Fyctia
14) Être gavé
Le ronronnement du moteur de ma Subaru, c'est l’une des deux choses qui me calment. Il faut bien ça. Cela fait des semaines que je joue le garde-malade. Je suis sur les rotules de mes nerfs.
Pourquoi j’acte encore ce cirque d’infirmier ? Est-ce que je me sens coupable qui s’est pris un des murs de ma maison ?
Certainement.
Il faut dire qu’en pleins travaux pour ma kitchen extérieure j’avais laissé le portail de ma propriété ouvert.
Et enfin, je me soucie pour sa santé.
Ça me fait mal de l’avouer mais je me soucie de lui.
Serait-ce un premier signe que je ramollis contre ce monde sans pitié ?
Non, non !! À peine je le considère.
Aujourd'hui, l’autre était chiant, pas possible. Pourtant, il y a des jours oú il est si...attachant.
Non mais qu’est-ce que je viens de dire ? Je m’attacherai presque.
C’est plutôt un attachiant.
J’inspire à pleins poumons pour dissiper ma tension et une sorte de... émoi. En tout cas, ça palpite dans ma poitrine. C’est étrange.
Sérénité soit faite sur ces terres désolées, ainsi soit-je.
Entendre ces quatres cylindres est une douce mélodie à mes oreilles. Cela me dilate la rate et remettrait mon foie qui n’est peut-être pas droit.
Un gros chaton de Birmanie qui se prend pour un garou certaines nuits de pleine lune n’aurait pas fait mieux.
Je retire la clé du contact à regret, ouvre la porte et sors de l’habitacle. Me stabilisant tout juste sur le sol, je me dis que j’ai une fois de plus encore mal mis mon rehausseur pour bébé sur le siège.
Maudite soit ma taille et surtout damnés soient les concepteurs de voitures qui pensent ni en largeur ni en hauteur. Une bonne fessée administrative leur remettrait peut-être les idées en place.
Je devrais en racheter juste pour avoir la satisfaction d’être compris et respecté en tant que nain.
Le fait d’y penser me remet en boule. Un peu de tranquillité chez moi ne serait pas de refus.
J’espère que mon raton d’amour n'a rien fait cette fois.
— Bonjour Mr Hedgson, comment allez-vous aujourd'hui ?
Oh, non ! Je reconnais cette voix de scie sauteuse sous amphétamines. Je la vois s’avancer vers moi. La Fausse Geisha du Shogun. Ses lèvres botoxées, si bimboesques, ne vont toujours pas avec ses yeux bridés si japonais.
— Bôjour madame la Comtesse de Katsumiya-Strückmuch. Je vais bien.
J'irais encore mieux si je n’avais pas à vous parler.
Dommage qu’elle ne se soit pas fait coincer par le portail qui vient juste de se refermer. Sa taille de guêpe, venimeuse comme une commère, lui a sauvé la vie.
— M... Bien voir très m... bien. B... Mon cher Juanito, vous savez b... mon homme à la b... main m.. bien verte a arrosé mes jardinières. Grâce à lui, b... mon gazon est tout frais. Quant à Adolf, il est toujours à faire les dix-huit trous avec son a... b... mi Hi... b... mmler. Je lui dis parfois de passer du temps avec b... moi b... mais non... Quoique, avec son b... mauvais caractère de fasciste à la chemise m... brune, je b... me porte m.. bien b... mieux. Il faut dire que la vie avec...
Elle devrait aller voir un orthophoniste pour lui faire travailler la langue. Ses m et b sont avalés voir mélangés par ses énormes lèvres. Il faut qu’elle susse d’abord prendre un rendez-vous. Ça doit être son secrétaire qui ́le fait, son confident à ce que j’ai compris, en même temps qui l’a... paise.
Qu’est-ce que je dis comme horreurs ?! Ces cu-dibonderies ne me ressemblent pas !! Qui est-ce qui m’a contaminé comme ça ?!!! Je me reprends en disant :
— Bien, bien... Et vous ?
Elle me regarde comme si j’avais reniflé une mouche par une narine et l’avais expulsé par l’autre.
— Je vous ai déjà raconté mes péripéties. Vous ne m’écoutez pas ?!
Elle a la mine froissée. L’air d’avoir avaler dans sa bouche quelque chose de travers.
— Oui.. enfin non.
Je m’embrouille et son visage se brouille, rouge d’agacement. Soudain, elle se calme, me faisant un étrange sourire. Comme si elle allait me manger.
Je ne suis pas à votre goût, madame. Et puis, j’aime mieux me retourner vers d'autres fessiers que le vôtre.
Ah, mazette ! Encore ces maudites pensées parasites mais à qui les dois-je ?
— Je vous apporte quelques délices pour vous ragaillardir et vous sustenter. Ils sont sorties bien chaud de mon four.
Elle me fait un clin d’œil de connivence.
Ah, non ! Pas ça !! Surtout pas !!! Je n’ai pas envie de mourrir !!!
— C’est dommage car j’ai déjà fait quelque chose...
— Ce n’est pas grave. Cela pourra toujours vous servir.
Comme cale-porte peut-être.
Elle me tends le panier d’osier. Je n’ose la contrarier. Sa taille m’a toujours impressionné. Et surtout, sa forte poigne.
— Je m’excuse mais je dois y aller. J'ai un plat dans le four.
— M... Bien sûr. À plus tard.
Son sourire se fait presque pervers.
Je m’éloigne vite fait de ce mastodonte sur talons aiguilles. Je devrais acheter des dobermans juste pour avoir le plaisir de la voir s’enfuir. Quoique, avec ses jambes de gazelle sur-musclées digne de Miss Olympia, elle mettrait des lattes aux toutous.
Bon Dieu que c'est incroyable d’être à la fois plate telle une limande et gonflée tel un bibendum.
Bon Dieu que c'est incroyable d’être à la fois moche comme Frankenstein et belle comme une statue grecque.
Son masque de Scream leur ferait peur, c’est sûr.
Je suis gavé. Déjà que l'autre m’a taquiné, gentiment certes, mais m’a titillé le contre-sens du poil plus que j’aurais aimé.
Tranquillité, tranquillité... Quand tu ne nous tiens pas. Hâte de l’avoir chez moi.
Loin de cette face de canard constipé. Au nez pincé, si anglais.
10 commentaires
Gottesmann Pascal
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Il y a 14 jours
loup pourpre
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Il y a 14 jours