Fyctia
4.-
J’allais mourir.
Et j’étais frustré.
Le long de la route était empli d’arbres. De grands sapins qui laissaient place à d’autres, comme un décor peint sur des rouleaux qui tournaient en boucle. Les branches s’entremêlaient de plus en plus vite, pour ne former qu’un.
Un arbre qui cache la forêt.
J’avais l’impression que je n’atteindrai jamais le bout du chemin. Comme si les éléments m’invitaient à faire demi-tour. Je devais peut-être retourner sur le pont, en finir, une bonne fois pour toute, d’une manière ou d’une autre. Après tout, ce n’était pas comme si j’étais exceptionnel. Ma femme et mes enfants seraient tristes bien sûr, quelques temps. Puis, ils passeraient à autre chose, j’en étais convaincu.
Alors, pourquoi cette hésitation ?
Je m’apprêtai à tirer le frein à main, à faire un demi-tour en dérapage, en plein milieu de la route. J’en avais toujours rêvé. Ma main gauche était positionnée, prête à effectuer une rotation complète, lorsque soudain, je vis une silhouette au loin. Une silhouette qui effectuait de grands gestes, à mon intention.
Je ralentis et baissai ma vitre.
— Dieu merci, vous vous êtes arrêté ! Ça fait une heure que j’espère voir quelqu’un passer sur cette route !
C’était une jeune femme d’une trentaine d’années. Elle était petite avec des cheveux courts et noirs. Sa bouche était parfaitement dessinée et ses yeux clairs comme de l’eau. Ses boucles d’oreilles formaient de grands cercles d’or, ce qui mettait en valeur son visage rond. Elle portait un perfecto de cuir rouge et un jean’s noir.
— Vous avez eu un accident ?
— Oui, une biche a traversé la route. Son Bambi suivait derrière et j’ai fait une embardée pour l’éviter. Et boom ! J’ai fini dans le sapin.
La voiture, une Toyota Corolla noire, était littéralement encastrée dans l’arbre. Le capot était enfoncé d’un bon quarante centimètres et une légère fumée s’élevait. Je regardais les traces de pneus sur la chaussée.
— Vous avez tiré le frein à main ?
— Oui, j’ai paniqué, dit-elle en grimaçant. Est-ce que vous pourriez me déposer en ville ? Je dois retourner chez moi. J’ai besoin de mon numéro de contrat pour appeler l’assistance. Sinon, ils vont encore m’envoyer une dépanneuse que je devrais payer.
Des millions d’expressions passaient sur son visage lorsqu’elle s’exprimait. C’était vraiment un beau brin de fille.
Je lui fis signe de monter.
— Merci ! Infiniment, vous êtes super gen…
— Ce n’est rien, la coupai-je avant qu’elle ne prononce un mauvais mot.
Installée sur la place du mort, elle me tendit la main.
— Je m’appelle Tiffaine.
— David.
Pendant qu’on avalait les kilomètres, elle parlait tout le temps, sans arrêt. Elle riait à gorge déployé en me racontant ses aventures du jour, posait des centaines de questions, dont elle faisait elle-même les réponses. C’était un monologue sans fin, une mitraillette. Finalement, je la trouvais rafraichissante, elle était pleine de vie. Et pour la première fois, j’oubliai presque que j’allais mourir, jusqu’à :
— Je suis photographe et vous ?
Mourant.
— Comptable.
— Ah ! Je vois. Je n’ai jamais rien compris aux chiffres, moi. Ils se mélangent tout le temps dans ma tête. Je les trouve méchants.
— C’est peut-être pour cela que je les aime.
Cette réponse était totalement idiote. Qu’est-ce qui m’avait pris ? Les mots étaient sortis trop vite.
Elle rit.
Juste avant d’arriver en ville, Tiffaine se mordit les lèvres, hésita, puis demanda :
— Vous allez dire que j’exagère, mais j’ai un autre service à vous demander.
— Je vous écoute.
— Pourriez-vous vous arrêter, j’ai envie de faire pipi, dit-elle en chuchotant.
— Le GPS indique qu’il nous reste moins d’une demi-heure jusqu’à chez vous. Vous ne pouvez pas vous retenir ?
— Je suis désolé, j’en peux plus, désolée. Là, arrêtez-vous près de la forêt.
Elle était vraiment touchante, elle roulait des yeux et se trémoussait sur son siège. Elle utilisait tous les stratagèmes possibles pour me faire comprendre à quel point cela urgeait. Elle m’amusait.
Je mis mon clignotant, stoppai sur le bord de la route et coupai le moteur. Je l’observai se détacher et sortir un paquet de mouchoirs en papier de son sac. Elle ouvrit la portière, s’apprêta à sortir, puis avec une hésitation, elle dit :
— Je sais que j’abuse, merci ! Vous êtes vraiment gentil, David !
Je vis mon reflet dans un miroir.
Tiffaine claqua la portière.
Un poing d’acier frappa le verre.
Tiffaine s’éloigna dans les fougères.
Le miroir se fêla.
Les fesses de Tiffaine se déhanchaient entre les branches.
Un petit morceau de miroir tomba.
Tiffaine disparut derrière les arbres.
Par le morceau manquant, je vis un œil rouge cerclé de noir me transpercer l’âme.
Les battements de mon cœur s’accélérèrent. Ma bouche sembla pâteuse. Mon sang parut devenir de lave. La chair de poule fit dresser les poils de mes bras, et cette pensée qui ne me quittait plus :
Pourquoi pas, puisque je vais mourir.
Elle revint en quelques minutes. Je rongeai mon frein et démarra ma voiture. Je décidai de ne plus ouvrir la bouche. Ce qui n’empêcha pas Tiffaine de parler comme une locomotive lancée à plein régime en direction d’un mur de béton.
1 commentaire
cedemro
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Il y a 4 ans