Blanche de Saint-Cyr Mon frère Noël sans Alexandre

Noël sans Alexandre

Dans les semaines qui suivirent, j’eus une idée. Pourquoi n’irions-nous pas passer Noël au Chili, avec Alexandre ? Prendre l’avion me semblait tellement romantique.


J’en parlais aux parents, Maman m’opposa une moue dubitative. Elle avait eu cette même envie et s’en était ouverte par téléphone à Sœur Theresa, qui lui avait déconseillé de venir. Alexandre se cherchait, son retour au Chili était un bond dans le temps difficile à endurer. Il souffrait de se comparer aux enfants de l’orphelinat et si ses parents adoptifs venaient le visiter, le paradoxe risquait de le bouleverser davantage. De plus, la période de Noël était riche en émotions pour les sans-familles, la directrice pensait que mon frère devait la vivre pleinement, sans échappatoire, parmi les autres enfants et que l’épreuve lui ouvrirait de nouvelles pistes de réflexion. « Vous l’avez laissé partir, c’est bien, avait dit Sœur Theresa. Maintenant, laissez-lui le temps d’arriver ». Malgré le chagrin de la séparation, Maman se rangea à l’avis de la directrice et je fus obligée de faire pareil.


Comme chaque hiver, la patinoire s’était installée place Colbert, des guirlandes et des lampions illuminaient les halles et la ville, mais les animations de décembre ne m’apportaient cette année aucun réconfort.


Pour Noël, je pensais à écrire à Alexandre. Une longue lettre, pleine de mes regrets et de mon amour pour lui. Je jouais avec cette idée des nuits durant, pesant mes mots, construisant des phrases. Puis les propos de Sœur Thereza me revinrent en mémoire. Qu’est-ce que ma lettre pourrait lui apporter ? Savoir que nous l’aimions et que son trou dans l’eau ne s’était pas refermé ne pouvait pas lui nuire, mais lui parler de nous alors que dans nos derniers échanges, il avait sous-entendu que je le harcelais ? L’avais-je harcelé ? Notre relation avait évolué trop rapidement pour lui, je l’avais poussé dans une zone d’inconfort et j’étais restée sourde à ses inquiétudes, minimisant sa peur du rejet familial. Je le voyais comme mon égal, alors qu’il se débattait avec des souffrances que je ne connaîtrais jamais. J’avais nié ses blessures d’abandon et son sentiment d’être illégitime. Ne l’avais-je pas obligé à me fuir ? Une lettre d’amour brûlante me sembla soudain une mauvaise initiative. Et si un colis fraternel était plus approprié ? Je décidai d’inclure Mina à mon projet. Pendant la première semaine de vacances, nous confectionnâmes des cookies, réalisâmes des dessins à la gouache et une lettre humoristique, avec des photos découpées dans le magasine télé. L’idée des cookies venait de Mina, j’aurai évité pour ma part ce clin d’œil à nos premiers transports, mais je n’avais pas trouvé d’arguments convaincants pour l’y faire renoncer. Alexandre adorait les cookies, difficile de choisir autre chose sans paraître louche. J’avais laissé tomber, espérant que mon frère ne se sente pas harcelé par de malheureux biscuits.


L’odeur du chocolat embaumait la maison. Les parents approuvèrent notre colis et y glissèrent une carte de vœux. Une autre question me tarabustait. Devions-nous désormais appeler notre frère Sandro, pour lui signifier notre soutien dans sa quête ? Ou au contraire, s’en tenir à Alexandre, pour éviter l’intrusion dans sa nouvelle identité ?


Mina avait invité Isadora pour goûter ses cookies. Je lui parlai de mon dilemme dont elle se moqua la bouche pleine.


— Il en a pas marre d’être compliqué, ton frère ? Emmeline, je l’appelle « fourbasse » et quand elle en a assez, elle me traite d’anchois. T’es vraiment obligée de peser tous tes mots quand tu t’adresses à lui ?


Je me demandai quand j’aurais le courage de tout lui avouer. Dans ce jeu, elle était une alliée formidable, dommage que je ne lui montrais pas mes cartes. Mais aujourd’hui, que lui dire ? Mon histoire avec Alexandre restait au point mort, je vivais dans l’expectative d’un signe de sa part. Il n’y avait plus rien à raconter.


— On a qu’à lui mettre « Salut vieille branche ! », proposa Mina. Isadora a raison, faut dédramatiser.


J’admirai chez ma sœur ce don d’alléger les choses graves. Ce « vieille branche » me convenait parfaitement.


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19

19 commentaires

Livre_e

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Il y a un an

J'avais un peu peur de voir ou tu nous emmènes une fois Alex au Chili mais tu réussi à le garder "vivant" grave à la narration 💪🏻. C'est très fluide, les doutes, les regrets et l attente sont très bien exprimés 😇. Je suis impatiente de continuer !!

Ines.m

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Il y a un an

like d'entraide ❤️

M.G. Margerie

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Il y a un an

J'aime qu'Ombline comprenne enfin à quel point ils n'étaient pas égaux dans cette relation.

Blanche de Saint-Cyr

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Il y a un an

Oui elle a vraiment besoin d'ouvrir les yeux ^^

Donà Alys

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Il y a un an

😊💫

Zardoz

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Il y a un an

🍀

Balika08

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Il y a un an

À jour 😉

oooDaphneooo

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Il y a un an

♥️

Emeline Guezel

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Il y a un an

Petit like de chez moi 🥰

Katie P

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Il y a un an

Cet éloignement forcé permet à Ombline de prendre du recul, elle aussi, sur son propre comportement et les réactions qu'il a suscitées. Ça la fait mûrir sur son rôle et ses torts dans leur relation et le mal-être d'Alexandre, je suis sûre que ce sera bénéfique pour des retrouvailles apaisées. Et Mina est un vrai soutien dans cette période, c'est chouette de les voir se serrer les coudes.
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