Fyctia
Chapitre 2 : Lyla (1/2)
— Rappelle-moi pourquoi j’ai choisi cette vie, déjà ?
J’ai posé mon téléphone devant le miroir de ma salle de bain privée et papote avec Paola en même temps que je démarre ma routine skin care du soir.
— Parce que tu veux être libre, indépendante, voir le monde, gagner plein de pépettes, et n’avoir de compte à rendre à personne. Sauf à moi, elle rajoute en m’affichant son plus beau sourire.
— Est-ce que c’est débile de vouloir tout ça, et de se retrouver à devenir la dog-sitter d’un spitz nain qui s’appelle Spritz ?
— Certains manquent vraiment d’originalité, elle pouffe.
J’ai rejoint mes nouveaux patrons à Grenoble, nous avons pris le thé ensemble, fait connaissance, puis voyagé jusqu’à leur chalet de dingue en Savoie pour que Spritz et moi nous habituions l’un à l’autre avant le départ de ses maîtres, demain. Le toutou et moi dans un SUV Mercedes de 7 places avec toit panoramique et chauffeur, juste pour nous deux et mes maigres affaires. Il faut dire que le couffin du chien, sans compter ses jouets, ça prend de la place. Les propriétaires ont voyagé dans leur Lamborghini. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes…
— Ses maîtres m’ont fait le topo pendant une heure au salon de thé, et je n’ai pas osé goûter aux délices qui étaient sur la table, de peur de paraître moins concentrée. T’imagines ? Je me suis contentée d’un seul macaron alors que tout me donnait envie ! Tout ça pour quoi ? Pour ne pas paraître goinfre alors qu’avec ce que je venais de vivre, j’avais besoin de sucre ! A la place, j’ai une dizaine de fiches de tout ce que le chien a comme activités durant leur absence. Ce clebs est plus riche que toi et moi réunies sur toute une vie. Je crois que j’ai un nouvel objectif : devenir plus riche que lui. Il en va de mon honneur.
Quand je suis fatiguée, j’ai tendance à voir tout en noir et à me plaindre. Et rajoute à ça le contrecoup du stress de toute cette journée. Heureusement, Paola a l’habitude, et avec elle, je peux me lâcher, être moi.
— Si tu veux, on échange, propose ma meilleure amie. Je prends ta place à Courchevel avec ce pépère canin, et toi tu viens bosser mes cours de droit.
— T’es la meuf la plus courageuse que je connaisse, j’affirme très sérieusement. Se relancer dans des études à notre âge, te retrouver avec des ados à peine pubère… je préfère encore gérer les manucures et les massages de cette boule de poils.
— Comment ça, à notre âge ? 28 ans c’est hyper jeune ! Et t’exagères, ils sont pas aussi immatures.
— Les poils de Spritz ? Ou les étudiants ?
— Lyla, plus sérieusement, tu vas faire quoi pour le sac que t’as oublié dans le tram ?
Je sens tout mon dos se contracter. Entre l’agression de l’autre connard, l’apathie des gens autour, j’ai l’impression de replonger des années en arrière, quand j’étais à la place de celle qui subit sans oser réagir. Ce temps-là est révolu, et si je dois prendre des coups pour défendre quelqu’un, je le ferai ! Parce que j’aurais aimé qu’on le fasse pour moi.
Mais il n’y a pas que ça, il y a aussi mon voyage depuis Nice dans les pattes, le stress de rater l’arrêt et de ne pas être à l’heure au rendez-vous pour mon nouveau contrat, la gentillesse de ce type qui m’a soutenue et qui m’a déstabilisée avec son bonnet de Père-Noël dont les piles criaient « achevez-moi » tellement ça clignotait n’importe comment. Ah, pour sûr, il a donné une touche presque drôle à l’horrible situation. Ensuite, l’adrénaline est redescendue, j’ai perdu le contrôle de la situation, et mon sac avec.
