’ici alors je m’allonge en chien de fusil pour faire en sorte de me détendre. Sans que je le veuille, mes yeux se ferment et je m’endors sur le sol mouillé à même les fougères.

***

Une pression sur mon épaule me fait ouvrir les yeux. Mes sourcils se froncent à la vue du paysage qui s’offre à moi. Des feuilles. Des arbres. Des fougères. Et puis je me rappelle des événements. Ceux de la veille et de la matinée. La trahison d’Ambre et de Jason. Andrew. Tout me revient.

Combien de temps s’est-il écoulé depuis que je me suis allongée en ce lieu ? Des minutes ? Des heures ? Je me sens complètement déphasée. L’air ambiant s’est quelque peu réchauffé, mais reste tout de même relativement frais.

* Comment ai-je fait pour m’endormir cette température qui était si basse avant ? *

C’est dans une certaine torpeur que je me souviens que quelque chose m’a réveillé ou plutôt quelqu’un. Je me redresse dans un état second et regarde autour de moi. J’entends des bruits de feuilles juste dans mon dos et je me retourne pour voir ce qu’il en est.

La première chose que je vois, ce sont des jambes d’hommes. Surprise, j’ai un mouvement de recul. Serait-ce encore une de mes hallucinations ? Celles-ci sont vêtues d’un pantalon noir ajusté avec au pied, des Dr. Martens. Mes yeux se rétrécissent et je les lève peu à peu. J’y découvre un torse habillé d’un tee-shirt sombre et d’un blouson en cuir. Malgré le fait que je reconnaisse cette personne, je continue le trajet de mon observation jusqu’à son visage. Andrew me regarde d’un air sombre. Ses yeux me fusillent du visage et j’ai honte qu’il me retrouve comme ça, allongé sur le sol. Je ne veux même pas savoir de quoi j’ai l’air. Ma mine doit être effarée avec des yeux rouges et des cheveux ébouriffés et salis par l’humidité du sol. Et mes vêtements, n’en parlons même pas.

Mes joues s’empourprent face à lui. À le regarder d’en bas, il me parait impressionnant. Géant.

* Dieu, qu’il est grand ! *

Sa taille est haute et il en impose avec ses mains posées sur ses hanches qui lui donne un air sombre.

Et puis mon esprit et mes quelques neurones se remettent en route. De milliards de questions surgissent et résonnent dans ma tête.

* Que fait-il ici ? Comment m’a-t-il trouvé ? Pourquoi n’était-il pas en cours aujourd’hui ? Pourquoi je me sens si frêle à ses côtés ? Et qu’est-ce qu’il pense de moi, à cet instant ? Pourquoi cela me semble-t-il aussi important de le savoir ? Pourquoi ? *

— Tu devrais rentrer, dit-il de sa voix rauque. Tu es restée bien trop longtemps endormi.

* Et comment le sait-il ? *

— Tu... commencé-je. Quoi ?

— Pas le temps de parler. Lève-toi et prends un bus pour rentrer chez toi, commande-t-il.

Il me scrute de façon intense. Ses yeux semblent encore plus noirs que d’habitude. Sa mâchoire est crispée, ses poings également. En me voyant sous le choc, toujours semi-allongé, il reprend parole et dit avec plus de force :

— Vite.

— D’accord, d’accord.

— Avant de partir, il faut que tu saches comment te comporter lorsque des policiers viendront t’interroger sur la disparition d’Ambre.

Il fait une pause qui me fait tendre l’oreille et reprend :

— Ne parle pas de moi. Jamais. Tu diras que, lorsque tu es rentrée des cours, tu as fait tes devoirs jusqu’à ce que tu contactes ton amie pour la voir. Vous êtes restée ensemble jusqu’à 22 h et tu es repartie chez toi pour dormir. Ai l’air en forme. Ne détourne pas le regard. Dis la vérité en ce qui concerne la trahison de Jason et Ambre ou du moins, une partie. Que tu n’étais pas au courant. Que tu l’as appris ce matin de la bouche des autres. Soit convaincante. Crois-en ton mensonge.

Pendant son discours, je me lève à l’aide de mes bras avec une grimace. Ils me font mal. Des fourmis les ont engourdis. Je le regarde avec de grands yeux, attentive à ce qu’il dit. C’est important, je le sais et je ne perds pas une miette de ce qu’il dit.

Au fur et à mesure de son discours, mon étonnement s’accroît. Comment peut-il être au courant de ce qui s’est passé ce matin alors qu’il n’était pas là ? Je n’arrive pas à comprendre la façon dont il a appris ça. Que je sache, il ne parle à personne alors il ne peut pas l’avoir entendu de la bouche de quelqu’un. Je trouve ça frustrant le mystère qui plane autour de lui.

— C’est compris ?

— O...Oui, dis-je d’une voix faible.

— Bien. Tu peux retourner chez toi.

Sans un mot, je me dirige vers l’arrêt de bus dans l’attente de son prochain passage. Quand je me retourne pour voir si Andrew me suit, je suis surprise de ne pas le voir. Il a disparu.

***

Le retour m’a paru plus rapide que l’allée comme si mon cerveau se reposait des précédentes heures intenses que j’ai passées. Malgré le fait que j’ai dormi dans la forêt, je suis toujours aussi fatiguée. Mes jambes me portent avec difficultés et je marche tant bien que mal pour rejoindre la maison. Une fois arrivé près d’elle, je marque un temps d’arrêt. Je perds toute contenance. Une voiture de police est stationnée devant le portail. Les paroles d’Andrew me reviennent en mémoire. C’est comme s’il était au courant de leur passage. Ce pourrait-il que... ? Non, ce n’est pas possible. C’est juste le fruit du hasard.

Je fais donc ce qu’il m’a dit. Je me reprends et donne l’air d’être en forme. C’est compliqué, mais possible. Mes pas sont plus rapides, plus sûrs, plus confiants. Je marche la tête haute jusqu’à atteindre la porte de la maison. Je ferme les yeux, reprends ma respiration et je rentre à l’intérieur. Je me déchausse à l’entrée et les range dans la pièce prévue à cet effet. J’enfile ensuite de mes chaussons et me dirige d’un pas vif dans le salon. Deux policiers sont assis sur le canapé et parlent avec ma mère. L’un est un homme, l’autre est une femme. En me voyant, ils s’arrêtent de discuter. Les deux visiteurs se lèvent d’un même mouvement et ma mère fait son sourire pincé. Après un moment de silence, l’un d’eux parle.

— Bonjour, mademoiselle, je suis le lieutenant Goudreau et voici l’adjudant Morneau. Nous venons pour la disparition mystérieuse de votre amie, Ambre.

_

* En italique dans le texte *