Fyctia
Famille décomposée
Maman ne se décourageait pas, elle parlait d’Alejandro le plus souvent possible, même si Mina assise à ses pieds continuait de manipuler ses cubes comme si elle était sourde. J’envoyais des dessins au Chili auxquels on joignait les gribouillis de ma sœur, un courrier et des photos. Moi je ne pouvais pas encore écrire parce que je venais seulement d’entrer au CP en septembre, je dessinais Mina avec un immense sourire pour rassurer son frère, Papa explosa de rire la première fois, je crus que j’avais raté mon portrait, mais Maman le poussa du coude et il m’expliqua entre deux hoquets que Mina paraissait pour le moins « extatique », mais que c’était très bien. Je fis semblant de comprendre et me penchai sur maman pour lorgner sa lettre.
— Tu lui dis quoi ? Tu lui dis qu’on l’attend toujours ?
— Je ne peux pas lui écrire ça. Si sa mère veut garder son petit garçon auprès d’elle…
— Elle l’a abandonné, Papa me l’a dit, elle ne vient même pas le voir. C’est une méchante maman.
La mienne soupirait.
— La réalité est plus compliquée, Ombline. Tu comprendras quand tu seras grande.
Moi je voulais comprendre maintenant. Ce frère si lointain, viendrait-il jamais nous rejoindre ?
Avec Isadora, quand nous discutions à travers la haie du jardin, on parlait beaucoup de la mère d’Alejandro. On s’inventait des histoires où elle était la sorcière ou la marâtre moche, comme dans les dessins animés. Lorsqu’on jouait aux déguisements, aucune ne voulait endosser ce rôle de méchante maman, on le fourguait à Mina qui ne comprenait pas tout. On lui montrait ce qu’elle devait faire. Elle tapait les poupées et tordait les nounours, ensuite nous les sauvions en les installant dans l’orphelinat et Mina essayait de venir les reprendre. À la fin, elle nous poursuivait en grondant comme un dinosaure et c’était la partie qu’elle préférait. On riait comme des folles, jusqu’au jour où Maman nous a entendues et nous a interdit de continuer.
— Ce n’est pas gentil pour Mina de lui faire jouer sa propre mère de façon si vilaine.
— Mais Mina adore ce jeu !
Malgré les remontrances, la partie recommençait, car Mina se ruait sur les nounours en criant, puis s’enfuyait avec eux pour qu’on la course. Elle riait aux éclats.
Les mois passèrent, Mina parlait de mieux en mieux, et en français maintenant. Au début, j’étais la seule à la comprendre, je lui servais de traductrice. J’avais ressorti mon imagier Père Castor de quand j’étais petite et je jouais à la maîtresse pour lui apprendre de nouveaux mots. Mina n’était pas attentive longtemps. L’imagier, elle préférait en déchirer les pages ou marcher dessus. Je me fâchais, lui reprenais le livre, elle entrait alors dans une terrible colère. Elle me frappait et se roulait sur le lit en hurlant, ce qui alertait Papa.
— Ombline, laisse ta sœur tranquille ! Elle est encore petite.
— Elle a déchiré mon livre.
— Va plutôt jouer à la maîtresse avec Isadora. Elle est au jardin, profite des premiers soleils du printemps au lieu de chercher des poux à ta sœur.
— Mais c’est nul ! Isadora sait déjà tout.
Je sortais en bougonnant. À défaut d’être une élève intéressante, mon amie pourrait au moins me plaindre. Toujours devoir céder parce que Mina était petite… finalement, une grande sœur comme Emmeline, c’était moins casse-noisettes. Isadora m’attendait avec impatience derrière la haie. Elle était affalée sur le sol sans crainte des herbes et des insectes qui ne manqueraient pas de hérisser ses cheveux. Je vis à son front soucieux qu’une question lui tournait dans la tête. Elle fusa avant même que je sois installée.
— On parle souvent de la mère de Mina, mais… et son père ? Il est où ?
C’était une colle, mais pour rien au monde je n’aurais avoué mon ignorance. Isadora réfléchissait beaucoup. Moi, le père de Mina, je n’y avais même jamais pensé.
— Il est avec sa mère bien sûr. C’est elle qui commande, mais il est méchant aussi.
Isadora se satisfit de l’explication, on allait pouvoir improviser de nouveaux jeux avec ça, pourtant la question me resta en tête. Lors d’une séance album-photos de l’orphelinat, je profitai de l’occasion pour interroger Maman.
— Il est où son père ?
— Le père de qui ? demanda-t-elle, déconcertée car nous étions sur un gros plan de la Sœur Thereza.
— Le père de Mina. Et d’Alejandro.
Elle soupira un grand coup et se passa la main sur le visage.
— D’abord, ce n’est peut-être pas le même homme, Ombline. Tu sais, un peu comme tes cousins Arthur et Franck, ils sont demi-frères. On appelle ça une famille re-com-po-sée.
— La famille de Mina, elle est plutôt décomposée.
Maman me serra contre elle et me garda longtemps, avec un bras coincé, et son pull angora qui me chatouillait le nez, mais je n’osais pas bouger, je craignais qu’elle pleure. Finalement, elle m’a relâchée et son visage avait l’air normal. Je repris mes questions.
— Le père de Mina, alors… il est avec sa mère ?
— Je ne crois pas.
— Ils sont divorcés ? Comme les parents d’Isadora ?
Maman hésitait.
— Oui… disons-le comme ça, en fait… parfois… dans la vie…
Je décidai de lui venir en aide.
— Je sais. C’est comme le chat d’Isadora. Il fait ses petits tout seul.
— Écoute Ombline… je préférerais qu’on…
Je changeai de sujet avant qu’elle me répète « c’est compliqué, tu comprendras quand tu seras grande ». Je détestais trop cette phrase.
— Ce soir, on mange des spaghettis ? Dis ouiii !
— Mieux que ça ! répondit-elle, visiblement soulagée. Ce soir je fais des crêpes.
Les vacances d’été suivantes arrivèrent. Pour la première fois, je n’étais pas seule à l’arrière de la voiture et Mina aimait comme moi se rouler toute mouillée dans le sable juste au moment où les parents déclaraient que c’était l’heure de quitter la plage. Pour eux, le défi des vacances était d’aider Mina à devenir propre pour qu’elle entre à la maternelle en septembre. Elle se promenait fesses nues et je la suivais partout avec son petit pot, au cas où. Nous jouions à asseoir nos poupées dessus, nos nounours, mais peine perdue, Mina continuait à inonder le carrelage de notre location. Papa expliqua qu’il ne fallait pas la gronder, elle y parviendrait quand elle serait prête. On ne punissait jamais Mina, ce n’était jamais de sa faute, elle était toujours trop petite, alors que moi, je devais montrer l’exemple. J’étais plus tranquille avant son arrivée.
Les vacances passèrent et la semaine juste avant la rentrée Mina finit par pouvoir évoluer sans couche. Je décidai d’envoyer une lettre à Alejandro pour lui raconter l’évènement, j’entrais en CE1 et c’était la première fois que j’écrivais à quelqu’un.
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Rachelmcz
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Chacha83
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