— J’ai appelé le service de transports, rien ne leur a été apporté. J’espère encore qu’une personne honnête l’a trouvé et va m’appeler, je finis par conclure.
— Ils l’auraient déjà fait, grimace ma meilleure amie d’un air dépité.
— Mon ordi, je peux en racheter un, j’ai de quoi. Mais y avait mon agenda, tous mes contacts et mes prochains contrats. Fait chier.
— Et tes carnets ?
Depuis le moment où j’ai percuté que j’avais oublié mon sac à dos sur mon siège, j’essaie de ne pas penser à mes carnets. Combien de fois Paola m’a répété de transférer sur ordi tout ce qu’ils contiennent ?! J’ai repoussé à plus tard, parce qu’il en faut, du temps, pour prendre en photo chaque page, que ce soit d’assez bonne qualité, et ensuite en faire des dossiers. Bref. Je n’ai plus à m’inquiéter du temps que ça me prendra, j’ai tout perdu.
Je sens les larmes dévaler avant même d’avoir pu étaler les perles de crème de nuit que je viens d’appliquer sur mon front, mon nez, mon menton et mes joues.
— Ma chouchoute, ça va aller, me réconforte Paola comme elle le peut.
— Deux années d’intimité qu’un inconnu va violer. J’arrive pas à imaginer qu’on puisse lire tout ça, c’est comme si on me déshabillait.
— Rien ne dit que c’est un mec qui est tombé dessus. Et puis, le voleur ou la voleuse peut très bien s’en foutre royalement, le balancer dans une poubelle. Ce qui les intéresse, c’est ce qui peut leur rapporter des sous.
J’imagine mes carnets d’amour, si beaux et si riches de mes voyages, de mes réflexions, de mes dessins, croupir dans une poubelle avec des trucs dégueulasses qui leur dégoulinent dessus, et le désespoir m’envahit.
— Je suis épuisée, désolée, je bafouille.
— Tout ce que tu as vécu, appris, découvert, c’est quelque part en toi, Lyla. Et ça, personne ne peut te le prendre, elle essaie de me réconforter comme elle le peut.
— J’aimerais être avec toi, je renifle.
C’est dans ces moments-là que je me dis que ma vie, c’est n’importe quoi. C’est aussi dans ces moments-là, normalement, que je me plonge dans mes carnets et que je retrouve la force, la fougue, le feu, le sens de ce qui m’anime.
— Lyla, regarde-moi !
Paola est la seule personne sur terre qui a le droit de me donner des ordres. Je ne sais pas quand je le lui ai donné, ou si c’est elle qui l’a pris, mais elle est la seule que je ne rembarre jamais. Elle sait être ferme, me canaliser sans jamais m’entraver. Alors, j’écarte mes pieds au sol afin de me stabiliser un peu. Je sais ce qu’elle va me demander. Je me concentre sur ses longs cheveux noirs qui encadrent son visage mat, sur ses yeux en amande derrière ses lunettes rondes et dorées, et je commence à souffler, tout doucement. Je la laisse me guider sur ce que je vais faire à partir de maintenant. Je déteste qu’on me dise ce que je dois faire, sauf quand c’est Paola. Elle a cette façon d’énumérer des trucs simples, évidents, qui me rassurent quand je pars en vrille.
— Tu vas étaler ta crème, déjà, parce que tu ressembles à une tarte meringuée.
— J’ai été radine sur la meringue, je grogne en me massant le visage pour laisser la crème pénétrer.
— Ensuite, tu vas lire ce bouquin « Réfléchissez et devenez riche » que t’as acheté. Ton objectif est de devenir plus riche que Spritz, tu te souviens ?
Elle m’arrache un sourire. Quand je pense que j’ai failli le ranger dans mon sac à dos et que j’ai opté au dernier moment pour la valise.
16 commentaires
Nora Rosen
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Il y a 9 jours
Anne-Estelle
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Il y a 8 jours