Fyctia
3.-
J’allais mourir.
Le lendemain, je pris ma voiture et roulai sur plusieurs kilomètres. Ma femme n’étant pas au courant de ma démission, je dû faire comme d’habitude, pour donner le change. Mais, au lieu de me rendre au boulot, je me dirigeai là où la route me portait, sans destination précise.
Je traversai un pont. C’était un monstre d’acier rouge. Ses suspentes s’élevaient haut dans le ciel. Un pont géant, digne des plus grands films de catastrophes naturel ou de films d’horreurs. Ses deux pylônes semblaient dessiner la bouche des enfers. Je songeai un instant que c’était le lieu idéal pour mourir.
Et pourquoi pas.
Plutôt que d’attendre la mort, je pouvais décider de l’endroit et de l’heure. Cela serait un beau bras d’honneur à l’intention de la faucheuse, un pied de nez magistral. Les trois pies, qui tissaient et coupaient les fils du destin, pouvaient aller se faire foutre.
L’idée était séduisante.
Je garai ma voiture à la sortie du pont et j’empruntais la passerelle piétonne. Sous mes pieds, au travers du treillis soudé, l’eau du fleuve s’écoulait avec fracas sur des rochers éparpillés.
Au centre du pont, je fis une halte. Je posai mes mains sur la rambarde de sécurité et regardai par-dessus-bord. La hauteur était impressionnante. Aucun doute, une chute serait fatale. Je respirai un grand coup, fermai les yeux.
— Eh l’ami ! J’espère que tu ne comptes pas sauter ?
À quelques mètres, un homme était apparu. Il regardait dans ma direction. Il était assis sur une caisse et pêchait dans le fleuve. De loin, il ressemblait à Morgan Freeman avec sa courte barbe blanche et son expression triste dans le visage. Son chapeau contenait plusieurs hameçons sur le flan, sa veste était multi-poches et ses bottes en caoutchouc remontaient jusqu’aux genoux.
— Moi je dis ça parce que t’es pas le premier à y avoir songé. Et si tu comptes vraiment en finir, ce n’est pas le meilleur moyen. T’as plus de chances de finir mouillé que mort ! s’esclaffa-t-il.
— Je vois, dis-je timidement.
— Tu vas effrayer les poissons. Sois gentil, laisse-moi au moins pêcher de quoi diner.
Gentil.
Que je sois gentil ?
Si je ne me sentais pas si en colère, j’aurais presque eu envie de chialer.
Il est gentil, David.
Je haïssais cette phrase. Je la méprisais, la détestais du plus profond de mon être. Chaque fois que j’entendais la famille, les amis ou même de simples connaissances, articuler ces quatre mots qui me faisaient enrager, cela me donnait envie de vomir.
Il est gentil David, il a bon cœur.
On pouvait être gentil, en apparence, et avoir le cœur empli de noirceur, un cœur nécrosé par le mal. Comment les gens pouvaient-ils être aussi naïfs, crédules ? Je les haïssais aussi pour cela.
Il est gentil, David.
Non ! Je n’étais pas gentil. Je me contenais, je me frustrais. Je gardais ma haine au fond de ma tête, de mon âme. Les chaines de l’éducation, la connaissance du bien et du mal, retenaient le démon en moi. Enfermé dans une cage, la bête aux yeux rouges patientait. Elle guettait la moindre faille, ma faiblesse qui la libérerait. J’ai toujours su qu’elle était là, tapie dans le noir. Je l’avais vue, dans le bureau de mon directeur, au travers de la baie vitrée. Je la voyais régulièrement, dans mes accès de colère éphémères. Et si maintenant que j’allais mourir, si je la laissais sortir ? Moi, David, je rêvais de ne plus être gentil.
Je rêvais d’être un tyran, un bad-boy, un méchant, un tueur ou un gangster.
Parfois, devant mon miroir, je retroussais les lèvres, je fronçais les sourcils et maquillais mes yeux de noir. J’agressais mon propre reflet. Je le victimisais, je m’entrainais avec une voix rauque et dure. Je me moquais de cet homme pitoyable qui était incapable de refuser le moindre service, qui ne se défendait pas, qui ne savait pas dire non.
Juste pour être gentil, comme on lui avait appris. Je le voyais trembler, me supplier et mouiller son pantalon comme un gosse apeuré. J’aurai voulu pouvoir l’attraper, le secouer et lui mettre trois claques dans la gueule.
J’avais beau avoir des tatouages, des cheveux longs et des jean’s déchirés, les gens finissaient toujours par dire :
— Il est gentil, David.
Mais fermez-là !
J’avais envie de les tuer, de les torturer, doucement. Je fantasmais, je me voyais enfoncer une lame dans leur cou, sortir leurs yeux à la petite cuillère et lacérer leurs parties génitales avec un cutter.
Gentil.
À chaque fois que quelqu’un le prononçait, je sentais comme une fêlure en moi, comme une bougie qui s’éteignait, un maillon de la chaine qui se brisait. Je songeais qu’un jour, je craquerais.
Je détestais les héros, je les trouvais lisses, sans charisme et ennuyeux. Quoi de plus chiant qu’un film ou un livre avec un happy-end. Je préférais les méchants. Les grands vilains étaient bien plus cool. Parfois, j’énumérais la liste dans ma tête de mes idoles, à toute vitesse :
Le Joker - Jack Torrance - Hannibal Lecter - Dark Vador - Sauron - Freddy krueger - Le juge Demort - JigSaw - Annie Wilkes - Calvin Candy - Michael Corleone - Miss Ratched - Alex De large - Jafar - Cathrine Tramell - Patrick Bateman - Scar - John Doe - Biff Tannen - Grippe-sous/Ça - Voldemort - Harley Quinn - Norman Bates - Agent Smith - Keyser Söze - Négan…
Non, pas Négan, les scénaristes essayaient de le faire devenir gentil. Ce personnage était devenu ennuyeux à mourir…
J’enchainai trois ou quatre grandes expirations, tentant de me calmer. Le vieux pêcheur toussa. On était aux abords d’une route peu fréquentée. Je pouvais l’attraper et le passer par-dessus la rambarde en moins d’une minute, ni vu, ni connu. Au bout d’un instant, je m’éloignai en silence.
Ce n’était pas le bon moment.
4 commentaires
M. Staehle
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans
Sabrina A. Jia
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Il y a 4 ans