Fyctia

La semaine a filé à toute allure, sans autre incident, ce qui n’est pas pour me déplaire. J’ai croisé Guillaume à deux ou trois reprises dans les couloirs, mais il pique un fard et évite mon regard à chaque fois. C’est très étrange. Quant au gorille, Dieudo avait raison : aucun signe de vie, pour mon plus grand soulagement.

Depuis que je pars plus tôt le matin, je n’ai plus aucune difficulté à trouver de la place sur le parking. Ma relation avec M. Durieux s’en trouve nettement améliorée. Je dois dire, à ma grande fierté, que le covoiturage se passe très bien. Je réussis à être à l’heure, j’ai même placé dans le vestibule une coupelle où je dépose mes clés de voiture dès que je rentre à la maison. Je suis devenue une personne prévoyante et responsable. Une nouvelle Madeline est née ! Est-ce qu’il ne s’agirait pas de cette « ère de renouveau » dont me parlait ma sœur ? Si c’est ça, elle s’est carrément plantée dans les dates !

C’est agréable d’avoir quelqu’un avec qui discuter sur le trajet, avant d’arriver au boulot. Avec Fred, on parle de la pluie, du beau temps, de tout, de rien. En revanche, je ne sais pas trop ce qu’il a en ce moment. Je le trouve… bizarre. Les hommes aussi ont un syndrome prémenstruel ? J’ai constamment cette impression qu’il aimerait ajouter quelque chose quand il s’adresse à moi, mais il se contente de souffler ou de baisser les épaules. S’il a quelque chose à me dire, qu’il le dise, bon sang ! Pourtant, je préfère ne pas aborder le sujet avec lui, je ne veux surtout pas faire du Charline, à me mêler de tout et n’importe quoi.

Tiens, en parlant d’elle, son nom apparaît justement sur l’écran de mon portable. Je souffle bruyamment. Il faut toujours qu’elle m’appelle quand je suis occupée. Il est 18 h 30, nous sommes vendredi soir, et je dois rejoindre dans trente minutes mes collègues dans un bar à thème, à Lyon, avec Frédéric, qui ne devrait plus tarder. Je décide de décrocher, sans quoi elle va me harceler toute la soirée.

— Bonjour, Charline. Non, je ne suis pas dispo ce week-end pour garder les monstres.

— Tss, tss ! Je ne t’appelle pas pour ça, bêtasse !

— Ah bon ? Tu veux juste prendre de mes nouvelles ? Ce serait bien une première.

Je l’entends pousser un soupir.

— Madeline, tu sais que tu peux te montrer très désagréable quand tu t’y mets ?

— Sans blague…

— Arrête un peu et écoute-moi ! Les tarots sont formels : ton âme sœur a frappé à ta porte.

— Charline, si j’avais rencontré l’homme de ma vie, je le saurais ! Je ne suis pas dingue.

— Peut-être que tu le connais, mais que tu ne sais pas encore que c’est lui ?

Je prends quelques minutes de réflexion.

Grand Cornichon ?! Mon Dieu, non… Dieudo ? Alors là ! C’est carrément impossible. Je ne suis pas du tout le genre qu’affectionne Dieudonné… Frédéric ? Fred, ça fait des années que je le connais. Il en a eu plus d’une fois l’occasion, mais il n’a jamais rien tenté avec moi. À aucun moment il n’a dit ou fait quoi que ce soit qui puisse me faire croire qu’il me voyait autrement que comme une amie.

Je fais un rapide listing mental de tous les hommes que je côtoie.

Le gorille de chez Gamma protection ?! Ah, non ! L’amour violent, très peu pour moi. Mathieu, le collègue de Fred ? C’est un con misogyne. Certainement pas ! M. Durieux ? Bah, les hommes mûrs, non merci !

— Désolée, Charline, mais ça ne serait pas la première fois que tu commettrais une erreur.

— Tu es vache ! Mes prédictions sont souvent exactes, à un ou deux détails près.

Je grogne, pour ne pas la vexer.

— Bon, écoute, ce n’est pas que tu m’ennuies, mais je dois sortir et je ne suis pas encore prête.

— Madeline, il serait temps de grandir ! La vie d’ado, à 28 ans, c’est un peu exagéré.

— Tu dis ça parce que t’es jalouse. À plus !

Et je raccroche, fière de lui avoir rabattu le caquet.