Fyctia

Je suis au septième ciel.

Enfoui dans le blanc et le douillet.

Le matelas me sied parfaitement à la couenne.

Mes mirettes papillonnent de plus en plus. Je suis presque aux bords de l’assoupissement.

Je me retourne et vois la photo encadrée. Celle d’un beau blondinet aux yeux noirs qui a eu la chance d’avoir plus de taille que mon maître. Une vraie sculpture. Frigide et imposante comme formée d’un bloc de marbre. C’est grave, l’injustice ! Mon dégoût se joint à celui de mon maître.

Il lui en veut. De tout ce qui s’est passé. De toutes les blessures affligées à leur âme. C’est pour cela qu’il a mis cette image si loin de sa chambre.

Et pourtant, il l’aime encore sinon il ne l’aurait pas gardé. Je le sais même si ça ne se voit pas au premier regard.

Ce symbole d’une époque révolue me brûle à l’intérieur d’un feu qui ne s’éteindra peut-être jamais. Je me détourne, ne pouvant tenir le regard sur ce malheur plus de temps.

Ah ! Dire que le nirvana aurait pu me cueillir dans mon sommeil.

J’essaye de me concentrer sur cette possibilité. Les paupières plus froncées que les traits détendus, je m’alarme de mon manque de sérénité et j'espère à la fois le retrouver.

Peut-être que ce n’est pas trop tard...

Trop tard !

Vu la douceur dont on fait preuve, c’est soit un pingouin manchot soit mon maître alcoolo.

Non !

Le champagne lui donne un peu plus de prestance quand même. Et un chahut si class- hic ! Allant d’entrechats à des bris de l’art en cristal de Baccarat et des éclats de rire sans tracas.

C’est comme ça qu’il se défoule, comme toute autre personne. Sauf que cela coûte plus cher.

Je ne peux pas juger mais je fais le garde-fou, le dirigeant vers son lit sans trop d’à coups. Je préserve toujours ce qui est le plus cher pour moi. Les vases Ming. Les Statues d’Agostini. Les peintures de Degas.

Cependant, à l’entente de pas calenchés et d’un ricanement gamin, je dirais qu’il est accompagné d’un mioche qui s’est gavé de sucreries ou d’un cambrioleur qui s’est pris un mauvais trip.

Aussi brièvement qu’un chien chipe une saucisse tombée aux pieds de son maître, j’entends une porte claquée.

Et je sens un poids énorme qui manque de m’écraser. C'est un trente cinq tonnes qui m’éclate la colonne vertébrale ou quoi.

Ne demandant pas mon reste, je tente de me dégager et pousse l’esclandre. Peu de temps après, je suis libéré et me dégage de la couette où j'étais enselevi. Vu la sensation de semi-remorque, l’intrus doit être un mammouth. J’en paierai mon prix.

Ah, non ! Apparemment, je me suis trompé. C'est une grande saucisse.

Je le dévisage. Il me dévisage. Nous nous dévisageons. Une éternité durant, un duel de regards verdoyants s’effectue.

Je soupire, ne trouvant plus le jeu marrant. On fait quoi là ? On joue à qui portera la main à sa culotte le plus vite ? À qui dégainera le premier son flingue ?

Toi, la longue asperge t’a perdu, puisque, moi, je suis déjà à poil.

Je perds patience et fixe mon maître qui arrive quelques instants après. Sa panique lui emplit son visage. Il me détaille me frottant frénétiquement le dos sur le matelas. Puis, il examine le lit et son intrusif occupant près de moi, qui a l’air si penaud, vu son léger sourire.

Espèce d’eunuque sadique ! Ça te fait plaise, hein ?!

— Mon dieu ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il m’a scrabouillé sans vergogne et...

Je couine, expliquant tout cela. Néanmoins, bien sûr, je suis un ragondin et, vu la face de plouc débile qu’il a, il ne comprend pas.

—Oh, rien de grave ! Juste une petite bisbille par ci par là. J’ai l’impression que cette fouine à sa tête de castor n’a pas apprécié que je lui vole son soit disant lit.

Espèce de... Comment ça ?! Une tête de castor, moi ! Il est miraud ou quoi ?!! Il a plongé trop profondément dans sa merde pour y avoir clair, celui-là !!

— Ah oui ! T’as raison. Il ne devrait pas être là. Mon raton ! Qu’est-ce que tu fais sur ce lit ?! Je t’ai dit mille fois qu’il fallait rester dans ta panière !!

Il gobe tout, me houspille même et ne voit pas sa mine réjouie à l’autre. Peut-être qu’ il a charmé ou peut-être que c’est un démon.

— Eh oui ! Ce que les animaux peuvent être désobéissants parfois. Cependant, je suis désolé de t’avoir dérangé, petit raton.

C’est ça et mon cul c’est du chocolat. Si c’était le cas, j’en boufferais des tas. Excepté que je ne suis pas coprophile, alléluia !

Encore sur le lit avec moi, il essaye de me caresser pour se faire pardonner mais je me carapate vite fait. Je suis choqué qu’il me nomme ainsi. Seul mon maître a le droit de le faire. Je me blottis vers celui-ci et gémis avec peine.

Ne crois pas un seul mot de cette langue de vipère bleuie sous le froid ! C’est vrai que je ne dois pas être là mais... Il l ́a fait exprès ou tout du moins, il s’en est peu soucié.

Sans pitié, ce dernier me prend dans ses bras de nain avec douceur, je fusille l’intrus de mon courroux sanguin le plus glacial et de ma mine noire la plus verbale. Il est toujours sur mon lit.

Mon maître me flatte l’encolure. Je l’ignore, souffle et me conforte dans cet amour.

Rassure-toi, petit raton d’amour. Ce n’est pas comme si le monde s’écroulait.

— Bon, je te laisse un moment seul. J’ai des choses à faire. Si tu veux un truc, appelle-moi ou tu peux aussi prélasser sous la douche pour te décrasser. Comme tu veux.

— D’accord. Merci. Cependant, je ne prends jamais seul mes douches.

Et là, je vois mon nain cramoisi jusqu'aux oreilles. Qu’est qu’il a ? Il a de la fièvre ou.. Non ! Il ne peut pas être a-mou-reux.

Le côté aguicheur et le sourire goguenard de l’autre filiforme. Cela me fout la gerbe.

Ça sent le ragondin ?

Face à cette situation, c'est sûr.

Je vais devoir y remédier.

À rebrousse-poil, j’en ai plein le nu.