Fyctia
Chapitre 45
À la pause déjeuner, je m’éclipse. J’ai grand besoin d’aller prendre l’air. Après toute une matinée à me faire questionner, en long, en large et en travers, il faut que je décompresse. Je n’aurais peut-être pas dû leur parler de ma sortie ciné de mercredi. Je vais avoir encore plus la pression de savoir qu’ils voudront connaître tous les détails de cette soirée. En même temps, il fallait absolument que je change de sujet. C’est la première chose qui me soit venue à l’esprit.
Malheureusement, à cause de ma cheville douloureuse, je suis forcée de me contenter du terrain herbeux à côté du bâtiment. Quelques centaines de mètres carrés, ce n’est pas l’Amérique, mais c’est mieux que rien ! Je marche précautionneusement jusqu’au banc le plus proche, abrité par un arbre en fleurs – il s’agirait de ne pas m’étaler une nouvelle fois en toute beauté –, et m’y installe avec mon déjeuner, déniché dans les distributeurs automatiques de chez LogiSolu : chips, Kinder Bueno et soda.
Ah ! Ne criez pas. Je sais que ce n’est pas un vrai repas, mais ça m’évitera de mourir de faim tout l’après-midi.
Alors que je picore mes chips, profitant de la chaleur bienvenue des rayons du soleil, je suis la spectatrice invisible des allées et venues de chacun. M. Durieux, mon chef, quitte le bâtiment en saluant d’un bref signe de tête les éternels fumeurs postés devant l’entrée. S’y trouvent Roxane et Erika, mes copines du service commercial, Mélanie, des ressources humaines, et Mathieu, de la compta, le collègue de Fred. J’observe celui-ci tenter désespérément d’attirer leur attention. Il gesticule dans tous les sens et rit bien trop fort. Ce type est vraiment pitoyable… En plus, c’est un connard sans nom et un misogyne, ce que chacun sait dans la boîte. Lassée de sa parade nuptiale digne d’un paradisier superbe – oui, vous savez ? cet oiseau qui offre de vraies chorégraphies comiques pour séduire les femelles –, je détourne le regard et m’aperçois que la camionnette d’une entreprise de terrassement vient de se garer sur notre parking. Deux hommes en sortent, ils semblent venus prendre des mesures. Tiens, on dirait que les travaux d’agrandissement ne vont pas tarder à commencer. Ça ne plaisante pas du côté de la direction ! Ils ont peut-être entendu parler de l’armoire à glace de chez Gamma Protection et ne sont pas tentés par une tête au carré.
Lorsque j’aperçois Grand Corni… euh, Guillaume, arriver à pied avec son déjeuner à la main, ses écouteurs dans les oreilles, je me ratatine sur le banc et ne bouge plus un cil.
Pourvu qu’il ne me voie pas…
Il passe à quelques mètres de moi seulement en se curant le nez, se pensant seul, puis marche jusqu’au bâtiment dans lequel il disparaît. Beurk ! J’espère qu’il a déjà serré la main de tous ses collègues.
Un mouvement à une fenêtre du deuxième étage attire mon attention. Je plisse les yeux pour mieux voir. Fred est tourné dans ma direction, il m’observe. Il se trouve dans la salle de pause. Je lui souris en lui faisant un petit signe de la main. Il reste figé, pendant quelques secondes encore, puis s’éloigne, sans avoir répondu à mon geste.
Je pousse un soupir en fermant les yeux.
— Mademoiselle ?
Je sursaute en rouvrant les paupières.
— C’est bien ici, LogiSolu ?
Il s’agit d’un des deux hommes de la société de terrassement.
— Oui.
— On est censés voir Mme Barnabé, l’assistante de direction.
— Ah. Venez, je vais aller voir si elle est disponible. La standardiste est partie déjeuner.
Lorsque je quitte le bureau, sur le coup de 18 heures, Fred m’attend déjà dans sa voiture. Il a les yeux fermés, le crâne contre l’appuie-tête. J’ouvre la portière. Il se tourne vers moi.
— Journée difficile, hein ? lui lancé-je avec sollicitude.
— T’as pas idée.
— Ton chef t’a mené la vie dure encore une fois ?
— Entre autres…
— Tu n’as qu’un mot à dire et mon sac en cuir pleine fleur et moi, on va aller discuter avec lui.
Il est secoué d’un petit rire puis démarre. Je ressens sa lassitude et décide de le laisser tranquille.
— Si tu veux, je peux conduire cette semaine, pour ménager ta cheville. Tu prendras le relais la semaine prochaine.
— D’accord. Merci, Fred.
— Y’a pas de quoi.
Je tourne la tête vers ma vitre, regarde à l’extérieur d’un air absent.
— J’ai appris que…
Ah. Nous y voilà.
—… tu comptais revoir ce Raphaël cette semaine ?
Je retiens ma respiration et murmure un bref :
— Oui.
— C’est bien, dit-il avec douceur.
Je lui lance un coup d’œil circonspect. Il reste focalisé sur la route. Je ne sais pas pourquoi, sa réponse me rend triste. Je ressens presque de la déception qu’il ne me fasse pas une scène.
Allez comprendre…
Je me contente de hocher le menton, même s’il ne peut pas me voir. Lorsqu’il se gare devant chez moi, il finit tout de même par m’observer. Je lui souris.
— Merci, Fred. À demain.
Il acquiesce, me rend mon sourire, ses prunelles noisette soudées aux miennes. Mon cœur bat très fort dans ma poitrine.
— À demain, Maddie.
J’ouvre ma portière avec précipitation et file me réfugier chez moi. Sitôt la porte refermée, je me laisse glisser contre le battant et me prends la tête entre les mains.
Si seulement…
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