David Belo Mourir Gentiment Épisode 1 - Partie 2

Épisode 1 - Partie 2

J’allais mourir.

Je me suis redressé d’un bond. Pieds nus, j’ai planté mes orteils dans la pelouse, cherchant la fraîcheur de la terre, et je suis resté figé sans un mot. La tête en arrière, les yeux vers le ciel, j’ai observé les nuages. Le temps s’est arrêté. Hormis la voix dans le téléphone, tous les sons s’étaient tus. Un silence de mort m’avait entouré.

J’ai lâché mon portable. Il est tombé sur le sol, et le médecin a continué de m’interpeller… en vain.

J’allais mourir et je l’ai gardé pour moi. Je n’ai rien dit à personne, ni à ma femme, ni à mes enfants et encore moins à mes amis. Je tentais de me convaincre que c’était pour les protéger de la peur et de la tristesse, ces sentiments salissants et visqueux qui se propagent à vos proches plus vite qu’une épidémie mortelle. Mais je savais que c’était faux, que je me mentais à moi-même. C’était purement et simplement de l’égoïsme. J’avais besoin de temps, de réfléchir.

Pendant les quelques jours qui ont suivi, je me suis demandé comment réagissaient les gens dans ma situation. Hurlaient-ils ? Acceptaient-ils ? Priaient-ils ? Pleuraient-ils toutes les larmes de leur corps ? Et après ? Faisaient-ils le bilan de leur vie ? Essayaient-ils de mettre leur famille à l’abri ? Ou, au contraire, dépensaient-ils tout leur argent ? Voulaient-ils réaliser les choses les plus folles, les plus extravagantes ? Et moi… comment allais-je vivre mes derniers jours ?

J’étais incapable de répondre à cette question, et je le resterais pour longtemps encore. Immédiatement après l’annonce, ma vie n’a pas changé, dans quelque aspect que ce fut. Je n’ai pas joué les Walter White en fabriquant de la crystal meth, ou les superhéros sauvant le monde au prix de leur vie. Non, je suis resté le même, avec le même sourire et la même jovialité qui grimaient mon visage.

La seule chose qui me paraissait réellement différente, c’était le temps. Je pensais que, lorsqu’on avait une date d’expiration, il s’accélérait. C’était faux. Paradoxalement, il ralentissait. Mon cerveau, se sachant menacé, réfléchissait davantage et plus vite. Si je buvais un café en cinq minutes, je songeais à cent vingt-deux façons d’annoncer ma mort imminente à mes proches. Si je fumais une cigarette en huit minutes, je chantais dans ma tête les quarante-trois chansons de la playlist prévue pour mon enterrement. Si je regardais une jolie femme, six cent soixante-trois images de fantasmes d’orgies et de sadomasochisme dans un donjon affluaient devant mes yeux en moins d’une seconde.

Certaines pensées étaient plus agréables que d’autres.

Je pensais qu’avec mon obsolescence programmée, j’allais goûter les petites choses de la vie à leur pleine saveur. Mais non, je ne trouvais pas les chats et les pandas plus mignons. Je n’appréciais pas plus certains styles musicaux ou certains aliments. Les lentilles et les épinards étaient toujours aussi dégueulasses, et la merde avait toujours l’odeur de la merde…

Lorsque je surfais sur le Net, je consultais des sites sur le parachute ascensionnel, sur le saut à l’élastique ou sur la descente en rafting. Je jetais un œil à des photos du Kilimandjaro, de temples incas ou des pyramides d’Égypte. Je me laissais rêver aux plages des Bahamas, aux chutes du Niagara ou encore à la muraille de Chine. Il m’arrivait d’étudier les tarifs d’une voiture de sport, d’une moto ou d’un voilier. Si, sur l’instant, je ressentais une certaine excitation, au final, rien de tout cela ne m’intéressait vraiment, rien ne me faisait bander. Aucune étincelle dans mes yeux, aucune palpitation dans mon cœur. Définitivement, je n’étais pas emballé.

J’allais mourir et je réfléchissais. Je cherchais toujours à déterminer comment vivre mes derniers instants pendant que le temps, lui, filait.

Parfois, je me demandais pourquoi. Pourquoi moi ? Je présumais que la plupart des condamnés se posaient la même question. Qu’avaient-ils fait dans cette vie ou dans une vie antérieure pour mériter cela ? Pour moi, la réponse paraissait simple : je n’avais jamais rien fait de mal. J’étais toujours resté sur le droit chemin. Je n’avais jamais eu de contravention, je ne m’étais jamais battu. Enfant, je n’étais même pas sûr d’avoir déjà sonné à une porte pour m’enfuir en courant.

Je m’appelais David, j’avais 39 ans et j’allais bientôt mourir. Sur mon épitaphe, il serait écrit que j’étais un type normal, banal et discret. Le genre de personne traversant la vie sans laisser de traces, sans marquer les esprits. Mes amis diraient que j’avais les cheveux longs, le corps tatoué et une silhouette sportive, une apparence de mauvais garçon qui contrastait avec une véritable gentillesse. Mes collègues raconteraient que, chaque jour, je portais un costume, une chemise et que mes cheveux étaient soigneusement peignés et attachés, et que j’étais bon pour gérer les portefeuilles financiers de grosses entreprises du CAC 40, toujours à l’heure, jamais absent, l’employé parfait.

J’avais une femme de 37 ans, plutôt jolie. Deux enfants de 12 et 16 ans, bien élevés mais en pleine adolescence : ils se chamaillaient tout le temps, ce qui m’agaçait prodigieusement.

Une journée classique dans ma vie ? Levé, préparé, trente-huit minutes de voiture, huit heures de travail acharné dans un champ de chiffres, quarante-deux minutes de trajet inverse dans des embouteillages infernaux, repas, douche, dodo. Aucune folie, aucune extravagance.

J’avais une voiture banale que je payais encore à crédit. Une maison banale en banlieue. J’avais le droit à trois rapports conjugaux banals par mois. Chaque année, j’avais la même tarte aux fraises banale pour mon anniversaire et, si j’avais de la chance, une petite pipe. Un vendredi sur deux, les mêmes amis dînaient chez moi, avec leurs banales conversations. Je partais toujours en vacances dans les mêmes lieux banals, à des dates systématiquement calées avec mes banals beaux-parents. Bref, je menais une vie banale et normale, qui n’avait rien d’excitant.

Les jours défilaient, et le bilan que je dégageais de mon existence me paraissait ennuyeux à mourir. Je m’étais laissé totalement immerger dans la routine. J’étais enraciné, condamné à subir chaque jour les mêmes errements. Je me rendais compte que, finalement, j’avais toujours porté un masque, une façade qui cachait mes sentiments. J’étais le comédien d’un théâtre vide, sans spectateur. Je jouais une partition sans saveur, par habitude, comme un automate. Et à présent… il était temps d’agir.

Avant que le rideau ne tombe définitivement, les choses devaient changer, de manière radicale.


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3 commentaires

Caroline Fournier

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Il y a 4 ans

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