Fyctia
Sandro
Je proposai à Papa d’empaqueter les affaires qu’Alexandre avait laissées dans sa chambre pour m’y installer. Dans la cave, il vida et tria la garde-robe avec les déguisements devenus trop petits, pour stocker les vêtements et les cartons de mon frère. L’ironie de la situation me serra le cœur.
J’éprouvai un plaisir physique teinté de mélancolie à plier, ranger et emballer les habits et les objets de mon amour disparu. Je serai contre moi un T-shirt trop court qu’il portait encore l’année dernière, je gardai un pyjama pour y dormir en cachette. Dans un tiroir, je trouvai une photo de moi prise à Noël. Il n’avait pas jugé bon de l’emporter. La douleur de notre rupture me tétanisait à chacun de ces détails.
J’avais refusé que Papa aménage différemment la chambre d’Alexandre, je la voulais telle quelle, sorte de mausolée pour notre amour brisé. Lovée dans son lit, je cherchais sur l’oreiller et dans la couette des souvenirs d’Alex, un parfum, la forme de son corps. Je me roulai en boule, m’imaginant dans ses bras. Ce lieu m’avait procuré tant de joie. Je décidai d’y apprendre à jouir. Mes doigts explorèrent mon sexe pour la première fois. J’y laissais libre cours à mon imagination et découvris les différentes caresses qui menaient à l’orgasme.
Nous restâmes plus d’un mois sans nouvelles directes d’Alexandre. Dans les premiers jours, Sœur Theresa avait rassuré Maman par téléphone, il était bien arrivé et prenait ses marques lentement. Nous ne devions pas nous inquiéter.
Puis fin août, une lettre nous parvint, adressée à Maman exclusivement. Elle ne nous la lut pas en entier, mais nous en livra le principal contenu au petit-déjeuner dominical suivant. Mon frère semblait ébranlé. L’orphelinat était bien différent de celui de ses souvenirs. Plus petit, plus sale, les enfants entassés dans deux dortoirs meublés de lits en fer. À son arrivée, l’état des gosses l’avait choqué. Très maigres, les cheveux peuplés de galle, la plupart couraient pieds nus dans des vêtements trop grands, mais déjà usés. Certains restaient prostrés sur leur lit et les nurses déployaient des trésors de patience et d’ingéniosité pour les alimenter. Sœur Theresa était un ange sévère qui dirigeait la maison avec rigueur et bienveillance. Comme les autres membres du personnel, mon frère occupait une petite chambre rudimentaire. Plus de la moitié des nurses se souvenait de lui, elles recommencèrent à l’appeler Sandro, son surnom de jadis. Seulement sept ans s’étaient écoulés depuis son départ de l’orphelinat. Alexandre peinait à se situer, il n’était plus un enfant en attente d’adoption, mais pas non plus un adulte responsable au même titre que les Sœurs. Il rendait service partout où l’on avait besoin de lui et jouait avec les enfants chaque fois qu’il se sentait désœuvré. « J’ai honte, disait mon frère, de mon enfance piteuse, de cette misère dont je suis issu. J’imaginais les orphelins pauvres, mais heureux, loin de la France superficielle où les gens râlent malgré le confort. Certains enfants s’amusent et rient, mais beaucoup ont vécu des violences, alors qu’ils sont si petits. Je ne veux plus être honteux de mes origines, je ne vaux pas mieux. Ma place est parmi eux ». Dans sa lettre, il n’évoquait pas de recherches sur sa mère.
Ce compte-rendu mettait Mina mal à l’aise, elle se sentait prise en otage, forcée d’entendre des informations blessantes. Elle m’en parla dans l’après-midi, pour me demander de l’aide.
— La prochaine fois, je quitte la table. Ensuite, tu me feras un résumé ! Je veux savoir comment va Alexandre, mais pas le reste.
— C’est difficile à dissocier. Comment aurais-tu résumé la lettre d’aujourd’hui ? « Alexandre va plus ou moins bien à cause de son statut dans l’orphelinat. » Ça te suffirait ?
Elle soupira.
— T’as raison. Je vais me retrouver à poser des questions dont je ne veux pas les réponses. Je vais faire l’effort d’écouter les passages sur l’orphelinat, mais quand il parlera de notre « génitrice »…
— Compris. Tu devrais prévenir Maman aussi, comme ça, elle triera avant de nous raconter.
Au lycée, l’histoire du départ de mon frère passionna les élèves. L’épisode le teintait d’une aura particulière, surtout auprès des filles. Elles le trouvaient courageux, beau, aventurier, romantique. Elles disaient « le pauvre » et me demandaient régulièrement si j’avais des nouvelles. J’ouvrais les yeux sur certaines de ses admiratrices dont j’ignorais l’existence jusque-là. Bizarrement, je me sentais fière. Entre toutes, c’était moi seule qu’il avait aimée. Tant pis s’il me boudait aujourd’hui, moi je l’aimais pour deux. J’étais la gardienne du temple, de sa chambre, de nos souvenirs, attendant le retour de mon dieu. À la source de toutes les informations le concernant, je répondais à ses fans, elles me faisaient un peu pitié. Aucune amoureuse ne le connaîtrait jamais mieux que moi, et aucune sœur n’adorerait son frère de façon plus complète. Même en son absence, la puissance et la plénitude de notre relation continuaient de m’émerveiller.
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Salma Rose
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L'émotive
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Born Ready
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iris monroe
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